Le livre du chercheur Ludo De Witte suscite un engouement général à travers les pays et les générations. Parce que la vie et l’histoire de ce jeune leader fauché la veille de l’indépendance de son pays, pour laquelle il s’est battu, fascinent. Ce livre est aussi l’histoire de « Nina » et Aimé. Rencontre
Aimé Ntakiyica l’appelle affectueusement « Nina ». Mais officiellement, elle s’appelle Anne Marie Ndenzako. Elle, c’est une nièce de Rwagasore. Lui, c’est Aimé Ntakiyica. Le fils de Jean-Baptiste Ntakiyica. Un des coaccusés dans le meurtre du prince. Jean-Baptiste Ntakiyica a été pendu à Gitega en 1963. Aimé avait deux ans. Tous les deux vivent marqués : l’une, par l’assassinat de son oncle. L’autre, la pendaison de son père. « C’est une histoire inscrite en nous », reconnaissent-ils, avec beaucoup de pudeur. Très vite, on sent chez eux une douleur profonde, lancinante, peut-être trop longtemps refoulée. Mais aussi, le duo dégage une grande complicité. « Malgré tout ce lourd passif, nous avons décidé de nous fréquenter, de nous parler », disent-ils en chœur.
Aimé Ntakiyica n’a pas vraiment vécu au Burundi, il ne parle pas Kirundi . Arrivé en Belgique en 1962, il dit qu’il a grandi « avec le terrible sentiment d’être le fils d’un meurtrier que certains Burundais lui faisaient ressentir. C’est quelque chose de terrible de grandir avec ça », reconnaît Aimé. Des souvenirs terribles. D’abord, la douleur de sa maman, une fille du Prince Nyenama, cousin germain du roi. La maman les a élevés, malgré tout, dans l’amour d’une famille paternelle et maternelle unie. Lorsque depuis la Belgique où la famille est réfugiée ( ce sont les premiers réfugiés burundais en Belgique) elle apprend la pendaison de son mari, Jean-Baptiste Ntakiyica, elle se rase les cheveux. « Les cheveux de maman ne repousseront plus ». Le phénomène est connu. Cela s’appelle une « alopécie traumatique ». Aimé se tait. Une petite tape amicale de son amie « Nina » et le fils Ntakiyica retrouve son aplomb. C’est un artiste plasticien talentueux avec un sens élevé de l’humour.
Il faut vraiment rendre hommage à Nina et Aimé. Car les relations ne sont pas faciles entre les princes Bezi, le clan de Rwagasore et les Batare, celui de Baranyanka, considéré comme « le cerveau » de l’assassinat du prince. Anne-Marie Ndenzako explique : « Entre les familles princières les relations étaient complexes, imbriquées, anciennes, profondes, un mélange d’amour-haine ».
« Nina » et Aimé ont décidé de se parler, de cheminer ensemble dans cette difficile recherche de la vérité. Ils ont compris que pour éviter le naufrage avec une histoire trop lourde, faite de non-dits, il leur faut savoir. Plonger dans l’histoire tourmentée, sanglante, de l’accession du Burundi à l’indépendance. Entre le PDC, le Parti démocrate-chrétien des Baranyanka et ses alliés qui ne demandaient pas une « indépendance immédiate », et de ce fait choyé par la Belgique et l’Uprona indépendantiste de Rwagasore, la déchirure est profonde. En rigolant, Aimé raconte une anecdote. La gifle magistrale donnée par sa mère un jour où, petit garçon, sans connaître la signification, il avait fait le salut des trois doigts, symbole du parti Uprona. « J’étais gamin, et un étudiant de l’Ecole militaire qui venait régulièrement à la maison en compagnie de mon cousin aussi étudiant, m’avait promis de m’acheter des palmes pour nager et je l’ai fait. Maman m’a donné une gifle dont je me souviens encore ».
« Nina » et Aimé, nonobstant cette fracture, vont apprendre à se connaître. Ils ont compris que pour casser « le cercle vicieux », il faudra passer par la case-vérité. Savoir exactement ce qui s’est passé. Anne-Marie Ndenzako était convaincue qu’il n’y a pas eu « un procès équitable » sur l’assassinat du Prince Louis Rwagasore. L’histoire était trop simpliste. Même conviction chez Aimé. « Nina et moi nous avions compris que tout n’a pas été dit, que l’assassinat du prince Rwagasore n’était pas une simple lutte pour le pouvoir entre quelques princes. Bref, que tout n’était pas blanc ou noir », raconte Aimé. « On ne voulait pas hériter de cette haine », insiste « Nina. » Et Aimé Ntakiyica de renchérir. « Nous voulions connaître la vérité, laisser à nos descendants une histoire apaisée, juste ».
