Assistera-t-on dans les prochains jours à une rencontre entre Paul Kagame et Evariste Ndayishimiye ? En tout cas les deux pays voisins se sont lancés dans une opération de séduction placée sous le signe du réalisme politique.
« La normalisation de nos relations avec le Rwanda, pays frère et voisin est un processus évolutif. La volonté d’accélérer ce processus est partagée. Il n’y aura pas de marche arrière. Comme on ne choisit pas ses parents, de même on ne choisit pas son voisin. Qu’il soit bon ou moins bon, la cohabitation pacifique harmonieuse reste avantageuse pour les deux parties », estime Albert Shingiro, interrogé par Iwacu.
Selon le chef de la diplomatie burundaise, les contacts à plusieurs niveaux entre les deux pays continuent dans un esprit d’ouverture, de respect mutuel et de bonne foi. « Nous sommes des « cousins » qui parlent presque la même langue. Ceci pour dire que nous n’avons pas besoin d’intermédiaire pour mener à bon port ce processus de normalisation qui est déjà à un niveau satisfaisant. Les échanges se font directement en kirundi et en kinyarwanda. Bref, nous n’avons aucun doute que ce processus aboutira dans un proche avenir ».
De toute évidence, les lignes bougent des deux côtés. Le général de brigade Vincent Nyakarundi, chef des services secrets militaires du Rwanda se félicite de ce changement. Présent à Bujumbura à la quatrième réunion des chefs des services de renseignement et de sécurité du Burundi, de la RDC, du Rwanda, de l’Ouganda et de la Tanzanie le 6 juillet, il a indiqué que cela était impensable depuis 2015. « Nous ne pouvons que nous féliciter de ce réchauffement. Je me sens comme à la maison ici »
Le temps des retrouvailles
C’est Kigali qui tend la main le premier, le 6 juin 2020. Au nom du gouvernement rwandais, le ministre des Affaires étrangères félicite Evariste Ndayishimiye pour son élection à la tête du Burundi. « Le gouvernement de la République du Rwanda(…) exprime sa volonté d’œuvrer à l’amélioration des relations historiques qui existent entre les deux frères, » lit-on dans une lettre du ministère de la diplomatie rwandaise.
Ensuite, les choses s’enchaînent assez rapidement. Les réunions de travail entre représentants gouvernementaux ont lieu. Les ministres des Affaires étrangères burundais et rwandais se rencontrent le 20 octobre 2020, à la frontière commune de Nemba-Gasenyi sur l’initiative du gouvernement burundais. Une rencontre inattendue car jusque-là, les relations entre leurs deux pays sont compliquées, voire exécrables. Des contacts suivront au niveau des deux armées et des services de renseignement à plusieurs reprises.
Le 1 er juillet 2021, le Premier ministre rwandais débarque au Burundi pour assister aux cérémonies du 59 ème anniversaire de l’indépendance du Burundi. Tout un symbole. Il vient porteur d’un message du président rwandais :« Le moment est venu pour le Burundi et le Rwanda de s’appuyer sur les fondements solides de nos liens historiques et culturels afin de parvenir à la prospérité et au développement durable »
Des concessions
Bien entendu, selon plusieurs sources concordantes, Kigali et Gitega ont émis des conditions pour assainir leurs relations diplomatiques. Les enjeux sont grands.
Les deux parties ont notamment exigé l’arrêt des attaques de rebelles à partir de leur sol réciproque.
Toujours, selon des sources fiables mais difficiles à confirmer, le Burundi aurait engagé des actions militaires concrètes contre les rebelles rwandais. « Certains auraient été livrés au Rwanda », soutient une source sous couvert d’anonymat.
De leur côté, les autorités rwandaises ont arrêté au moins dix-neuf rebelles de Red-Tabara. Ils ont été remis au mécanisme militaire conjoint de vérification des frontières de la CIRGL (Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs).
Outre l’épineuse question des rebelles burundais, Gitega a notamment évoqué la situation des réfugiés burundais et la problématique de leur rapatriement. Gitega tenait aussi à la fermeture des médias burundais en exil opérant depuis le sol rwandais. Enfin, il a été question des présumés putschistes de 2015 vivant au Rwanda.
Le voisin du nord a exaucé plusieurs vœux de Gitega. Le 24 mars 2021, La Radio publique africaine, Télé Renaissance et la radio Inzamba, accusées par Gitega de « déstabilisation » du Burundi ne peuvent plus travailler depuis le Rwanda. Plusieurs journalistes en exil interrogés ont confirmé l’interdiction. Sauf que, à l’ère du numérique, il est impossible d’interdire un média en ligne. Mais cela est un autre débat.
Autre souhait du Burundi exaucé : le rapatriement des réfugiés burundais. Estimés à plus de 70 mille réfugiés, ils ne sont plus que 47.800 au camp de Mahama, selon les chiffres du HCR. D’après les prévisions, environ 41 mille réfugiés burundais vivant au Rwanda seront rapatriés cette année.
