« Sensibiliser le public aux problèmes de santé », tel est l’objectif de la Journée Mondiale de la Santé Mentale, célébrée chaque année le 10 octobre. L’objectif est de faire mieux connaître les questions de santé mentale et d’améliorer l’aide aux personnes touchées. Jadis, l’instabilité mentale n’était pas considérée comme une vraie maladie mais plutôt comme une conséquence de sorcellerie ou de mauvais sorts jetés aux victimes par des « ennemis occultes ». De nombreux facteurs favorisent la détérioration de la santé mentale. C’est un véritable problème de santé publique.
Dossier préparé par Emelyne Ndabashika, Unique-Yvette Irakoze, Darlène Irakoze ; Francine Ningabire, sous l’encadrement de Simon Kururu
Dans le préambule de la Constitution de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) adoptée à New-York lors d’une conférence internationale tenue du 19 juin au 22 juillet 1946, la santé a été définie comme « un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ».
Ainsi, la santé mentale fait partie intégrante du bien-être général et en est une composante essentielle. Elle est déterminée par un ensemble complexe de pressions et de vulnérabilités d’ordre individuel, social et structurel.
Dans ce domaine, il faut agir de toute urgence. Car, sans une bonne santé mentale, les individus ne peuvent pas affronter les sources de stress de la vie.
Ils ne peuvent pas réaliser leur potentiel : bien apprendre et bien travailler, et, ainsi, contribuer à la vie de la communauté. La santé mentale est un droit fondamental de tout être humain. C’est aussi un aspect essentiel du développement personnel, communautaire et socioéconomique.
Qu’est-ce que la santé mentale. Qu’est-ce que la maladie mentale ?
Une bonne santé mentale, se traduit par un équilibre dans tous les domaines de la vie d’une personne : socialement, physiquement, spirituellement, émotionnellement et psychologiquement. Le défaut d’une bonne santé mentale conduit aux maladies mentales qui se présentent sous plusieurs formes.
Les maladies liées à la santé mentale sont notamment la dépression, les addictions (pathologies cérébrales définies par une dépendance à une substance ou une activité, avec des conséquences négatives et potentiellement dangereuses), les troubles liés à la consommation de drogues ou d’alcool, l’anxiété et les phobies, les troubles de comportement alimentaires, les troubles schizophréniques (qui affectent la capacité d’une personne à réfléchir, à ressentir et à se comporter de manière claire).
Il y a également les troubles bipolaires (hyperactivité, agitation et énergie débordantes, sentiment exagéré de son importance, de son pouvoir et de son savoir, de son identité ou de ses relations privilégiées, désir de parler tout le temps), le borderline qui se caractérise par une tendance constante à l’instabilité et l’hypersensibilité dans les relations interpersonnelles, l’instabilité au niveau de l’image de soi, des fluctuations d’humeur extrêmes, et l’impulsivité.
Les maladies mentales ont la particularité de perturber la façon de penser et le comportement des individus. Les causes principales des maladies mentales sont notamment : le stress, les événements de la vie courante, l’alimentation, l’inactivité physique, la consommation de substances psychoactives. Ces facteurs environnementaux sont nombreux.
Le stress a comme symptômes la sensibilité et la nervosité accrues, les crises de larmes, l’angoisse, l’excitation, la tristesse, la sensation de mal-être. Il existe des symptômes intellectuels comme la perturbation de la concentration, entraînant des erreurs et des oublis, des difficultés à prendre des initiatives ou des décisions.
En ce qui concerne les substances psychoactives pouvant entraîner des troubles mentaux, il y a les drogues licites et les drogues illicites. Les drogues licites sont vendues dans le commerce.
C’est notamment le tabac, l’alcool, les antidouleurs puissants autorisés en médecine comme la morphine, les produits de substitution au tabac et à la drogue, les psychotropes ou médicaments destinés au traitement des maladies mentales. Les drogues illicites sont le cannabis ou chanvre indien, la cocaïne, l’ecstasy, l’amphétamine, etc.