Un trio de fait et de choc
C’est alors que la chance ou le destin va les faire rencontrer Ludo De Witte. L’homme est connu comme un chercheur méticuleux, déterminé, courageux. Son livre sur Lumumba avait abouti à la reconnaissance officielle de l’implication de la Belgique dans l’assassinat du leader congolais.
Au départ, quand ils se sont rencontrés, Ludo n’était pas vraiment intéressé par le Burundi. Lui travaillait sur le Congo et faisait des recherches sur l’assassinat de Lumumba. Mais au fil de ses enquêtes, il va découvrir des « similitudes dans l’élimination de Lumumba et Rwagasore par la Belgique. »
Il va surtout découvrir, comme il l’écrira dans son livre, que la« haine atavique supposée entre Batare et Bezi constituait une théorie rassurante et même confortable, pour les (ex-)colonisateurs ». Mais n’expliquait pas tout. Petit à petit, un trio de fait et de choc va se constituer entre le chercheur et les deux Burundais blessés, mais déterminés.
Anne-Marie Ndenzako en tant que la nièce de Rwagasore, un membre de la famille de la victime, et Aimé Ntakiyica, le fils d’un des conjurés, ont la légitimité de faire des recherches. Mieux, comme membre direct de la famille, la loi belge leur permet l’accès aux archives. Celles qui n’ont pas été détruites ou « déplacées ». Ce sera une de leurs tristes découvertes : la destruction de certaines archives. Ludo De Witte l’explique bien dans son livre.
Anne-Marie et Aimé vont se mettre à la recherche des documents en Belgique, beaucoup lire, rencontrer des témoins. Ils partagent leurs découvertes avec le chercheur qui, entretemps, s’est passionné pour l’histoire de Rwagasore. Mieux, le chercheur a mis la main sur des archives inédites, intactes, à Londres.
Obstiné, encouragé par Anne-Marie Ndenzako et Aimé Ntakiyica, pendant plus de huit ans, le chercheur belge lit des dizaines de milliers documents, des procès-verbaux, etc. Avec stupeur, il va découvrir que le procès a été bâclé et que « le rôle des Belges n’a jamais été examiné ». Ce n’était pas une histoire « entre Africains », comme beaucoup le disaient en Belgique. « Tout comme l’assassinat de Lumumba n’était pas une histoire entre Bantous », fait remarquer le Ludo De Witte.
Avec son humour, Aimé dit que pour le procès qui a condamné à mort son père et les autres, on a « ouvert une seule pièce et laissé une autre fermée. Comme dans les films policiers, Ludo De Witte va ouvrir la pièce ignorée ».
Ce livre permet donc de rétablir la vérité historique, mais Ludo De Witte prévient : ce livre n’exonère pas les assassins en chargeant les acteurs belges uniquement. « Les responsables du PDC étaient, au plus haut niveau, les commanditaires de l’attentat. Mais cela ne doit pas occulter la complicité ou la connivence de leurs conseillers belges, ceux qui les finançaient et les protégeaient. »
Le temps de l’apaisement ?
Après l’assassinat de Rwagasore, puis l’abolition de la monarchie, déchirées, les familles princières, Batare et Bezi confondues, ont connu la persécution, la misère, l’exil, les assassinats. Interrogés sur le sentiment des autres membres des familles impliquées dans la tragédie, comme victimes ou responsables dans la mort des Rwagasore, Anne-Marie et Aimé restent modestes. Mais ils pensent que « globalement » beaucoup de membres de leurs familles respectives soutiennent leur démarche. « Nous avons fait notre petite CVR », dit encore Aimé, décidément très drôle. Anne-Marie et Aimé espèrent avoir contribué dans cette recherche des vraies responsabilités. « Modestement, Aimé et moi nous pouvons dire , mission accomplie », lâche Anne-Marie, cette grande dame de 64 ans, aujourd’hui retraitée. Aimé estime lui aussi qu’ils ont réussi. « Nous avons un sentiment d’apaisement, nous avons montré que nous pouvons dépasser ce qui est censé nous diviser, chercher la vérité ensemble. Nous ne voulons pas léguer la haine à nos enfants, mais la vérité ».
