Mardi 05 novembre 2024

International

Session des droits de l’Homme à Genève : une dizaine d’Etats tire à boulets rouges sur l’UE

22/03/2021 3
Session des droits de l’Homme à Genève : une dizaine d’Etats tire à boulets rouges sur l’UE
Ambassadeur Rénovat Tabu, représentant permanent du Burundi à l’Office de l’ONU de Genève.

Jeudi 11 mars, au travers d’une lettre lue à l’issue de la 46e session du Conseil des Droits de l’Homme, une dizaine de pays auxquels s’est associé le Burundi, ont vertement critiqué la situation des droits de l’Homme dans l’Union européenne et la Grande-Bretagne. Une alliance loin de surprendre les sources contactées.

Selon cette coalition d’Etats ayant tous en commun d’avoir été sévèrement épinglés par des rapports onusiens et qui a regroupé l’Iran, le Burundi (représenté par l’ambassadeur Rénovat Tabu), la Chine, la Corée du nord, le Nicaragua, la Russie, la Syrie, le Sri Lanka, le Venezuela et la Biélorussie qui en a pris la tête, les travaux du Conseil des Droits de l’Homme doivent être guidés par les principes d’universalité, d’impartialité, d’objectivité et de non-sélectivité, de dialogue et de coopération internationaux constructifs.

L’alliance formée par des pays régulièrement critiqués pour leurs violations massives des droits de l’Homme dit vouloir pointer celles en cours, dit-elle, au sein de l’UE et la Grande-Bretagne. « Nous sommes préoccupés par les informations crédibles faisant état de violations systémiques des droits de l’Homme, en particulier celles impliquant des discours et des crimes de haine, la glorification du nazisme, la discrimination raciale et ethnique ».

Cette coalition menée par la Biélorussie livre aussi ses préoccupations sur une prétendue réduction de l’espace pour la société civile, sans omettre de signaler « des restrictions aux rassemblements pacifiques et aux associations, les entraves à la liberté d’expression, le recours excessif à la force contre les manifestants ».

Cette alliance de ‘’mécontents’’ clame aussi son indignation quant au manque de protection sanitaire adéquate pour les personnes âgées et les autres groupes vulnérables, qui, déclare-t-elle, aurait coûté la vie à ceux qui auraient pu survivre à la pandémie de la Covid-19.

Pour ces pays dont la non-ingérence est le maître-mot, certains pays de l’UE réfuteraient les visites des procédures spéciales depuis des années ou les reporteraient à plusieurs reprises, ce qui, d’après eux, entraînerait un manque d’informations complètes et de première main sur les mesures prises pour relever les défis systémiques dans le domaine des droits de l’homme. « Compte tenu de l’ampleur des violations et abus des droits de l’homme dans l’UE et au Royaume-Uni, nous demandons au Haut Conseil des Droits de l’Homme et aux procédures spéciales, ainsi qu’à la société civile internationale, de renforcer le suivi et la documentation de ces violations, de faire régulièrement des rapports et de faire des recommandations au Conseil, en particulier sur ces questions qui nécessitent un examen et des actions urgentes », jugent ces dix pays.

Sans s’étendre sur le sujet, ce regroupement, auquel le Burundi a pris part, a exhorté enfin l’UE et le Royaume-Uni, à cesser les sanctions contre des Etats en violation du droit international, du droit international humanitaire, de la Charte des Nations Unies et des normes et principes régissant les relations pacifiques entre les États.



>> Réactions

Carina Tertsakian : « C’est une sorte de solidarité négative »

Pour la chercheuse au sein de Burundi Human Rights Initiative, l’alliance entre le Burundi et certains pays qui, d’après elle, violent systématiquement les droits humains, n’a rien d’étonnant. « Depuis des années, ce sont toujours ces mêmes pays qui se soutiennent mutuellement face aux critiques internationales ». Ce qu’elle n’hésite pas à qualifier de « solidarité négative ».

Elle reconnaît toutefois que des violations des droits humains ont aussi cours dans les pays occidentaux. Mais, pour Mme Tertsakian, cela ne change en rien les constats objectifs sur la situation dans tel ou tel pays – tels que ceux de la Commission d’enquête sur le Burundi, dont elle dit partager entièrement l’analyse.

