Du 16 au 21 novembre est la semaine dédiée aux héros de la lutte pour la paix et la démocratie. Le parti Cndd-Fdd et ses membres commémorent leurs combattants morts sur le champ de bataille aujourd’hui enterrés en commune Mpanda, province Bubanza. Une occasion pour le Chef de l’Exécutif de définir l’ennemi du Burundi, encourager les Imbonerakure.
De hautes autorités membres du parti de l’Aigle, des cadres de ce parti, des anciens combattants, des handicapés de guerre sont mobilisés pour le lancement de la semaine.
Lundi le 16 novembre à Mpanda. Les invités arborent des pagnes et t-shirts aux couleurs du parti. La Première Dame est sur place.
Les festivités vont commencer par une messe de requiem à la succursale catholique de Gifurwe, paroisse Muzinda, en mémoire des combattants du Cndd-Fdd tombés sur le champ de bataille en 1997. « Que toutes nos actions et nos souhaits nous mènent à construire un pays accueillant, uni pour ses citoyens, un pays sur la voie du développement, un pays où règnent la sécurité et d’autres bonnes choses », a interpelé Abbé Innocent Ngendakumana, curé de la paroisse Muzinda.
Devant un parterre de hauts gradés, des hautes personnalités dont Gélase Ndabirabe, président de l’Assemblée nationale et membre du comité des Sages du parti, l’Abbé Ngendakumana a souligné que c’est dans ces conditions que le Très-Haut va couvrir le Burundi de bénédictions.
Pour lui, ces « vaillants combattants » voulaient que les Burundais ne soient plus persécutés, que les prisonniers soient libérés.
Après cette messe, les cérémonies se sont poursuivies au Mémorial des vaillants « combattants du Cndd-Fdd », à Mpanda, tout près de la RN9, non loin du chef-lieu de la commune Mpanda. Là, des gerbes de fleurs ont été déposées sur les tombes, nouvellement rafraîchies, « Ntihica ubwoko, hica ubutegetsi bubi » (« Ce n’est pas l’ethnie qui tue, mais un mauvais leadership »), lit-on sur une grande Croix blanche installée au milieu de ce Mémorial.
« Nous souffrons beaucoup des fils et filles du Burundi qui ont été décimés pour rien », a souligné Joseph Ntakarutimana, secrétaire général-adjoint du Cndd-Fdd. S’exprimant au nom du Cndd-Fdd, il a déploré que des dirigeants irresponsables ont semé des divisions en 1965, 1970, 1990, 2000, etc… « Depuis son indépendance, le Burundi a eu de mauvais dirigeants. Ils ont semé la haine au lieu de réconcilier les Burundais ».
Et de regretter la dizaine des combattants qui reposent à Mpanda victimes d’un mauvais leadership au maquis. « Ces jeunes gens n’ont pas été victimes d’un accident encore moins d’une maladie. Ce sont des vaillants morts au combat pour que nous puissions vivre dans la paix. Ils ont été victimes de dirigeants irresponsables au maquis. »
Il a ainsi annoncé que son parti veut un pouvoir réconciliateur, préoccupé par le bien-être des Burundais. « Il nous faut récupérer le temps perdu par une cohabitation pacifique, l’entraide et le partage », a-t-il lancé.
Le patriotisme à l’honneur
Après Mpanda, les participants se sont rendus dans les enceintes de la permanence nationale du parti Cndd-Fdd. Cette fois-ci, en présence du président de la République. « Je salue le parti Cndd-Fdd qui nous rappelle sans cesse notre parcours. Qui rappelle aux Burundais que cette journée est une journée spéciale que tout Burundais devrait avoir en sa mémoire », a déclaré le président Ndayishimiye. Pour lui, tous les Burundais devraient considérer cette journée comme une journée de paix, partager et festoyer.
Il a remercié les vétérans qui sont restés sur le champ de bataille. Un message aussi aux « vaillants héros de la paix et de la démocratie » : « Nous croyons que même aujourd’hui nous restons ensemble. » Une minute de silence a été observée en leur honneur. « Ils resteront gravés dans nos mémoires », a lancé le chef de l’Etat.
