Eviter les stéreotypes, dire sans nuire, montrer sans choquer, faire un journalisme qui construit un espace de débat comme alternative à la confrontation. C’est le but de la formation organisée par l’AFJO et SFCG à l’intention de 45 producteurs dont des femmes venus de 17 radios et studios.
C’est sur un module en rapport avec le Journalisme sensible aux conflits que cette formation s’est terminée, c’était vendredi 7 Septembre après 3 semaines d’atelier.
Facilitée par la Maison de la Presse, cette formation a été initiée dans la cadre du projet, «Soutenir les femmes leaders d’aujourd’hui et de demain pour faire avancer la paix au Burundi». Il a été lancé à la fin du mois de mai de cette année à Kirundo en présence du ministre burundais des Droits de l’Homme. Cette initiative bénéficie de l’appui du Fonds des Nations Unies pour la Consolidation de la Paix (UNPBF).
Selon Jérôme Niyonzima, formateur et producteur chevronné de Search For Common Ground, il faut amener les journalistes à identifier le conflit. Il faut pour cela créer des espaces de dialogue entre les protagonistes et les amener à révéler leurs intérêts, dénoncer sportivement leurs abus. «Il faut par la suite accompagner le processus tout en fournissant un espace de débat comme alternative à la confrontation».
Pour Igiraneza Inès de la radio communautaire, Ijwi ry’Umukenyezi émettant depuis Giheta, nous avons appris qu’il faut humaniser le conflit. «L’objectif est de permettre aux parties en conflit de privilégier les points positifs au lieu des querelles». Selon Éphraïm Ciza de la radio Maria, il faut tout faire pour parvenir à un débat constructif pour atténuer le conflit.
Il a été demandé à ces journalistes en formation de redéfinir et recadrer le conflit, d’œuvrer à la réduction de la méfiance entre les protagonistes. «Le journaliste doit les amener à se défaire de leurs embrouilles du passé pour embrasser l’avenir avec formulations, si possible, de résolutions, de recommandations».
Trouver un terrain d’entente
Ce formateur n’a pas tari de tuyaux pour ces producteurs en formation : «Dans vos émissions, il faut éviter les stéréotypes, vous devez savoir faire le distinguo entre la source et le conflit en soi, la position et l’intérêt».
Ce producteur senior a donné quelques conseils : «Tous les professionnels des médias vous le diront, il faut dire sans nuire, montrer sans choquer, dénoncer sans juger. C’est un exercice à faire, un principe à respecter».
Avant que tout ne bascule ou ne dégénère, explique ce journaliste chevronné, il y a à la source de tout confit, les ressources inégalement réparties, un manque de communication, des préjugés ou de fausses idées que tel groupe ou tel individu se fait sur l’autre, d’anciennes mésententes ou tensions non résolues, un pouvoir inégalement réparti.
Dans toutes vos démarches comme producteur, recommande-t-il, il faut chercher le « oui », rester proactif, aller en profondeur, avoir l’esprit critique, encourager la tolérance, préserver la dignité des intervenants, leur demander d’être flexibles afin d’élaborer une vision commune.
Anecdote
Au début des négociations d’Arusha, raconte le formateur Jérôme Niyonzima, tous les protagonistes boudent, ils se regardent en chiens de faïence. Pour briser le silence, le médiateur Julius Nyerere s’adresse à Alphonse-Marie Kadege en lui demandant de supposer qu’il est Hutu.
Suspens. Avant de terminer sa phrase, ce ténor de l’Uprona, réplique : «Excellence, avec tout le respect que je vous dois, s’il vous plait, de grâce, supposez autre chose, pas cela».
L’ancien Chef d’Etat tanzanien se dit qu’il faut tenter avec Léon Manwangari : «Supposons que tu es Tutsi.» Avant que le Mwalimu ne reprenne son souffle pour poursuivre, ce militant de première heure du Palipehutu se lève et lui supplie de l’affubler de toutes les étiquettes qu’il veut sauf de cette ethnie.
Ce médiateur finira par proposer à chaque groupe ethnique constitué de facto de dresser une liste de tous les griefs reprochés à l’autre. Au moment du dépouillement, une surprise : tous les maux imputés à l’autre groupe sont presque identiques, à quelques différences près.
Celui que les tanzaniens appellent affectueusement ’’Baba wa Taifa’’, le Père de la Nation, demandera par après aux protagonistes de chaque groupe de donner un seul exemple d’une bonne action faite par les Hutu en faveur des Tutsi et vice versa.
A la grande surprise des deux groupes, chaque communauté trouvera des actes louables où telle personne de telle ethnie a volé au secours d’une personne d’une autre ethnie, au péril de sa vie.
D’après, le formateur Jérôme Niyonzima, après cette séance, le climat de méfiance observée au début cède la place au dégel. La confiance s’établira entre les deux groupes ce qui permettra aux différents leaders des partis politiques à se mettre autour de la table des négociations.
«Et c’est souvent ce qui se passe avec des invités dans nos studios, sur nos plateaux. Des fois, il y a tension, l’ambiance est glaciale, les gens ne veulent même pas se serrer la main, c’est impensable».
Pour ce producteur senior, il revient au journaliste de jouer son rôle en amenant ces protagonistes à trouver un terrain d’entente. «A la fin de l’émission, il arrive que les invités à couteaux tirés pendant les débats se saluent, continuent d’échanger en sortant du studio».