Et de souligner que si le Burundi espère renouer des liens avec ses anciens partenaires tels l’UE, il doit faire preuve de bonne volonté et s’engager dans un dialogue sincère.

« Les pays européens reprendront leur coopération avec le Burundi s’ils constatent qu’il y a de vrais progrès, des changements concrets et durables : une vraie liberté d’expression, la libération des prisonniers politiques, et des mesures pour mettre fin à l’impunité dont jouissent les auteurs d’actes de torture, d’assassinats et d’autres crimes », a conclu Carina Tertsakian.

Clément Boursin : « Je ne vois pas en quoi les droits humains soient plus occidentaux et moins africains, asiatiques, etc. »

Le Responsable des Programmes Afrique au sein d’ACAT-France admet que l’Europe connaît son lot de violations de droits humains et cite les bavures policières, la situation des migrants, le racisme, … mais émet cependant un bémol. « Il ne faudrait pas comparer des situations comme ce qui se passe en Syrie ou ce qui se passe au Burundi avec ce qui se passe en France par exemple ! ».

D’après Clément Boursin, cette lettre que le Burundi a cosignée est le signe, selon lui, d’une méfiance au niveau international à l’endroit de valeurs qui seraient la norme dans le monde entier. « Je ne vois pas en quoi les droits humains soient plus occidentaux et moins africains, asiatiques, etc. Tout le monde souhaite vivre dans la paix, bénéficier de la liberté d’expression, du droit d’association, … »

Et de déclarer que pour son organisation, il ne peut y avoir de normalisation sans améliorations s’agissant de la reprise des liens bilatéraux avec l’UE. Et d’expliquer que l’Europe s’étant rendue compte que les sanctions ont été plutôt un échec sur le pouvoir de Gitega, a préféré privilégier le dialogue. « En gros, ils disent aux Burundais qu’ils sont prêts à reprendre la coopération mais qu’ils ne le feront pas au détriment du respect des droits humains ».

Phénias Nigaba : « Nous conseillerions à nos autorités d’arrêter de s’allier avec de tels Etats »

Pour le porte-parole du Sahwanya-Frodebu, s’il salue certains efforts fournis par le chef de l’Etat en l’enjoignant de poursuivre sur ce chemin-là, il appelle les autorités burundaises à cesser d’être dans le déni. « Sur les lacunes persistantes, ce sont des situations qu’on ne peut pas cacher. Si quelqu’un est tué, s’il est emprisonné ou s’il est malmené, le constat se fait facilement ».

Pour lui, quand des rapports soulignent des lacunes, il faut les régler. Et d’appeler à « corriger nos erreurs plutôt que de demeurer dans des discussions interminables ». M. Nigaba appelle à ce qu’il n’y ait pas d’entraves aux négociations en cours entre le gouvernement burundais et l’UE. « Dans ce but-là, nous conseillerions à nos autorités d’arrêter de s’allier avec de tels Etats et de viser avant tout l’intérêt général de la nation ».

Olivier Nkurunziza : « Je ne pense pas qu’on va tenir compte de ce genre d’actes »

Le secrétaire du parti Uprona préfère d’abord se féliciter des progrès accomplis, selon lui, en matière de droits humains. Et de citer les milliers de réfugiés qui ont regagné récemment le bercail qui sont une preuve, d’après lui, de ladite amélioration. Nous apprenons également auprès de lui, sans qu’il donne plus de détails, qu’il y a eu libération de prisonniers politiques.

Olivier Nkurunziza cite aussi sur le retrait du Burundi de l’agenda du Conseil de Sécurité comme reconnaissance de cette situation « qui s’est largement améliorée » dans le pays.

Et l’alliance du Burundi avec des Etats souvent accusés de violer massivement les droits de l’Homme? Le haut cadre du parti de Rwagasore semble embarrassé et admet que « bien évidemment, le Burundi n’a pas à être mis sur le même plan que des pays en guerre comme l’Irak, … » (Rappelons que le Burundi a fait alliance de son propre gré) mais en ajoutant que « Même en Europe, ce ne sont pas des anges, il y a à améliorer peut-être ». Et de dire qu’il donne son avis sur ce qu’il connaît de la situation actuelle au Burundi que les rapports onusiens « ont le droit de contester ».

