Simon Kururu qualifie l’acte posé par le parlement de vote sanction suite aux imperfections quant à la couverture des élections de 2010. Selon lui, ceux qui sont au pouvoir, aujourd’hui, n’ont pas vocation à y rester {ad vitam aeternam}. D’où l’intérêt de voter des lois qui protègent tout le monde.
<doc7945|left>{Vous avez suivi l’analyse du projet de loi sur la presse au parlement. Quelle est votre impression?}
Avec le développement tous azimut de la liberté d’expression des médias, cela a engendré une certaine peur chez certains politiciens. D’ailleurs, au Sénat, ils ont rappelé qu’il s’agit du quatrième pouvoir. Ils craignent qu’il ne contrebalance les trois autres pouvoirs. Cette peur, comme dans tous les pays du monde, se traduit par la restriction de la liberté d’expression. C’est donc une période cruciale où les médias sont confrontés au pouvoir pour des raisons d’orientation de l’opinion publique.
{Ces élus accusent les journalistes de se substituer aux politiciens compte tenu de la couverture des élections de 2010. Qu’en dites-vous ?}
J’ai une autre lecture des élections de 2010. A ces scrutins, il y avait deux nouveaux acteurs sur la scène politique : les partis FNL et MSD. Les médias ont manqué d’esprit d’analyse des résultats communaux pour en tirer des conclusions. Les partis en lice ont battu des records, chacun dans ses fiefs. Le FNL était fort dans Bujumbura (rural) sauf dans deux communes Mugongo- Manga et Mukike. Quant au MSD, il a fait le plein des voix là où la jeunesse tutsi prédominait. L’UPD a eu des voix dans les milieux musulmans. Si une analyse pointue avait été faite, les résultats pouvaient montrer que la fraude électorale manquait d’arguments.
{Est-ce que cela suffit pour accuser les journalistes de partialité ?}
Les journalistes se sont contentés de rapporter les faits et de donner plus d’espace aux réactions de l’ADC Ikibiri. D’où un déséquilibre dans la distribution du temps de parole. Cela a suscité de la jalousie et de la frustration du côté du pouvoir. Le vote du parlement est donc un vote sanction. Le CNDD-FDD a reçu des coups, il veut en donner à son tour.
{A qui profite ce vote ?}
La véritable lutte entre deux pouvoirs ne profite à personne. Ni au parti au pouvoir, ni au gouvernement, ni au peuple burundais.
{Quelles peuvent être les conséquences ?}
Le législateur indique que les médias sont très riches, qu’on peut leur faire payer des amendes exorbitantes. Ces derniers refusent de s’exécuter, le bras de fer est engagé. Cependant, les deux côtés ont intérêt à trouver un modus vivendi en se référant notamment à la Constitution et aux textes internationaux déjà ratifiés qui consacrent la liberté d’expression. L’abus du pouvoir politique peut conduire vers un précipice de même que l’abus de la liberté d’expression des médias qui peut mener à des catastrophes. En préservant les intérêts et les droits des autres, on peut finalement défendre ses propres intérêts.
{Il ne reste que la dernière étape, celle de la promulgation de la loi par le président de la République. Quel espoir avez-vous ?}
Quand le parlement s’est déjà prononcé, je ne connais pas juridiquement la marge de manœuvre du numéro un burundais. Toutefois, en tant que père de la nation, il n’a pas intérêt qu’il y ait conflit dans la demeure. Ainsi, je lui recommanderai de surseoir à cette promulgation, d’écouter les peurs des uns et des autres et de créer un dialogue entre les journalistes et la classe politique, notamment le parti au pouvoir.
Que ce dernier garde à l’esprit que la roue de l’histoire tourne. {Olinga olinga te}, dit-on en lingala. Ceux qui sont au pouvoir, aujourd’hui, ont intérêt à voter des lois qui protègent tout le monde. Car il ne faut jamais croire que quand on est au sommet de la gloire, on va y rester pour toujours. Il ne faut pas légiférer pour l’instant, mais pour la postérité.