Les fonds de la deuxième phase du Fond Mondial de lutte contre le Sida, la tuberculose et le paludisme ne seront pas décaissés le jour prévu, ce 1er avril 2012. Un conflit oppose deux acteurs majeurs dans la lutte contre la maladie : ABS et RBP+.
C’est une pénible histoire dont les victimes seront les personnes pour lesquelles deux associations se battent : les malades du sida. Prenez donc deux associations de lutte contre le sida, ABS et RBP+, une arrivée prochaine de fonds de la deuxième phase du financement du Fonds Mondial de lutte contre le Sida, la tuberculose et le paludisme (21 813 873 USD) et le décor est planté. L’Alliance Burundaise contre le Sida accuse : « Le RPB+ devrait être sanctionné pour mauvaise gestion.» Pour Patience Kubwumuremyi, coordinateur national de l’ABS, le RBP+ avait le devoir de gérer les fonds en bon père de famille. Mais cela n’a pas été le cas lors de la première phase. C’est pourquoi, ajoute-t-il, nous avons dénoncé son incapacité de gestion. Pour illustrer ses propos, le coordinateur national de l’ABS affirme que l’octroi des financements aux sous bénéficiaires n’était pas basé sur des critères objectifs : « Pour qu’une association soit financée, il existe des critères exigés. Par exemple, avoir au moins trois ans d’agreement. Or, des associations ont reçu de l’argent alors qu’elles ne remplissaient cette condition. »
Des associations fictives
Le coordinateur national de l’ABS affirme en outre d’avoir aussi découvert l’existence des associations montées de toute pièce, fictives, comme AFASI : « Nous avons cherché où se trouve le bureau de cette association mais en vain. » Il accuse également le RPB+ de faire du clientélisme et de donner les fonds aux associations par affinité. Ce n’est pas tout parmi le personnel du réseau, le recrutement se fait sur base des liens de parenté alors que c’est interdit par le Fond Mondial. De son côté, le RBP+ n’est pas tendre. Il affirme que l’ABS a une dent contre lui car lors d’un audit fait par l’inspection générale du gouvernement, elle n’a pas montré des pièces justificatives pour l’utilisation de 44 millions de Fbu. En plus, lors de la première tranche, le RBP+ avait donné à l’ABS 602 363 235 Fbu. Ayant un droit de regard sur le compte de l’ABS, le RPB+ a découvert qu’elle les a placés à la Banque Burundaise pour le Commerce et l’Investissement (BBCI) pour générer des intérêts : « L’association a ouvert un autre compte alors que toutes les opérations bancaires doivent se faire sur un compte. C’est un scandale que des fonds soient utilisés pour servir des intérêts personnels » Faux, rétorque le coordinateur national de l’ABS. Il explique que le financement de l’exercice de 2010 est venu tardivement. Au mois de mai. « Lors que nous avons reçu les fonds, nous nous sommes remboursés les quatre mois passés à travailler sans argent. Les 44 millions correspondent aux frais de fonctionnement de cette période », précise-t-il. Pour ce qui de l’association fictive, le chargé de la communication au RBP+ explique que l’association n’existe réellement pas. Ce nom, AFASI, qui est l’Association des Femmes africaines pour la lutte contre le sida, n’est que la simple traduction de la Swaa Burundi.