Sur l’impact qu’une telle alliance puisse avoir sur la reprise de la coopération bilatérale entre l’UE et Gitega, il relativise. « Je ne pense pas qu’on va tenir compte de ce genre d’actes même si ce sont des risques ». Et d’ajouter que ce sujet sera sans doute abordé lors des négociations en vue de connaître les raisons qui ont poussé le représentant du Burundi à se positionner ainsi.

Simon Bizimungu : « Ce genre d’actes démontrent que nos gouvernants ne savent pas distinguer entre ce qui se fait de ce qui ne se fait pas »

Pour le secrétaire du CNL, prétendre de la part des autorités burundaises que les droits de l’Homme sont garantis tout en faisant alliance avec des pays dont la violation des dits droits est une évidence selon lui, prouve que le gouvernement burundais raconte l’inverse de la réalité qui prévaut dans le pays.

Selon lui, l’attitude des officiels burundais est tout sauf guidée par le bon sens. « Ce genre d’actes démontrent que nos gouvernants ne savent pas distinguer entre ce qui se fait de ce qui ne se fait pas».

Sur l’impact qu’une telle alliance puisse avoir sur la reprise de la coopération bilatérale entre l’UE et Gitega, le député du parti d’Agathon Rwasa dit que même s’il n’est pas au courant des conditionnalités que se sont fixées les deux protagonistes, il estime que, pour l’UE, les droits de l’Homme sont une priorité. Il termine en disant qu’avec une telle alliance, les négociations entre l’UE et Gitega n’aboutiront pas.

Gabriel Banzawitonde : « C’est un merveilleux signe de solidarité positive »

Le leader de l’APDR dit apprécier le comportement des pays qui se sont alliés avec le Burundi. « On a constaté qu’avec la mondialisation, s’il n’y avait pas de telles coalitions, les grandes puissances noieraient les petits pays par le biais d’organismes internationaux. C’est un merveilleux signe de solidarité positive ».

Pour Gabriel Banzawitonde, que des pays comme la Corée du nord fassent alliance avec le Burundi, signifie bien que le Burundi est un modèle pour d’autres pays en matière de droits de l’Homme, y compris même pour des pays d’Europe, souligne-t-il.

Pour ce qui est du risque d’entrave aux négociations en cours engagées entre le Burundi et l’Union européenne, le président de l’APDR se montre optimiste. Selon lui, il y a des intérêts mutuels entre les deux parties. « L’UE a aussi des intérêts dans cette reprise de la coopération ». Et de préciser que l’UE a des informations utiles avec un suivi régulier sur la situation au Burundi. « Donc pour nous, il n’y aura aucune entrave à la normalisation des liens entre Gitega et l’UE ».

Albert Shingiro : « Il y a des alliances ponctuelles et d’autres perpétuelles »

Le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération, Albert Shingiro, a précisé que les alliances dans ce type de situations se nouent en fonction des intérêts de chaque pays. « Il y a des alliances ponctuelles et d’autres perpétuelles comme celle que nous nous apprêtons à reprendre avec l’Union européenne ».

Interrogé justement sur l’impact qu’une telle alliance puisse avoir sur les négociations en cours entre son ministère et l’UE, le ministre Shingiro a dit préférer ne pas réagir.


Pascal Niyonizigiye : « Il n’y a aucun pays au monde qui puisse assumer qu’il viole les règles en matière de droits humains »

Le spécialiste en Relations internationales estime que les Etats qui sont plus préoccupés par leur image sur la scène internationale, n’accepteront jamais les critiques émises par le Conseil des Droits de l’Homme.

Les autorités burundaises aiment à présenter une situation en matière de droits de l’Homme assez reluisante dans le pays mais s’allient avec des Etats souvent critiqués pour leur gestion des droits de l’Homme. Comment expliquer cette contradiction ?