Pour le président Ndayishimiye, le Burundi a été toujours un pays de patriotes. Devant une situation d’injustice, d’invasion, il y a eu toujours des Burundais qui se sont mis ensemble pour lutter pour la paix et la démocratie : « Personne n’ignore la naissance du Palipehutu, le Frolina, le Cndd-Fdd, etc. »
Le président Ndayishimiye en a profité pour tranquilliser ceux qui ne sont pas parmi ces groupes : « Que personne ne se sente exclu. Cette journée, nous la célébrons ensemble. »
Un message aux frondeurs
Retraçant le parcours du parti Cndd-Fdd, le président Ndayishimiye a indiqué que sans la paix, rien n’est possible. « Dans le monde, on n’a pas vu un mouvement rebelle qui rentre du maquis et gagne les élections. Est-ce que le Cndd-Fdd était un groupe armé ou un parti du peuple ? Ils ne l’ont jamais compris jusqu’aujourd’hui ».
Il soutient que le parti n’appartient pas aux dirigeants, mais au peuple : « Que les cadres soient dissidents, le parti Cndd-Fdd survivra toujours. » Selon lui, certains cadres ou dirigeants adhèrent au parti en cherchant des postes. « Au cas contraire, ils partent. »
Pour le président Ndayishimiye, il est incompréhensible que certains cadres du parti se lamentent : « Quand on était sur le champ de bataille, qui savait qu’on pourrait survivre ? Comment est-ce possible qu’un sage se lamente au lieu de se réjouir ? » Il a ainsi interpelé les cadres du parti de créer de l’emploi, de remorquer les autres : « On va laisser toutes ces richesses ici sur terre. Ils ont besoin de nous. Qu’on arrête de se lamenter.»
Qui sont les ennemis du Burundi ?
Dans son discours, le président Ndayishimiye n’a pas manqué de revenir sur les ennemis du pays : « Le Burundi est très convoité. Il est envié. Mais grâce à la cohésion des Burundais, ils ont manqué de point d’entrée.»
Néanmoins, il a souligné que cela ne signifie pas qu’ils ont abandonné le projet. Il a ainsi invité les Burundais à ne pas avoir peur des déclarations des Etats-Unis, de l’UE.
D’après lui, tous ceux qui critiquent les patrouilles des Imbonerakure sont des ennemis du Burundi. « Ils cherchent à vous décourager pour trouver une brèche et nous attaquer». Il a encouragé tous les Imbonerakure présents pour cette occasion à redoubler d’efforts pour veiller : « Nous allons même enseigner le patriotisme aux enfants, voire les fœtus.»
Selon lui, même les aveugles sont concernés. « Qu’on enseigne le patriotisme, l’unité à nos enfants. Qu’on leur montre les ennemis du pays afin que le pays ne retombe plus dans la guerre». Et de hausser le ton : « Que nos ennemis soient désillusionnés. Ceux qui critiquent les patrouilles des jeunes sont des ennemis du pays. Ils n’aiment pas qu’on veille sur notre pays. Ils ont de mauvais projets pour le pays. Que nos enfants se sentent unis, qu’ils ne soient pas prisonniers de l’ethnisme. »
Citant, l’article 72 de la Constitution, le président Ndayishimiye a rappelé que tout Burundais, des étrangers vivant au Burundi sont concernés par la protection du pays. Un appel lancé aussi aux journalistes qui reçoivent beaucoup d’informations : « Ils devraient informer la police. C’est un devoir constitutionnel. »
D’après lui, le jour où les Burundais auront compris qu’il ne faut plus tuer, être injuste, il n’y aura plus de guerre. Malheureusement, a-t-il déploré, il y a une partie des Burundais qui ne rêve que du mal pour le pays, qui veut voir le Burundi à feu et à sang. « Ce sont ceux-là qui critiquent ceux qui veillent pour le pays». Et de faire un clin d’œil : « Pour vaincre l’ennemi, il faut l’éviter.»
La pauvreté, l’autre ennemi
A cette occasion, le président Ndayishimiye a avoué que les Burundais sont pauvres : « Malheureusement, ils ne travaillent pas suffisamment comme les Chinois. On se repose trois fois par jour » Il a invité les Burundais à prendre les Chinois comme modèles : « Ils mangent en travaillant. » Citant aussi les Etats-Unis, il se demande pourquoi les riches continuent de travailler dur au moment où les pauvres se reposent. « Réfléchissez-y. Combien de Burundais travaillent 8 heures par jour ? Peut-être les enseignants».
D’après lui, si on veut devenir un pays développé, il faut que tout le monde se lève et travaille. Ce qui est d’ailleurs, assure-t-il, le but du récent recensement des fonctionnaires. « C’est pour bien se préparer au combat contre la pauvreté».
