Vague d’arrestations dans cette localité après la tentative d’assassinat du chef de zone Muyira en commune Kanyosha de la province Bujumbura, dans la nuit de vendredi 25 octobre. Le Congrès national pour la liberté (CNL) dénonce une chasse à l’homme envers ses militants.
Enquête réalisée par Edouard Nkurunziza et Fabrice Manirakiza
En observant le petit village de Rweza, du haut de la colline Kavumu, non loin du Monument de l’Unité, rien d’inhabituel dans cette partie du sud-est de la capitale. Certaines mamans, bébés sur le dos, cultivent leurs champs dans la vallée. Un petit panier sur la tête, d’autres se pressent pour aller préparer la nourriture. Leurs enfants vont bientôt rentrer de l’école. Dans les salles de classe, adossées au flanc de la colline, des élèves suivent leurs cours, indifférents…
Tout paraît normal. Et pourtant, une autre réalité, triste, se cache dans la plupart de ces maisons plantées sur Rweza. La population vit dans une peur panique, elle est furieuse. «Plusieurs personnes sont en train d’être arrêtées sur notre colline et même sur d’autres collines de la commune Kanyosha», confie une maman revenue des champs.
La peur règne sur cette localité. Les gens s’épient. Des sources parlent de ‘’chasse à l’homme’’. Nous posons des questions. Certains, méfiants, nous regardent de travers et continuent leurs chemins. Des questions fusent: «Vous êtes qui vous?» On explique que nous sommes des journalistes du Journal Iwacu. Alors, les langues se délient petit à petit.
«Depuis qu’on a tiré sur notre chef de zone, nous vivons dans la peur. On s’attend toujours à des arrestations. C’est pourquoi on était méfiant», explique un cinquantenaire de cette localité. «Depuis vendredi soir, une certaine catégorie de gens se font arrêter. Certains sont même déjà arrivés à la prison centrale de Mpimba», renchérit une autre femme en train de cultiver son champ sur les hauteurs de Kavumu.
Elle s’étonne d’une chasse sans précédent. «Même des responsables du CNL habitant des localités éloignées sont arrêtées».
La peur se ressent à l’intérieur de Rweza. A la vue des gens inconnus, des adultes rentrent à l’intérieur de leurs maisons. Des enfants nous guident vers la maison du chef de zone Muyira, Gédéon Mpitabavuma.
Ce dernier a failli être tué vendredi dernier à quelques mètres de son domicile. Il est toujours à l’hôpital. Son épouse, Valérie Ndayisenga, est dans la cuisine. Elle prépare le repas de midi. Elle est traumatisée par cet évènement. «Je ne veux même pas y penser. La famille a peur. Les criminels peuvent revenir pour terminer leur travail».
Tant bien que mal, elle raconte ce qui s’est passé le vendredi 25 octobre : «On était dans la maison, nous avons entendu une détonation aux environs de 19 heures. Par après, j’ai entendu mon mari crier : on vient de me tirer dessus». Toute la famille s’est précipitée pour voir ce qui se passe. «Nous avons rencontré des gens qui couraient dans tous les sens en criant : «Baradukwegeye» (Ils nous attirent des ennuis)».
Et puis, des arrestations…
A 20h, témoignent les habitants de Rweza, les policiers sont arrivés. «Ils ont encerclé toute la colline. Accompagnés par des Imbonerakure, ils ont commencé des fouilles dans les ménages. Bizarrement, ce sont les gens du CNL qui étaient ciblés.»
Dans la foulée, une quinzaine de personnes sont interpellées. «Ils ont commencé à arrêter Adrienne et son mari et leur fils Golden Gate Arakaza. Ce sont les Imbonerakure qui pointaient du doigt les gens à arrêter. Presque une quinzaine de personnes ont été arrêtées».
Ce qui étonne les habitants de Rweza, c’est ce laps de temps entre la tentative d’assassinat et les arrestations. «Pourquoi on cible des gens du même parti politique ? Et en plus sans mandat d’arrêt?», s’interrogent les gens. «Normalement les enquêtes devaient concerner tout le monde».
Le lendemain, plusieurs militants du CNL sont aussi arrêtés. «On cible les responsables du parti. Même le responsable du parti au niveau de la commune est à Mpimba». Ceux qui n’ont pas été appréhendés ont fui la zone. «On s’attend toujours à des arrestations. Plusieurs de nos militants vivent dans la clandestinité. On parle même des arrestations au sein du bureau politique au niveau national du parti». Aujourd’hui, la liste des militants du CNL arrêtés s’allonge.
