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Politique

Rwanda : la contagion d’outre-Kanyaru

29/04/2013 Commentaires fermés sur Rwanda : la contagion d’outre-Kanyaru

De novembre 1959 à septembre 1961 et même après, le Rwanda connaît des bouleversements qui vont marquer ce pays à jamais. Des réfugiés tutsi rwandais se retrouvent au Burundi. Marqués par leur histoire, en 1972, ils se rangent plus ou moins du côté des Tutsi burundais.

Juvénal Havyarimana et Grégoire Kayibanda lors d'un réception ©dr
Juvénal Havyarimana et Grégoire Kayibanda lors d’un réception ©dr

La « révolution sociale » rwandaise pilotée par Grégoire Kayibanda, le leader du Parmehutu, Parti du mouvement de l’émancipation des Bahutu, bat son plein dans les années 1960. Dès 1957, il publie un ’’Manifeste des Bahutu’’, il dénonce une sorte de ’’monopole tutsi’’ dans plusieurs secteurs de la vie.
La montée de l’ethnisme atteint son paroxysme en 1960 quand le Parmehutu déclare que le « Ruanda est le pays des Bahutu ». Des Tutsi, une ’’minorité d’envahisseurs’’ sont considérés comme des étrangers dans leur propre pays. Il faut qu’ils retournent « chez leurs pères en Abyssinie ».

Des enclos des Tutsi sont attaqués par leurs voisins hutu, les autorités coutumières tutsi sont remplacées par des bourgmestres hutu avec une complicité de l’administration coloniale belge. Le roi Kigeri V part du Rwanda le 25 Juillet 1960. La monarchie est renversée et la République est proclamée.
D’après Jean Pierre Chrétien (dans son livre Burundi 1972, au bord des génocides), cette « révolution sociale », fruit d’une idéologie ethno-sociale fonde un « modèle rwandais » où le « peuple majoritaire » au pouvoir est assimilé à une race selon l’équation « Peuple = Hutu = Bantous ».

Des dizaines de milliers de Tutsi sont jetés sur la route de l’exil : on en dénombre déjà 150.000 en 1963. Une première vague de réfugiés déferle sur le nord du Burundi dès 1959. « Plusieurs réfugiés sont accueillis par des familles tutsi, des mariages sont célébrés, voire encouragés mais on se méfie des Hutu », souligne Romuald Kagambage, un ancien réfugié rwandais au Burundi rencontré à Kirundo. « On avait nos raisons, après tout, ce sont leurs cousins d’outre Kanyaru qui nous avaient chassés », tient-il à signaler.

En décembre 1963, des centaines de réfugiés tutsi armés de lances, de flèches, d’arcs et de quelques fusils tentent une incursion au Sud-est du Rwanda dans le Bugesera, une sorte de ’’reconquista’’. Le camp militaire de Gako est attaqué par ces ’’Inyenzi’’ (cancrelats), un surnom donné à ces maquisards par les officiels rwandais de l’époque. Bilan de ce raid : 4 militaires tués. Ils s’emparent également de quelques armes et des munitions.

Dopés par ce petit succès, ils n’ont qu’un objectif : attaquer Kigali. Mais ils ne trouvent que deux jeeps pour cette mission. Leur avancée sera stoppée sur le pont de la rivière Nyabarongo au sud de Kigali par des unités de la Garde nationale bien équipées et commandées par des officiers belges. C’est la défaite et la débandade.
« Ils étaient téméraires », reconnaît le Dr. Roger Rushingabirwi, un médecin rwandais (la cinquantaine) établi à Ngozi, il est aujourd’hui naturalisé burundais. Sa famille est arrivée au Burundi bien avant les premiers troubles survenus au Rwanda. « Il y a un certain Rukeba, un maquisard qui était hébergé au camp militaire à Kirundo », fait remarquer le Dr. Rushingabirwi.

Le Roi Kigeri ©dr
Le Roi Kigeri ©dr

« Dans les milieux des réfugiés rwandais tutsi, tout le monde sait que c’est un certain Nyanka, un commandant de camp à Kirundo qui aurait donné quelques fusils à ces combattants décidés de regagner la mère-patrie par la force », souligne F. Kayitana, un ancien réfugié rwandais rescapé de Gikongoro au sud du Rwanda où plus de 10 000 Tutsi périssent, massacrés par leurs voisins entre le 24 et le 28 décembre 1963. Prémonition ou préfiguration du génocide, une chose est sûre, le spectre de la ’’Shoah’’ version rwandaise plane déjà. Une peur diffuse est perceptible en milieu tutsi au Burundi.

Contrer le péril hutu et combattre l’apartheid tutsi

Ce qui s’est passé au Rwanda a eu des conséquences au Burundi. C’est certain. L’élite hutu du Burundi suivait de près ce qui se passait au Rwanda. Quand les événements de 1972 surviennent, le contexte rwandais va peser au Burundi : « Quand cette crise sans précédant éclate, certains réfugiés rwandais n’hésitent pas à sortir de leur réserve », se rappelle A. N., jeune adolescent à cette époque, mobilisé tout comme la plupart des réfugiés rwandais pour remplacer les enseignants qui manquaient à l’appel, emportés par ces ’’événements de 1972’’.
« Il y a un certain Alphonse Gatari, un rasta, il était un peu bizarre avec ses très longs dreadlocks. Un drôle d’oiseau. Il avait juré de ne jamais se faire couper les cheveux tant que le roi Kigeri V n’aura pas repris son trône. C’était un ancien maquisard, un nostalgique. Il aimait vanter la bravoure de ses frères d’armes et leur raid dans le Bugesera au Sud du Rwanda », se souvient A. N.

Il était, ajoute-t-il, tout le temps avec le commissaire et d’autres fonctionnaires pendant tout le mois de mai 1972 lors des arrestations des enseignants, des petits commerçants, des catéchistes hutu à Bwambarangwe. « On lui avait même donné un fusil. On le voyait à califourchon sur la carrosserie en bois de la tristement célèbre camionnette communément appelée ’’Ngeringeri’’, une Chevrolet avec ses cinq feux au-dessus de la cabine; même l’armée à l’époque avait ce type de véhicule. »
Cet enseignant suppléant poursuit son récit : « Quand la ’’Ngeringeri’’ était remplie, on mettait la bâche dessus, on n’apercevait plus que des doigts accrochés à la carrosserie et cet ancien maquisard jouait les ’’Tandiboyi’’, une sorte de convoyeur, fusil à la main, le doigt sur la gâchette. Ce réfugié rwandais participait aux rondes nocturnes, on parlait de ’’vigilance’’. »

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