La dépression est la maladie mentale la plus fréquente. Elle survient à tout âge et elle est plus répandue chez l’adulte, mais en augmentation chez les jeunes.
Le surmenage, la solitude, des événements difficiles ou traumatisants (problèmes financiers ou professionnels, insécurité) peuvent favoriser une dépression. Souvent, son apparition suit la perte d’une personne, lors d’un deuil, d’une séparation, du départ d’un enfant du domicile des parents, par exemple.
Les signes de la dépression sont notamment les troubles du sommeil, de l’alimentation et de la vie sexuelle, une sensation de fatigue chronique, l’anxiété, le pessimisme, la diminution de l’estime de soi, le manque de motivation, la diminution des ressentis affectifs.
Le traitement des maladies mentales au Burundi
Dans le Burundi traditionnel, quand quelqu’un était frappé d’une maladie mentale et s’agitait, on le ligotait, et on le conduisait chez des médecins traditionnels, dont certains étaient réputés comme ayant des potions efficaces contre le mal.
Des patients voyaient leur état s’améliorer, alors que d’autres sombraient. Ils étaient alors stigmatisés, rejetés, abandonnés. Personne ne voulait les approcher.
Il n’était pas rare de les voir tout nus ou en haillons, noircis par la saleté, déambuler sur les sentiers qui serpentent sur les mille et une collines du Burundi, et, dans les rues des petites et grandes villes comme Bujumbura et Gitega.
Lorsque fut inauguré en 1949 l’Hôpital Prince Régent Charles, un département de neuropsychiatrie a été créé. Il desservait toute la population du Rwanda, du Burundi et de l’Est du Congo.
Ce département était appelé tout bonnement « mu basazi – chez les fous ». Les souvenirs récoltés auprès d’anciennes personnes qui ont connu cette période parlent d’un psychiatre, Docteur Secryne, en place dans les années 1960 jusqu’aux environs de 1974. L’orthographe de son nom n’est pas sûre. Mais en kirundi on disait Dr Sekirine ou Sakerine). Il avait apporté des innovations dans la prise en charge des patients.
Certains parmi ceux dont la santé s’améliorait étaient encadrés pour aller cultiver des lopins de terre autour d’Afritextile actuelle et dans le quartier Kigobe, inhabité à l’époque. Leurs récoltes étaient amenées dans leur pavillon de l’HPRC et contribuaient à améliorer la ration.
D’autres étaient orientés dans le petit commerce. Ils étaient domiciliés au Quartier 3 de Ngagara et tenaient une boutique alimentaire. Après le Docteur Secryne, il y aurait eu un autre médecin psychiatre, Dr Petrov. Mais, à la fin des années 1970 et début 1980, le personnel spécialisé a fait défaut.
Après l’arrivée au pouvoir du Colonel Jean-Baptiste Bagaza le 1er novembre 1976 et son plan triennal de redressement nationale, la prise en charge de la santé mentale a été inscrite parmi les priorités.
Des recherches ont été menées pour chercher des organisations spécialisées dans le domaine. C’est ainsi que la Congrégation des Frères de la Charité de Gand en Belgique a été identifiée.
Cette congrégation, fondée en 1847 avait une expérience avérée dans la prise en charge des malades mentaux, des personnes âgées et des personnes avec handicaps comme les sourds et muets.
Dans la région des grands-lacs africains, elle était célèbre pour avoir géré le Groupe Scolaire d’Astrida (Butare aujourd’hui) au Rwanda, l’Ecole Normale des Garçons (ENG) de Gitega, l’Ecole Technique Secondaire de Kamenge (ETS).
Dans le secteur de la santé mentale, en juillet 1968, la congrégation avait créé le Centre Neuropsychiatrique de Ndera au Rwanda. Des burundais y étaient parfois orientés pour avoir des soins appropriés.
Un accord a été signé entre le Gouvernement du Burundi et la Congrégation des Frères de la Charité en 1980. Dans la foulée, le Centre Neuro Psychiatrique de Kamenge a vu le jour en 1981.