Accusation contre accusation
Pour ce qui est du placement à la BBCI, Patience Kubwumuremyi parle d’une information déformée par le RBP+ : « Nous avons placé de fonds restants lors de la première phase le temps de faire des rapports. Mais la seule erreur commise c’est d’avoir ouvert un autre compte pour les intérêts générés. Mais tout cela nous l’avons expliqué au bailleur. Nous n’avons rien à cacher. » Le RBP+ réfute toutes ces accusations portées contre lui. Selon le chargé de la communication au RBP+, des audits ont été faits et le Fonds Mondial les a approuvé avec un taux d’exécution de 83% : « Comment parler de mauvaise gestion ou de malversation. » Selon Théophile Sakubu, ce conflit est une diversion qui avantage à la fois, le CCM et l’ABS. Si le bailleur venait à approuver la décision du CCM, tous les fonds seront gérés par la partie gouvernementale. D’un autre coté, l’ABS ne pourra pas justifier des millions de Fbu manquants. Il souligne que CCM est dirigé par la ministre de la Santé publique et son vice-président est le représentant légal de l’ABS. Et puis, souligne encore le RBP+, normalement, le bailleur privilégie un financement à deux voix, comme cela a été fait à la première phase. Une partie des fonds est destinée au gouvernement pour l’achat des médicaments, d’appareils médicaux etc. Une autre pour la société civile, affectée pour la prise en charge des communautés, la prévention des personnes vulnérables, la PTME (Prévention de la Transmission du VIH/Sida de la mère à l’enfant).
Et le CCM s’en mêle…
Lors de la réunion du 14 février 2012, le Comité de Coordination des subventions du Fond Mondial de lutte contre le Sida, la Tuberculose et le Paludisme (CCM) a pris la décision de remplacer le RPB+ par le CNLS, comme bénéficiaire principal. Le 2 mars 2012, il envoie une lettre au bailleur, le Fonds Mondial, pour lui expliquer les motivations de ce changement. Le CCM explique que c’était dans le souci en finir avec le conflit entre les deux associations. Car, ajoute-il, « les chicanes ont paralysé la mise en œuvre de la première phase de manière que les premiers bénéficiaires à savoir les séropositifs ont mis beaucoup de temps sans avoir l’appui qui leur était destiné. » Pour le CCM, cela risque de s’empirer et il faut prendre des mesures adéquates. La passation de responsabilité entre l’actuel bénéficiaire principal, le RPB+ et le nouveau à savoir le CNLS si le bailleur confirme ce changement, risque de prendre beaucoup de temps. D’autant plus que le Fonds mondial a demandé des informations supplémentaires sur les conséquences dudit conflit. Notamment sur les risques liés au montage institutionnel actuel sur la mise en œuvre de la subvention. Pour Théophile Sakubu, chargé de la communication au RPB+, au cas où le CNLS devrait être accepté, il devrait non seulement transférer les 22 millions de dollars au CNLS mais aussi fusionner deux projets (celui du SEP/CNLS et celui de RBP+ dans une seule proposition. « Le CNLS attend de signer un accord avec le bailleur le 1er avril 2012. Va-t-il attendre pour que les deux documents soient refondus ? » s’interroge-t-il. C’est une procédure qui va prendre plusieurs mois.
Le 1er avril était la date du décaissement car la décision de renouvellement de la subvention était confirmée le 7 février 2012 par le bailleur. A cause d’un conflit entre ces deux associations, elle est reportée pour une date inconnue.
« Le malade devrait être le centre de la discussion »
Jeanne Gapiya ne cache pas ses inquiétudes : « Cette décision pourrait coûter cher aux personnes affectées du VIH/SIDA. » Propos tenus par la présidente de l’Association Nationale pour les Séropositifs et les Sidéens au cours d’une conférence de presse tenue ce 21mars dans les enceintes de l’ANSS. « Ce changement peut durer une année avant d’être approuvé par le FM, mais le VIH/SIDA, lui, n’attendra pas », craint-elle. Les conséquences pourront être irréversibles pour les malades. Pour elle, le malade devrait être le centre de discussion. Cette décision retarderait la signature du renouvellement de la subvention pour la phase 2, si signature il y a. Elle demande une certaine prise de conscience à la CCM face à la situation qui est en jeu. Elle l’interpelle à revoir sa position pour éviter que la population soit condamnée. Elle reconnaît les erreurs commises par RPB+ et ABS mais sans oublier que le malade est prioritaire. Elle souligne que le Burundi est parmi les rares pays africains retenus pour la subvention de la phase 2 grâce à la FM. Une telle chance, pour elle, devrait être préservée.