Du 14 au 16 novembre 2024, c’était la semaine dédiée aux « héros » de la paix et de la démocratie. Le parti CNDD-FDD et ses militants ont commémoré, devant le mémorial de Mpanda, leurs combattants morts sur le champ de bataille. À l’occasion de ces festivités, le chef de l’Etat a livré le message sur les acquis de leur lutte armée. Des éloges difficiles à passer chez certains anciens chefs rebelles et politiciens burundais.
De vielles photos du maquis ont fait le buzz sur les réseaux sociaux au cours de la semaine dédiée aux seuls combattants du CNDD-FDD lancée le jeudi 14 novembre 2024. Des souvenirs du placard pour rallumer la flamme de la lutte et honorer l’« héroïsme » des disparus.
Cette semaine était centrée sur le thème : « la lutte armée est terminée, le combat pour le développement continue ; dressons-nous contre elle avec la vision 2040-2060 ». Dans la foulée, les commémorations vont commencer par un moment de recueillement et le dépôt de gerbes de fleurs sur les tombes des combattants du CNDD-FDD morts sur le champ de bataille aujourd’hui enterrés en commune Mpanda, dans la nouvelle province de Bujumbura.
Une messe de requiem a été ensuite célébrée à la succursale catholique de Gifurwe, paroisse Muzinda en mémoire des disparus. De hautes autorités membres du parti au pouvoir, des cadres de ce parti, des anciens combattants, des mutilés de guerre, tous ont été mobilisés pour l’ouverture de cette semaine.
Des éloges
Dans son message marquant l’ouverture de la semaine dédiée aux « héros » de la lutte pour la paix et la démocratie, le chef de l’Etat a souligné que grâce au combat du CNDD-FDD, le Burundi connaît quelques avancées même si le combat économique reste une préoccupation.
« Nous avons combattu pour la paix et nous l’avons obtenue. Nous avons lutté pour la restauration de la démocratie et nous l’avons rétablie. Aujourd’hui, il y a le pouvoir mis en place par le peuple lui-même. Actuellement, ce peuple exprime librement son opinion. Grâce au combat du CNDD-FDD, le pays est sorti maintenant des régimes dictatoriaux, d’oppression, discriminatoires et sans liberté d’expression ni justice », a déclaré Evariste Ndayishimiye, président de la République et président du Conseil des sages du parti au pouvoir.
Toutefois, le chef de l’Etat a révélé qu’il y a des Bagumyabanga, membres du CNDD-FDD, qui se comportent toujours comme ceux contre qui ils combattaient. Qui ont compris « la lutte dans cette logique de l’ôte-toi pour que je m’y mette » ou comme leur occasion de « manger ».
« Même si nous avons lutté pour la justice, ne voyez-vous pas qu’il y a des Bagumyabanga qui oppriment ? Qui continuent à entretenir des actes d’injustice ? Qui sont contre la démocratie ? Ici, l’’expérience de 2015 en dit long. Il y a également des Bagumyabanga qui se livrent toujours à des actes de corruption », a martelé le président Ndayishimiye.
Il a ainsi interpellé les membres de son parti à se débarrasser des pratiques des anciens régimes qui selon lui « ont détruit les richesses du pays en prenant les affaires de l’Etat comme une propriété privée ».
Au niveau du redressement économique, le chef de l’Exécutif a souligné la volonté du gouvernement de conduire les Burundais vers la prospérité. Selon lui, le combat pour le développement économique reste une préoccupation majeure.
« Nous nous disions qu’il nous faut un Burundais autosuffisant. Nous n’avons pas encore atteint ce stade. Mais, nous progressons. Aujourd’hui, il semble que la bouche ait de quoi se nourrir », a-t-il souligné.
Cette sortie du président a retenu l’attention de bon nombre d’observateurs avisés tant sur son contenu que la journée elle-même. Dans le milieu de la classe politique burundaise, elle suscite un débat.
« Le CNDD-FDD n’est pas le seul qui a combattu »
« Est-ce que le CNDD-FDD est le seul à avoir été sur champ de bataille ? Est-ce qu’il a gagné militairement pour se prendre pour un conquérant ?… On peut se poser mille et une question », maugrée Agathon Rwasa, ancien chef des Forces nationales de libération (FNL).
De son côté, Aloys Baricako, président du Rassemblement national pour le changement (Ranac), s’interroge sur le pourquoi de l’existence de la semaine dédiée aux seuls combattants du CNDD-FDD alors qu’il y avait d’autres mouvements armés sur le front qui sont nés avant lui. Ce sont notamment le Front pour la libération nationale (Frolina), le FNL et les ex-Fab. « Est-ce que ces autres n’ont pas combattu ? Est-ce qu’ils n’ont pas existé ? C’est tout simplement la logique du plus fort qui continue de gagner du terrain ».