Ce livre marque surement un tournant pour l’histoire et les générations futures. Ce qui explique peut-être son succès, un mois à peine après sa sortie. Samedi 9 octobre à l’ULB, Ludo De Witte va présenter son livre fruit de plus de huit ans d’investigation sur ce crime politique. Aux côtés de l’auteur et des éditeurs, Anne-Marie Ndenzako et Aimé Ntakiyica seront là pour parler de leur histoire. Une belle histoire de résilience, malgré la douleur, malgré tant de sang versé.
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Un livre si fascinant dont nous avons besoin en tant que générations actuelles et futures. Pourquoi ne tirons pas des léçons de cette mauvaise histoire pour bâtir un Burundi réconcilié sur lui-même.Pourquoi ne pas se servir de cette histoire pour développer la tolérance ?
Les nouvelles générations doivent savoir que seule la vérité partagée peut et pourra nous conduire non seulement à une paix durable mais au développement durable. Réveillons nos consciences et changeons nos mentalités.
Émouvante et riche d’espoirs, cette rencontre entre deux protagonistes de l’histoire du Burundi moderne. Malgré les circonstances, qui semblaient commander une méfiance insurmontable voir une haine profonde et farouche, ces deux-là ont bâti une relation de compréhension et d’estime. Quelles belles personnes !
L’histoire du Burundi moderne se révèle plus complexe qu’on se l’imaginait. Ce rôle « trouble » de personnalités belges mis en évidence dans l’assassinat du Prince Rwagasore pourrait permettre de repenser, peut-être, les relations entre Hutus et Tutsis, et de les voir dans un environnement plus complexe, non plus exclusivement bipolaire, où d’autres acteurs ont joué leur rôle. Mais je divague …
IWACU poursuit, dans ses éditions, son louable travail de construction de passerelles bâties de témoignages de personnes qui se sont libérées du carcan des traumatismes et de leurs séquelles. Cette activité épaule et recentre les activités de la CVR : la réconciliation, c’est aussi l’affaire de chaque Burundais.
POURQUOI HUTU TUTSI ?
ET NON PAS GANWA Versus HIMA?
Ce rôle “trouble” de personnalités belges mis en évidence dans l’assassinat du Prince Rwagasore pourrait permettre de repenser, peut-être, les relations entre Hutus et Tutsis,
Les Batare et les Bezi sont-ils Tutsis ou Ganwa?
Que vient faire les Bahutu dans cette histoire ?
Anne-marie n’est rien d’autre que nièce de Rwagasore
Le 24 septembre 2021, Agnès, sœur de Rwagasore
Était au rendez-vous à New york
Pour accueillir Son excellence Évariste Ndayishimiye
President de la république du Burundi
Son mari a te tue en 1972. avec Ntare V a Gitega par des Bahima
Comme un Mumenja
Elle lui a demandé de faire tout ce qui est en son possible
Pour la laver du qualificatif ignoble de femme de Mumenja
Alors, comment expliquez-vous qu’il s’agirait ici d’une histoire de relations entre Hutus et Tutsi?
NOTE DE L’EDITEUR
Vous êtes à côté de la plaque. Ici, il y a une démarche de réconciliation. Les Bezi et Batare ne sont pas dans la logique du ressentiment et de la vengeance, contrairement à vous !
Merci de cette réponse – et désolé.
Mes connaissances de l’histoire du Burundi sont très fragmentaires, et à l’heure actuelle, et depuis longtemps, ce sont les tensions entre Hutus et Tutsis qui dominent l’évolution du pays. Le premier épisode violent – dont j’aie connaissance – est l’assassinat du Prince Rwagasore. De manière simpliste, je me suis imaginé que les violences qui ont suivi trouvent leurs racines – en partie – dans ce « crime originel ».
Ce n’est qu’une piste de lecture, et il appartient aux Burundais de juger. Tout ce qui peut apaiser les relations entre les constituantes de la population burundaise est bienvenu dans la situation actuelle.
Merci pour ces info en rapport avec une sorte de thérapie par abréaction de ces souffrances psychotraumatiques de deux victimes. Qu’il en soit ainsi pour la C.V.R. à l’échelon national et international.
Merci pour cette œuvre combien utile. La résilience et la réconciliation qui ont guidé Aimé et Nina devraient éclairer les autres chercheurs sur les crimes et tragédies qui ont endeuillé le Burundi.
Bjr tous. Et mci bcp pour ces commentaires enrichissants. Je félicite bcp les enfants Ndenzako et Ntakiyica. Vous êtes le meilleur témoignage de réconciliation car il ne sert à rien de garder éternellement une rancune surtout pour les générations futures qui n’y sont pour rien. J’aimerais savoir quand le livre sera dispo au Bdi et où pour que je m’en procure.