Le Burundi, comme tout autre pays, cherche à légitimer sa position, à montrer qu’il est respectueux des droits de l’Homme. Il n’y a aucun pays au monde qui puisse assumer qu’il viole les règles en matière de droits humains. C’est une attitude tout à fait réaliste dans la politique internationale. Quand le Burundi a été épinglé par le Conseil des Droits de l’Homme, il n’a pas été content tout comme l’ont été d’autres pays comme l’Iran, la Corée du nord et la Syrie. C’est pour cela qu’ils se sont coalisés pour faire entendre leurs voix. Ce qui apparaît à travers ce conseil des droits de l’Homme et les Etats qui ont été critiqués par ce dernier, c’est que jusqu’à maintenant, ce sont les intérêts nationaux qui priment. Ces Etats ne font pas grand cas de la morale et se basent essentiellement sur la realpolitik. Comme ils se disent souverains, ils font tout pour montrer qu’ils ne sont soumis à aucune autorité qui serait au-dessus des Etats. Et cela rend faibles les institutions internationales.

Mais le Conseil des Droits de l’Homme se dit être là pour faire respecter les règles et normes en matière de droits humains adoptées et ratifiées par les mêmes Etats…

Oui c’est vrai que le Conseil des Droits de l’Homme a cette mission qu’il entend défendre. En principe, ces Etats sont d’accord sur l’existence de ce Conseil. Sauf que ces Etats qui sont préoccupés par leur image sur la scène internationale n’accepteront jamais les critiques émises par le Conseil des Droits de l’Homme. Mais on peut dire que dans cette lutte pour les droits humains, depuis d’ailleurs l’adoption de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme en 1948, c’est un combat qui porte ses fruits. Surtout si on regarde l’activisme au sein de la société civile, sans parler des différents rapports produits qui ont des effets sur les politiques des Etats et l’Opinion publique internationale. Mais le chemin reste long. Il y a lieu d’ajouter aussi qu’on n’assistera jamais au fait que des Etats admettent qu’ils ne respectent pas les droits humains. Ils ne l’assumeront et ne l’accepteront jamais. Mais ils peuvent s’inscrire dans des réformes progressives en matière de respect des droits de l’Homme.

Quid de l’impact de cette alliance sur les négociations en cours entre l’UE et le gouvernement burundais ?

Ces négociations vont continuer parce qu’au départ, on est convaincu qu’il faut négocier avec le Burundi même s’il y a encore des lacunes. Il s’agit de donner au Burundi la chance d’améliorer sa situation en matière de droits humains. C’est un combat de longue durée. C’est comme celui de la démocratie. C’est un combat qui prend beaucoup d’années mais les rapports entre Etats continuent. Et s’il y a une volonté de toutes parts, on arrivera à un accord qui intéresse les deux parties.

Propos recueillis par Alphonse Yikeze

Forum des lecteurs d'Iwacu

3 réactions
  1. doris barro

    C’est incroyablement maladroit pour cette dizaine de pays de vouloir s’en tirer en critiquant l’UE sur ses « petis manquements » . C’est comme si cette clique du mal disait  » nous maltraitons les gens car vous aussi vous faites la même chose ». Si la crise sanitaire a entrainé certaines violations des droits de l’homme , ceci n’a aucune commune mesure avec ce qui se fait dans ces pays de l’axe du mal

  2. Alexis

    Ceux qui sont au pouvoir au Burundi viennent de montrer au monde entier encore une fois qu’ils n’entendent pas améliorer la situation des droits humains de leur population .

    Cette alliance est comme celle des monstres et ces pays se sont coalisés pour des raisons qui leur sont communes . La dictature , la violence , corruption , l’emprisonnement et disparition des innocents ……etc . Voilà leur points communs et aussi mode de gouvernance .

    Bravo au Burundi , il reste à savoir s’il va envoyer ses experts en Grande Bretagne et en Europe pour leur enseigner en matière des droits humains

    • Bonjour

      La vérité fait mal.bravo aux pays signataires pour ce bravour.en européen noirs sont tués par la police. En Angleterre le prince a quitté le palais suite à la couleur de la peau de son fils, et ,ils nous enseignent l égalité de tous. Les migrant sont noyés chaque jour par non assistance,….en matière de respect des droits humains, ils se qualifient de modèle

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