Il a le statut d’une Association Sans But Lucratif (ASBL). Les quatre membres fondateurs sont : le gouvernement représenté par le Ministère de la Santé Publique et de la Lutte contre le Sida, qui a comme rôle de donner les directives en matière de politique de la santé, fournir le personnel soignant et accorder des subsides à l’hôpital ; la Congrégation des Frères de la Charité qui assure la direction du CNPK ; l’église catholique représentée par l’archevêque de Bujumbura et, l’Organisation Non Gouvernementale belge Fracarita qui s’occupe de la mobilisation des fonds (fundraising) surtout à l’étranger.
Les activités ont commencé dans les locaux de l’ancienne école de formation des futurs frères de la charité (noviciat) de Kamenge. Tous les patients traités dans le département réservé aux malades mentaux de l’Hôpital Prince Régent Charles, leurs dossiers et le personnel soignant ont été transférés dans la nouvelle structure.
Parmi les célébrités qui ont presté au CNPK, il y a le fameux Docteur Legentil, un psychiatre, d’où la désignation populaire du CNPK comme « Chez Legentil ».
Il y a aussi feu le Président Melchior Ndadaye qui y a passé quelque temps comme psychologue, et, le Docteur Sylvestre Barancira, psychiatre.
Le CNPK en bref
Le CNPK est structuré pour s’occuper des patients qui sont amenés par les familles ou y sont référés par les formations sanitaires du pays. Il y a plusieurs services ou pavillons, notamment : le pavillon des urgences dans lequel les patients passent quelques heures, jusqu’à 72 heures pour être observés, les pavillons pour hommes et femmes.
Chaque pavillon est divisé en trois parties : une partie réservée aux personnes encore très agitées, une autre pour les patients stables et une troisième pour les améliorés. La durée de séjour dans les pavillons dépend de l’évolution du patient. Dans chaque pavillon, il est affecté un médecin, un infirmier, un psychologue, un cadre social, un chargé de la pastorale.
Quand la santé d’un patient s’améliore, il peut bénéficier de week-ends thérapeutiques et rentrer à la maison. Objectif du week-end thérapeutique : voir s’il peut se réintégrer et vivre normalement avec les autres membres de la famille. En cas de rechute, il retourne au CNPK.
Dans le pavillon pour les améliorés, le personnel du CNPK essaie d’amener les patients à vivre comme en famille. Ils effectuent des travaux de tous genres.
Alors que les autres pavillons sont fermés et la sortie rigoureusement contrôlée, chez les améliorés, il n’y a pas de clôture. Les malades sont préparés à retourner dans leur cellule familiale d’origine. On leur laisse une certaine liberté de mouvement.
Comme il peut y avoir des mamans qui sont hospitalisées alors qu’elles ont des enfants, il y a dans les pavillons, des chambres qui leur sont réservées.
Mais, dans la mesure du possible, quand une maman est en crise aiguë, l’enfant est remis à la famille. Afin d’améliorer la prise en charge de cette catégorie de patients, des procédures sont en cours pour aménager un pavillon mère-enfant au CNPK.
Il y a en plus une prise en charge particulière pour les personnes en âge avancé. On leur réserve des chambres communes et des chambres individuelles selon les besoins.
La prise en charge en « ergothérapie »
Le CNPK a en plus un service d’ergothérapie. L’ergothérapie est une profession de santé qui vise à aider les personnes ayant des difficultés physiques, morales ou sociales à retrouver, développer ou maintenir leur autonomie dans les activités de la vie quotidienne.
C’est en peu de mots un service qui prépare les patients pris en charge au CNPK améliorés ou guéris à la réintégration socio-professionnelle ou à la réhabilitation psychosociale.
Les ergothérapeutes travaillent avec des patients de tout âge qui peuvent avoir subi des accidents, des maladies mentales, des handicaps congénitaux ou des troubles cognitifs.
Leur intervention peut concerner diverses activités telles que l’habillage, la mobilité, l’alimentation ou encore l’exercice d’une activité professionnelle.
