A l’annonce faite par le président Nkurunziza de réviser certains textes réglementaires dont la Constitution, certains politiciens y voient un agenda caché. Ils lui demandent d’ouvrir le débat politique.
<doc5128|left>A deux reprises, dans son discours du nouvel an (2012) et à la célébration du 2ème anniversaire de son second mandat, le président de la République a exprimé son vœu. Pour le bon déroulement des élections de 2015, insiste-t-il, la Constitution, le Code électoral et la loi communale, tant décriés pour leurs imperfections, seront modifiés. Le président Nkurunziza, cependant, s’est réservé de dire sur quoi porteraient ces modifications. Mais pour une certaine opinion, Pierre Nkurunziza veut occuper, pour la troisième fois, le fauteuil présidentiel alors que la loi fondamentale ne le lui permet pas.
Léonce Ngendakumana, président en exercice de l’ADC Ikibiri, est intransigeant : « Ceux qui veulent amender la Constitution, ce sont des gens qui veulent se succéder à eux-mêmes.» Il met en garde : « Toucher à la Constitution pour lui donner d’autres orientations, cela reviendrait à remettre en cause l’Accord d’Arusha. Ça exige un débat politique. Les compromis que nous avons signés à Arusha restent d’actualité.» Pour lui, Arusha est indiscutable, inutile de demander le recours à la Cour constitutionnelle, car « c’est le peuple burundais qui s’est engagé. »
« Qui a dirigé ce pays depuis 2005 ? »
Léonce Ngendakumana se souvient qu’à Arusha, ils ont décidé que nul ne pouvait faire plus de deux mandats : « Pourquoi M. Nkurunziza veut-il violer la Constitution. Qu’il nous dise qui a dirigé le pays pendant son premier mandat. C’est une spéculation qu’on ne peut pas accepter. »
Il appelle les dirigeants de ce pays à mettre en application Arusha car le chemin à parcourir reste long : « L’absence des mécanismes de justice transitionnelle dont la CVR, l’appareil judiciaire indépendant au vrai sens du terme, la formation d’une police et d’une armée loyales, etc, restent des défis pour la bonne gouvernance politique. » De surcroît, dit-il, les polémiques sur les lois régissant la presse ainsi que les manifestations et réunion publiques, prouvent à suffisance que les gestionnaires de ce pays ont échoué à instaurer un Etat de droit.
« Il n’y a pas de spéculation politique »
Philippe Nzobonariba, secrétaire général du gouvernement, réfute : « C’est une spéculation de ceux qui interprètent à leur façon le discours présidentiel. » Pourtant, il souligne que Pierre Nkurunziza a fait son annoncé de manière général : son souhait, explique M. Nzobonariba, c’est d’amender tous les textes à l’avance pour éviter les bousculades électorales.
« Arusha assure le minimum d’équilibre »
Selon le politologue Siméon Barumwete, amender la Constitution actuelle est politiquement une chose très facile pour le Cndd-Fdd : « Par son caractère dominant à l’Assemblée nationale, il est capable de réunir facilement les 4/5 des députés. Ce qui est difficile, c’est de pouvoir convaincre d’autres partenaires politiques et de savoir les vraies intentions du pouvoir. Il faut que le président Nkurunziza arrive à relever les dispositions qui causent problème. » Or, continue-t-il, « on dirait que chaque acteur politique veut y mettre du sien. Par exemple, il y a ceux qui veulent que les postes de vice-présidents soient remplacés par celui de 1er ministre.
D’où le danger, dans le contexte actuel, que le Cndd-Fdd taille la Constitution à sa mesure.
Siméon Barumwete va même plus loin : « On a l’impression que Pierre Nkurunziza veut régner éternellement. Dans la démocratie, il faut qu’il y ait possibilité d’une alternance politique. Un seul homme ne peut pas s’approprier la gestion de ce pays. Il y a beaucoup de Burundais qui peuvent mieux assumer la fonction de président de la République. La peur, c’est de prolonger les mandats dans ce contexte où il n’y a pas de débat contradictoire. En l’absence de l’opposition parlementaire, avec qui le Cndd-Fdd va-t-il dialoguer ? Avec lui-même ? C’est ce monologue qui fait peur, qu’il faut à tout prix éviter. »
Par ailleurs, le Cndd-Fdd n’a pas été à Arusha. « Son esprit sera-t-il maintenu ? » Le balayer, c’est aller tout droit vers la remise en cause des valeurs institutionnelles. Car, « pour une société aussi fragile que la nôtre, elle est susceptible de retomber dans la violence généralisée. Arusha assure le minimum d’équilibre de la société burundaise. Imaginez ce qui adviendrait si dans la Constitution révisée, les quotas ethniques ne sont plus de mise ? »