«Un probable montage»
Au vu des arrestations sélectives en cours, les habitants de Rweza nourrissent des inquiétudes. Ils redoutent un montage visant la réduction au silence des militants du CNL. Surtout qu’ils ont encore en mémoire, dans leur localité, un autre ‘’scénario de montage’’ d’il y a deux ans…
Selon des témoignages concordants, en 2017, deux jeunes Imbonerakure de Rweza avaient été assassinés devant le domicile de Thierry Nkurunziza, alors représentant provincial du FNL à Bujumbura. Par la suite, ce dernier avait été arrêté puis emprisonné avec un certain Kigoma, également populaire à l’époque dans ce parti d’Agathon Rwasa. Les deux sont encore incarcérés à Mpimba.
Selon ces habitants, les assassins s’étaient révélés être des Imbonerakure. «Ils avaient accompli une mission donnée par le chef de zone qui voulait éliminer l’un des deux, alors son concurrent au poste de chef de zone», soulignent ces habitants, précisant que les assassins ont été arrêtés puis libérés.
Pour eux, cette tentative d’assassinat pourrait être du camp de la victime, hostile aux militants de Rwasa. «Un opportuniste aurait monté un coup pour aboutir à ses fins, à savoir la traque des CNL à Kanyosha.» Car à proprement parler, il n’y avait aucun litige qui opposait Gédéon aux CNL. «Difficile donc de s’imaginer que ses bourreaux puissent provenir de ce parti».
D’ailleurs, au vu du climat qui régnait ces derniers jours à Rweza, l’hypothèse d’un crime commis par ses co-partisans est plus probable. «Le montage aurait été préparé un peu avant», estime un jeune homme de Rweza qui dit avoir vu un mouvement singulier et inquiétant, depuis mercredi.
Selon cet habitant, B. et D., deux jeunes Imbonerakure de Kibuye, faisaient visiblement le guet depuis mercredi 23 octobre, à l’entrée de Rweza, côté Kavumu. «Ils se pointaient là, notamment le soir, surveillant les allées et venues». D’après lui, c’était inhabituel, suspect. «Peut-être qu’ils voulaient s’assurer de la présence de certains éléments recherchés, trouver le moment propice pour réaliser le montage.» J’avais déjà redouté quelque chose, confie-t-il, que je n’aie guère été surpris vendredi quand j’ai appris la mauvaise nouvelle.
70 militants du CNL emprisonnés depuis son agrément
Didace Nzambimana, responsable du CNL en province Bujumbura, ne comprend pas cet acharnement contre leurs militants. «Les enquêtes devraient concerner tout le monde. Pourquoi s’acharner sur une certaine catégorie de personnes».
D’ailleurs, il ne comprend pas comment on arrête les gens dans toute la commune alors que cette tentative d’assassinat a eu lieu à Rweza. Ce responsable déplore ce qui s’est passé. «Nous ne voulons pas que notre province soit un bastion des criminels mais la justice doit faire son travail convenablement».
Il demande aux militants du CNL de rester sereins et de respecter toujours les autorités. «Cet acharnement ne doit pas nous faire douter. La politique est comme ça»
Depuis l’agrément du CNL, plus de 70 militants de la province Bujumbura sont incarcérés à la prison centrale de Mpimba. «Ils ont rejoint 84 autres qui étaient déjà écroués avant notre agrément»
«Même en cas de dispute familiale, les voisins interviennent, interrogent les parties en litige». Telle est la réaction de Jean Berchmans Munzerere, administrateur de la commune Kanyosha, aux arrestations en cours.
Ainsi, des enquêtes doivent être conduites sur cette tentative d’assassinat. Cet administratif soutient ignorer si les présumés criminels sont des militants d’un seul parti. «Chacun doit subir l’interrogatoire, se justifier face aux accusations. Le criminel n’a pas d’autre identité que celle de criminel».
Pour lui, les criminels ne doivent pas se cacher derrière leur appartenance politique ou religieuse. «Ils sont poursuivis individuellement, en tant que Philippe, André, Berchmans… non pas sur base de leurs partis politiques».
S’agissant des suspicions de montage, Jean Berchmans Munzerere soutient qu’elles ne seraient pas fondées. Car en 2017, il y a eu des arrestations et, au bout des enquêtes, certains ont été libérés. «Chaque fois qu’un crime est commis là où il y a du monde, des gens doivent nécessairement être arrêtés pour des enquêtes», assure-t-il, avant d’ajouter : « S’il y a, parmi les détenus, des gens qui n’étaient pas sur le lieu du crime, c’est qu’ils sont cités par ceux qui ont été arrêtés avant».
Le procureur de la province de Bujumbura n’a pas voulu répondre aux questions des journalistes d’Iwacu.