Par Alain-Majesté Barenga, Emery Kwizera & Rénovat Ndabashinze
Réactions
« Injuste pour les autres combattants »
Pour l’association des anciens militaires Admh constituée par les anciens militaires de l’ancienne armée régulière Fab (force armée burundaise), cette semaine des héros est sélective. « Pour cela, elle n’a pas raison d’être », commente Cassien Bizabigomba, président de cette association. Selon lui, les anciens belligérants en uniforme à la retraite et démobilisés sont soudés et solidaires. « Car, nous partageons les mêmes peines d’avoir été délaissés. » Pour cet ancien militaire, c’est déplorable de voir que cette semaine supposée dédiée aux héros commence par le dépôt des gerbes des fleurs aux seuls combattants du Cndd-Fdd tombés au champ d’honneur. Il rappelle qu’il y avait différents protagonistes. « C’est injuste pour les autres combattants ou militaires tombés au champ de bataille. »
Pour lui, cette semaine devrait être également une occasion de rendre hommage aux anciens combattants démobilisés et retraités encore en vie. « Ils croupissent dans la misère sans assistance alors qu’ils ont contribué au salut du pays. »
Ce qui est regrettable, selon M.Bizabigomba. « Car, ceux qui sont aux commandes sont des anciens du maquis. Ils ne devraient pas oublier leurs frères d’armes en célébrant cette fête à deux vitesses».
« Des anciens combattants oubliés »
Du côté de l’association des anciens combattants du Cndd-Fdd handicapés (Anacoh), on regrette que cette semaine dédiée aux « héros » soit célébrée alors que ces ‘’invalides’’ sont livrés à eux-mêmes, sans assistance, ni soins de santé. « Cette semaine n’a pas de signification claire alors que les invalides de guerres sont dans l’oubli », déplore Emmanuel Minani, président de cette association.
Selon lui, les anciens combattants tirent le diable par la queue. « Des morts suite au manque des soins de santé. Certains ont été amputés des membres inférieurs et supérieurs. D’autres ont des plaies suite aux éclats de grenades, d’obus, etc. » M.Minani ajoute que leurs plaies ne sont plus soignées. Il déplore déjà des morts suite au cancer et d’autres maladies connexes. « Nous regrettons qu’on célèbre cette semaine au moment où les anciens combattants handicapés ont été délaissés alors qu’ils s’étaient levés à la première heure pour défendre la démocratie. »
« Une célébration destinée à une catégorie de gens »
« Nous entendons parler de la journée du combattant depuis son instauration, mais nous déplorons que cette fête soit dédiée à une catégorie de personnes », réagit Simon Bizimungu, Secrétaire général du Parti Congrès national pour la libération (Cnl). Vu son organisation et sa préparation, regrette-t-il, elle reflète une fête du parti CNDD-FDD alors qu’il y a d’autres anciens combattants. Il déplore que les cérémonies de lancement se déroulent toujours à la permanence nationale du parti au pouvoir. Ce qui sous-entend, selon M.Bizimungu, que la semaine des vaillants combattants concerne uniquement ceux qui sont au pouvoir. « Sinon, si cette commémoration était bien préparée, toute personne qui a été combattant devrait être associée. Et les activités se dérouleraient en dehors d’une permanence d’un parti. »
« La journée devrait avoir un caractère national »
Pour Kefa Nibizi, président du parti Frodebu-Nyakuri, cette journée devrait avoir un caractère national. Malheureusement, déplore-t-il, elle est préparée par le seul parti au pouvoir. Et de recommander que d’autres anciens groupes armés soient associés dans la préparation. « La paix et la démocratie que nous cherchons sont pour tout le monde et concernent tout le monde. » Ce politicien apprécie néanmoins que l’appellation de la journée ait été changée. Rappelons que pour les cérémonies précédentes, on parlait ‘’ de la journée du combattant’’.
« De la démagogie »
Selon Gaspard Kobako porte-parole du parti Cndd de Léonard Nyangoma, la célébration de la semaine est une démagogie sans nom. Pour lui, le but de cette commémoration a changé. « Cette semaine revêt une autre connotation très différente de celle des initiateurs. Aujourd’hui, ce qui se fait est une pure manipulation de l’histoire.»
Cet opposant rappelle qu’en initiant cette commémoration, l’objectif était d’honorer tous les anciens combattants sans distinction. « Mais, aujourd’hui les ouvriers de dernières heures, cadres du CNDD-FDD veulent faire de cette semaine une occasion d’auto glorification».
Pour lui, cette semaine devrait être une occasion de jeter un regard rétrospectif sur le passé douloureux. Malheureusement, regrette-t-il, elle est instrumentalisée par le CNDD-FDD. « Ce qui risque de réveiller les vieux démons du passé.»