Comme l’explique Salvator Ndikumagenge, le Chef de Service Ergothérapie au CNPK, ce service de réintégration sociale est un cadre d’épanouissement : « dans ce service, les patients échangent des expériences, ce qui rend moindre la lourdeur de l’hospitalisation, ils développent leur potentialité, leur capacité pour rendre meilleur leur avenir ». La prise en charge en ergothérapie se fait normalement en trois catégories : prise en charge individuelle, prise en charge de groupe et prise en charge intermédiaire.
La prise en charge individuelle n’est pas beaucoup utilisée suite au manque de prestataires suffisants dans ce service. La prise en charge en groupe est la plus utilisée.
Plusieurs activités sont menées par les patients, comme l’hygiène vestimentaire, l’hygiène corporelle, l’hygiène de l’entourage et de l’environnement. Il y a des activités de divertissement comprenant la musique, le sport et la promenade.
Des activités artisanales qui portent notamment sur le tissage et la broderie ainsi que des activités expressives couvrant le dessin, la peinture et la poterie sont organisées.
En ce qui concerne la prise en charge intermédiaire, elle se caractérise par une prise en charge individualisée en groupe. Elle est la plus utilisée, car, elle permet de relever le défi lié au manque de prestataires ou de spécialistes ergothérapeutes en nombre suffisant. Malheureusement, il n’y a que deux ergothérapeutes au CNPK.
Le soutien social, une nécessité
L’un des services qu’offre le CNPK, c’est bel et bien le soutien social. Ce service accompagne le malade depuis son entrée au centre peu importe son état, jusque à sa sortie. En cas de besoin, on le suit à son domicile pour appuyer la réinsertion sociale et socio professionnelle.
Tous les patients qui arrivent aux urgences sont suivi par le chargé du volet social. Il vérifie si le patient a un accompagnateur. S’il a passé par exemple des jours dans la brousse, on le lave, on lui enlève les chiques, on l’habille avec des vêtements propres collectés par Caritas Burundi. On lui donne d’autres biens comme les serviettes hygiéniques pour les femmes. Les indigents sont d’office nourris par l’hôpital.
Ceux qui paient les frais et ont des garde-malades bénéficient aussi de l’accompagnement nécessaire à travers des séances de sensibilisation faites chaque matin avec leurs garde malades. Ces garde-malades sont incités à ne pas stigmatiser les patients et à être patients avec ceux qui ont des problèmes mentaux.
Il arrive aussi qu’une fois qu’il retourne au travail, une personne qui a été diagnostiquée avec des problèmes mentaux se retrouve rejetée par son patron, sa famille et la société, Dans ce cas le CNPK écrit une lettre ou se rend physiquement sur site pour signaler que la personne est guérie.
Les problèmes auxquels fait face le CNPK est que souvent, certains parmi ceux qui amènent des patients leur rendent visite pendant quelques jours, sont découragés et les abandonnent. Car la guérison est très lente. Cela favorise les rechutes.
Les violences faites aux femmes : un fléau silencieux qui détruit la santé mentale des victimes.
D’après le personnel soignant au CNPK, dans notre pays le Burundi, chaque jour, des milliers de femmes sont victimes des violences physiques, verbales ou psychologiques. Ces violences laissent des cicatrices parfois invisibles mais profondes qui se traduisent par la dépression, l’anxiété, les troubles du sommeil.
Les violences conjugales sont parmi les facteurs majeurs qui exposent les femmes aux troubles mentaux. Ainsi, plusieurs des patientes admises au CNPK souffrent de la conjugopathie.
Un trouble psychique s’apparentant à la dépression pouvant dans certains cas mener au suicide. Elle résulte de relations conjugales insatisfaisantes. La souffrance ressentie concerne les deux partenaires et est auto-entretenue par le couple lui-même.