Le président du parti Ranac souhaite que cette journée soit dédiée à tous les combattants burundais disparus dans le décombre de la guerre.
Gaspard Kobako est « acteur et témoin oculaire et auriculaire de la lutte pour la démocratie ». Il critique la manière dont cette journée est célébrée. Il suggère que cette semaine soit organisée dans le sens de la réconciliation entre les forces qui ont combattu sans en exclure les autres qui ont souffert sur le front de la démocratie.
Sinon, poursuit le président du parti Alliance nationale pour la démocratie (AND), ne pas le faire dans le cadre de tous ceux qui ont sacrifié leur vie pour le combat pour le retour de la démocratie est une façon de faire de l’autoglorification. C’est même frustrant et cela risque de donner naissance à une haine gratuite et à des sentiments de rancœur.
Et M.Kobako de s’interroger : « Faudra-t-il instaurer une journée pour tous les combattants ou consacrer la seule journée pour les combattants pour la démocratie, qui sont d’une certaine obédience ? Qui sont conviés à cette célébration ? »
Une démocratie en trompe-l’œil ?
Le président du parti UPD-Zigamibanga considère que le message du président a les allures de campagne électorale. En effet, explique-t-il, les éloges chantés par le Chef de l’Etat contrastent avec la situation politique et socio-économique que vit aujourd’hui la population burundaise.
« Les menaces à la paix et à la sécurité sont très nombreuses. La faim, l’inflation, la montée exponentielle des prix des produits de première nécessité, les difficultés liées au transport des personnes et des biens, la corruption qui s’installe dans tous les services publics et privés, le processus électoral en cours piloté par une Commission électorale monocolore etc. Tout cela nous amène à dire que les dirigeants actuels devraient plutôt revoir leur copie de la lutte », commente Abdoul Kassim.
Aloys Baricako n’est pas lui aussi d’avis avec le chef de l’Etat. Pour lui, la paix ne signifie pas seulement absence de guerre. Il y a, dit-il, plusieurs éléments qu’il faut prendre en considération pour définir ce qu’est c’est la paix, parmi lesquels figurent la sécurité. « Est-ce que quand on a faim, peut-on dire qu’il y a de la paix ? »
S’agissant de la démocratie, avance toujours le président du Ranac, c’est tout un ensemble de conditions : il faut voir la bonne gouvernance, la liberté d’expression, l’ouverture de l’espace politique. Dans la bonne gouvernance, il faut voir s’il n’y a pas de corruption, de malversations économiques ou de détournements et que la séparation des pouvoirs est garantie.
« Toutes ces conditions sont-elles réunies au Burundi ? Est-ce qu’il n’y a pas de collusions phagocytaires entre les pouvoirs institutionnels : l’Exécutif, le Législatif et le Judiciaire ? Est-ce que le Parlement joue pleinement son rôle de contrôle de l’action gouvernementale ? Je ne pense pas. Qu’en est-il de la Cour de comptes ? Sinon, pourquoi avant d’entrer dans leurs fonctions, la plupart des hautes autorités ne déclarent pas leurs patrimoines ? », s’interroge M. Baricako.
Il fait remarquer que quand bien même les institutions en place soient issues des élections, cela ne renvoie pas nécessairement à la démocratie. Puisque les élections ne sont pas synonymes de la démocratie.
« Nous sommes plutôt dans un processus de démocratisation. Mais, la démocratie n’est pas encore là. Même le multipartisme sur lequel on mise pour définir notre démocratie n’en est rien. À quelques exceptions près, les partis politiques burundais ont quelle force ? Est-ce que vous ne voyez pas que l’on tend vers un monopartisme de fait ? », conclut, Aloys Baricako.
Le président du parti Radebu considère, de sa part, le message du président Ndayishimiye comme le besoin de sauvegarder les acquis de la lutte, à savoir la restauration de la démocratie depuis 2005, la stabilité progressive des institutions, de la base au sommet, et la consolidation de la paix sociale et civile, ainsi que le renforcement des libertés politiques et individuelles.
D’après Jean de Dieu Mutabazi, ce message est un rappel que tous ces acquis n’étaient qu’une étape. « Ce n’était qu’un combat qui a été gagné et dont la finalité est le progrès, le développement ainsi que l’édification d’un Burundi émergent, et puis développé ».
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