Quelques couacs
Kigali attend plus de son voisin du sud. Il déplore notamment les attaques opérées par des groupes armés qu’il accuse Gitega d’héberger.
La dernière est celle attribuée par le ministère de la Défense rwandaise fin mai 2021 au groupe rebelle FLN. « Environ une section d’assaillants, ennemis du FLN (Forces de Libération Nationale) en provenance de Giturashamba dans la commune de Mabayi en province de Cibitoke (Nord-ouest du Burundi) a traversé la rivière Ruhwa, » a indiqué le communiqué du ministère de la Défense nationale rwandaise. Il affirmait également que « ces assaillants ennemis se sont repliés au Burundi (…) dans la forêt de la Kibira où ils ont des bases ».
La FDNB (Force de défense nationale du Burundi) a rétorqué quelques jours plus tard qu’il n’existe aucun groupe de nuisance du Rwanda sur le territoire burundais. « La FDNB s’inscrit aussi en faux contre des informations faisant état d’un groupe de malfaiteurs venus du Burundi pour attaquer le Rwanda », a indiqué le communiqué du porte-parole de l’armée burundaise.
Toujours sur les ratés dans cette opération de charme, Gitega a du mal à tolérer la présence sur le sol rwandais des personnes accusées d’avoir commis le putsch manqué de 2015. Il a toujours réclamé leur renvoi au pays pour qu’ils répondent à la justice burundaise. Une requête rejetée par le Rwanda. « Le Rwanda ne va pas lâcher des personnes sous protection de l’ONU. Nous ne pouvons pas livrer unilatéralement des gens qui sont venus trouver refuge chez nous, » a récemment déclaré Paul Kagamé dans une interview accordée à Jeune Afrique. Il a en revanche garanti que personne ne pourra s’organiser à partir du territoire rwandais pour attaquer le Burundi. « Si quelqu’un veut nous les reprendre pour les remettre au Burundi, il en assumera les conséquences ».
Au royaume du réalisme politique
Il ne faut pas être expert en géopolitique pour remarquer que la diplomatie en cours avec le président Ndayishimiye est aux antipodes de celle de son prédécesseur.
Souvenez-vous. Pierre Nkurunziza s’était complètement isolé, ne sortait quasiment plus de son pays. L’actuel président prône l’ouverture régionale et internationale. Il veut renouer avec la communauté internationale. En une année, il a déjà effectué neuf visites sur le continent africain. Son ministre chargé des Affaires étrangères s’est rendu en Europe.
C’est un virage à 180 degrés par rapport à l’isolationnisme de son prédécesseur. Le président Ndayishimiye surprend tout le monde en tendant la main à celui qui avait été l’ennemi numéro un de celui qu’il appelle « Sogokuru » (grand-père), feu Pierre Nkurunziza.
Il est clair sur les relations attendues entre les deux pays. Le Burundi et le Rwanda doivent tourner « la page de 2015 et enterrer la hache de guerre ».
Réaliste, le voisin du nord ne se fait pas prier
La géopolitique ne s’embarrasse pas de sentiments, chacun regarde froidement, stratégiquement et méthodiquement ses intérêts.
Les deux voisins ont tous ciblé leurs ennemis. Comme le président Kagame veut en finir avec les FDLR et autres FLN qui auraient le Burundi pour base-arrière, il se tourne vers le président Ndayishimiye. C’est toujours dans ce même réalisme que Kigali s’est rapproché de la République démocratique du Congo.
Du côté du Burundi, le pouvoir en place veut aussi en finir avec les groupes armés (Red-Tabara, autres FNL de Nzabampema).
Les deux voisins s’embarquent donc vers un mariage de raison. Il est trop tôt pour voir les fruits et la solidité de cette alliance. Un mariage se mesure à l’épreuve du temps.
Ce qui est sûr, nous sommes loin des défilés avec pancartes et injures contre le voisin du nord que les manifestants se promettaient de « lessiver ».
À en croire l’optimisme de M.Shingiro, le patron de la diplomatie burundaise, bientôt une accolade fraternelle des deux présidents frères n’est pas à exclure.
Pourquoi pas ? Au royaume du réalisme politique, tout est possible.
What is the game plan here?is Rwanda trying to position Burundi as seat for a parallel intelligence unit to counter one which is coming up in kampala?
A l’époque Habyarimana et Bagaza avaient fait pareil; l’histoire est un éternel recommencement !
Une bonne analyse! Le real politic en marche!
Merci À Agnès! Une Actu Bien Decryptée
Uko zivugijwe nabo hejuru niko zitambwa nabo hasi.
Donc la condition d’extradition de certaines personnes se trouvant au Rwanda n’est plus !!! Aho ni sawa !!