Privées de leurs droits de plusieurs manières, frappées, abusées sexuellement par leurs propres maris, certaines cèdent à la dépression sévère. Ainsi, l’année dernière, il y a eu au CNPK 2023 consultations des femmes dépressives contre 423 cas d’hommes dépressifs.
« Les femmes sont plus susceptibles de tomber dans la dépression », a indiqué Dr Godelieve Nimubona, psychiatre au CNPK. « Le fait d’avoir une personnalité faible c’est à dire prédisposée à une maladie mentale explique pourquoi les personnes vivent un traumatisme similaire mais ne répondent pas au stress de la même façon », a-t-elle ajouté.
Parmi les victimes, il y a des femmes qui sont internées avec leurs nouveaux nés, généralement à cause de la psychose du post-partum. Un trouble psychique qui se manifeste pendant les premières semaines qui suivent l’accouchement résultant de conditions vécues durant la grossesse ou du manque de soutien familial. « Quelques-unes confient qu’elles n’ont personne pour s’occuper d’elles après l’accouchement, leur préparer la nourriture par exemple. Bref, qu’elles n’ont pas le soutien de leur mari même dans cette période avec tant de responsabilités », a dit une infirmière du CNPK.
Et d’ajouter, les petits enfants se trouvant dans le centre avec leur mère courent un grand danger car d’autres malades en état d’inconscience peuvent leur faire du mal.
Des fois, les gardes malades amènent aussi des enfants, c’est un stress total pour le personnel de l’hôpital. Entre les cris des patientes en pleine crise et les pleurs des bébés, les nerfs restent tendus.
D’après le personnel du CNPK, les femmes rurales subissent particulièrement différentes sortes de violences car elles ne sont pas sensibilisées à propos des droits de l’homme en général, de leurs droits en particulier.
Ceci entraine un grand nombre de cas de maladies mentales chez elles, suite à l’incompréhension familiale, à la pauvreté et aux médicaments qui sont chers.
Le manque de médicaments conduit ainsi à des rechutes. Cela fait basculer totalement la vie des femmes, car souvent, leurs conjoints se remarient. Plusieurs des victimes hospitalisées sont chassées de leur ménage et retournent chez les parents. Ce qui aggrave leur chagrin mental.
Uwimana Paula, Psychologue au CNPK explique que tout acte portant atteinte à la dignité humaine, qu’il soit verbal ou physique a un impact négatif à long terme sur les pensées de la victime.
Les femmes qui subissent des viols conjugaux, les jeunes filles abusées sexuellement courent un grand risque de développer une maladie mentale à l’avenir.
Ces mauvais souvenirs tournent en boucle dans la mémoire, et cela fait mal. Elle interpelle tout un chacun à être prudent et indulgent à partir des paroles qu’il prononce et des actes qu’il pose. Un stress permanent est un facteur favorisant la maladie mentale.
Vers la décentralisation des activités de prise en charge de la santé mentale
Un seul hôpital ne peut pas répondre aux besoins en prise en charge de la santé mentale au Burundi. C’est pourquoi le Gouvernement du Burundi a initié en 2020 le programme « Ni abacu », avec l’appui financier de la coopération suisse.
Il vise à intégrer les soins de santé mentale dans le système de santé du pays. Le programme est actif dans quatre provinces : Bujumbura Mairie, Ngozi, Rumonge et Gitega. Ce programme s’appuie sur un modèle d’intervention en quatre volets.
Le volet clinique est piloté par le Centre Neuropsychiatrique de Kamenge (C.N.P.K.). Son objectif est de garantir aux patients souffrant de troubles mentaux un accès aux soins sur l’ensemble du parcours médical, du centre de santé à l’hôpital de référence de troisième niveau.
Contrairement aux anciennes cliniques mobiles, ce programme met un accent particulier sur la formation continue des prestataires de santé (infirmiers et médecins) dans les centres de santé des zones concernées, afin d’assurer la continuité des soins bien au-delà de la durée du projet.
Le volet formation contribue à la mise en place d’un système de formation universitaire et postuniversitaire en santé mentale. L’objectif est de former deux médecins et deux infirmiers par hôpital de district sanitaire, un médecin et deux infirmiers par hôpital communautaire, deux infirmiers par centre de santé et un gestionnaire du système d’information sanitaire par structure sanitaire.
Et cela dans les structures sanitaires publiques et confessionnelles. Ainsi, pour le volet spécialisation des médecins, 27 médecins ont été envoyés et éparpillés au Bénin, au Sénégal et en Tanzanie pour se spécialiser en psychiatrie. On attend 11 spécialistes en psychiatrie qui seront de retour sur le territoire burundais en 2025.
Le volet communautaire est piloté par l’organisation non gouvernementale Trauma Healing and Reconciliation Services (THARS). Il contribue à réduire la discrimination des personnes atteintes de maladies mentales, dont les traumatisés des crises sociales.
Le volet recherche vise à renforcer l’utilisation des données (recherches en santé mentale) pour des orientations stratégiques au niveau national en santé mentale basées sur des évidences.
Les différents défis
D’après le Révérend Frère Marcus Ciza, Directeur Général du CNPK, le domaine de la psychiatrie est très négligé au Burundi. Il fait face à de nombreux défis.
Premier défi :Il y a un manque cruel de médecins psychiatres et de techniciens bien formés. Aujourd’hui, sur tout le territoire national, il n’y a que 3 psychiatres.
Un psychiatre est un médecin spécialiste. En plus d’une formation de médicale générale, il a une formation supplémentaire de cinq ou six ans pendant laquelle il se concentre sur les maladies mentales.
Avec un personnel insuffisant on ne peut pas s’occuper adéquatement des malades et assurer une prise en charge efficiente. Car, la grande partie de la prise en charge des problèmes mentaux se résout par l’entretien, l’écoute du patient ou sa famille.
Second défi : un nombre élevé de malades alors que les locaux sont insuffisants. Fin septembre 2024, il y avait 159 patients pour une capacité d’accueil de 120 lits. A titre d’exemple le pavillon des femmes avait 41 patientes alors que normalement elles ne devraient pas dépasser 30. Le pavillon A des hommes avait 38 patients alors que la capacité était de 30.
Le pavillon B des hommes avait 50 alors qu’il y a de l’espace pour 30. Les urgences avaient 14 patients, pour une capacité d’accueil de 10 personnes. Les matelas sont insuffisants et des patients dorment à même le sol.
Troisième défi : souvent, au lieu d’acheminer les patients dans les formations sanitaires, les familles les emmènent dans des chambres de prière ou chez des tradipraticiens puisque d’après les croyances populaires, ils sont remplis de démons et doivent être exorcisés.
Conséquence, les patients arrivent en urgence psychiatrique étant très mal en point, totalement incontrôlables et cela complique encore plus la tâche des soignants.
Quatrième défi : Les médicaments utilisés en psychiatrie coûtent très cher. Et, il y a parfois des ruptures de stock, ce qui conduit à des rechutes des patients. Si les médicaments tranquillisants manquent, on ne peut pas stabiliser les malades et procéder à tous les examens nécessaires.
Cinquième défi : Les familles ne comprennent pas l’état de leurs proches malades et beaucoup refusent de collaborer avec l’équipe soignante pour le rétablissement rapide du patient.
Parfois, il y a des abandons lorsque la famille du malade n’a pas de grands moyens et trouve trop lourds le fait de s’occuper d’un malade mental. De plus, la stigmatisation rend les malades trop agressifs et beaucoup font des rechutes et reviennent se faire soigner puisque ne pouvant pas être réintégrés facilement dans la société.
Le personnel du CNPK recommande la sensibilisation massive de la population sur la santé mentale et les conséquences qu’engendrent les mauvais traitements.
Il faut engager plus d’agents communautaires qui sensibilisent les populations sur les effets
majeurs de ces violences surtout conjugales. Le CNPK sollicite un soutien solide pour leur projet de décentralisation afin que les victimes des maladies mentales puissent facilement accéder aux soins dans leur localité.