Des militants du CNL ont été malmenés, tabassés dimanche 1er mars dans la province Ruyigi par des Imbonerakure, lors de l’inauguration de différentes permanences collinaires en commune Gisuru. A la colline Gacokwe, le chef de colline n’a pas épargné un député membre du CNL venu participer aux festivités. Récit.
Par Edouard Nkurunziza et Rénovat Ndabashinze
Cette date restera gravée dans les mémoires des habitants de Gisuru… « Le 1er mars 2020 a été une journée de troubles », commente un habitant du centre communal.
Tout commence dans le calme, ce dimanche. C’est sous un soleil doux que s’ouvre, en grande pompe, la permanence de la colline Kabuyenge, peu avant 12 heures.
Cependant, la veille, cette dernière avait été un peu vandalisée. La nuit, des inconnus étaient venus caillasser les vitres de ses fenêtres.
Sur cette colline, la même nuit, la demeure de Donatien dit « Kibanda », un militant du CNL très actif avait aussi subi une attaque. Des fenêtres vitrées détruites, des pierres lancées sur les portes et sur la toiture, les attaquants restent toujours inconnus.
La permanence s’inaugure donc dans un climat de calme, mais les participants sont un peu tendus, inquiets. «Nous pensions que ces actes de vandalisme à la veille de l’inauguration n’étaient qu’un avertissement. Nous nous attendions à une autre attaque», témoigne un Inyankamugayo de Kabuyenge.
La première perturbation…
De Kabuyenge, les Inyankamugayo prennent le chemin de la colline Kavumwe. Selon la correspondance du parti transmise à l’administration communale et à la police, il est en effet question d’ouverture de 5 permanences collinaires.
Celle de Kavumwe marquera le début d’une série de déconvenues. Déjà, chemin faisant, durant le trajet Kabuyenge-Kavumwe, certains Inyankamugayo se font tabasser, bloqués par des Imbonerakure. Mais déterminés, ils atteindront leur destination.
Là-bas, en parallèle à la foule des militants du CNL, une équipe d’Imbonerakure se forme petit à petit, à 20m. «Au finish, une trentaine d’Imbonerakure au grand minimum », affirme un témoin oculaire.
Les militants d’Agathon Rwasa dansent, les tambours sont battus, différentes chansons agrémentent les cérémonies…De l’autre côté, l’équipe de la jeunesse du parti présidentiel commence son animation. Des chansons à la gloire du CNL ici, d’autres à celle du Cndd-Fdd là-bas, la cacophonie est à son comble, le désordre gagne ce terrain.
Furieux, les jeunes Inyankamugayo qui assurent la sécurité de la place décident de repousser de force les Imbonerakure. «Nous avons dit que trop c’est trop. C’était du mépris », commente un jeune Inyankamugayo. Ces derniers résistent. Mais ils sont en infériorité numérique. Dans la bousculade, l’un d’eux, poussé vigoureusement, finit par terre. Ce sera la goutte qui va faire déborder le vase.
Les Imbonerakure se replient et s’arment de cailloux. Bientôt, malgré les protestations de Lin Nkoroka, le chef de colline Kavumwe, des dizaines de pierres sont jetées dans la foule venue inaugurer la permanence. D’après les témoignages, en réponse, certains des Inyankamugayo se saisissent aussi des pierres. Commence alors un combat de jeux de pierres. Certains sont blessés. Les vitres de la permanence sont cassées, le matériel de sonorisation endommagé, etc.
Il faudra attendre le secours de l’administrateur et du commissaire communaux pour ramener le calme. Après une petite enquête dans la foulée, ces derniers embarqueront Pascal Mateso, président des Imbonerakure à la colline Kavumwe, accusé d’être l’instigateur de ces affrontements. Il va passer cette nuit au cachot de la commune Gisuru.
Un néant sur le dos d’un géant
Les CNL inaugurent donc finalement leur permanence à Kavumwe, après ce contretemps, et poursuivent leur tournée. Direction : colline Gacokwe, non loin de Kavumwe. Ils y arrivent en procession vers le soir, accompagnés par Pascal Bizumuremyi, le député élu dans la circonscription de Ruyigi et natif de Gisuru, qui a rehaussé de sa présence ces cérémonies. Des Imbonerakure armés de gourdins les y attendent depuis quelques instants…
Une discussion entre les représentants du CNL et ces Imbonerakure est engagée. Ces derniers font notamment montre de la limite du temps d’exercice des activités politiques. Les autres rappellent que la clôture des activités est fixée à 18h. «C’était 17h15 minutes », se rappelle un responsable local du CNL. Les Imbonerakure ajoutent que cette permanence a été érigée dans un endroit interdit. « Faux, nous avons la permission des autorités communales », ripostent les Inyankamugayo. Mais ces jeunes du parti au pouvoir ne veulent pas de ces explications. «Ils étaient déterminés à torpiller nos activités », témoigne un jeune du CNL à Gacokwe.
Face à la résistance, le député Bizumuremyi recourt de plus belle à l’administrateur. Celui-ci lui conseille de se retirer avec tous les Inyankamugayo. Et la décision de rebrousser chemin est aussitôt prise. « Je leur ai dit de rentrer, que nous y reviendrons plus tard », affirme ce représentant du peuple.
Mais le plus dur commençait. Selon les témoignages, l’ordre de les empêcher de bouger est soudain donné par Jean Louis Sebushahu, le chef de cette colline. Le début d’un véritable bras de fer. En personne, cet administratif se dirige vers le véhicule de type Hilux à bord duquel est venu le député Bizumuremyi pour le dégonfler. Sauf que le chauffeur l’en empêche vaillamment.
Sebushahu se retourne, inflige une gifle à une fille assise dans la partie arrière du Hilux qui tombe aussitôt par terre. Un autre compagnon du député qui essaie d’intervenir reçoit un coup de bâton et s’écroule également. Vient alors le tour de Pascal Bizumuremyi. Ce député joue le sage, tente des conseils au chef de colline. En réponse, il reçoit un coup de gourdin avant d’être envoyé dans les airs. Il se retrouvera par terre entre un groupe d’Imbonerakure qui l’accueillent par une pluie de coups.
« Des mensonges »
D’après les témoignages, son garde du corps tirera en l’air pour les disperser. Les CNL, pris en otage depuis peu, profitent et se sauvent. Sauf qu’après la débandade, les Imbonerakure se rassemblent et se mettent à leur poursuite. Le garde du corps de Pascal Bizumuremyi tirera en l’air pour la deuxième fois…
De retour, cet élu du peuple passera, avec les représentants communaux du CNL, voir l’administrateur communal pour le mettre au courant de la situation. Aloys Ngenzirabona leur conseillera de porter plainte.
Ce lundi 9 mars, M. Bizumuremyi présente encore quelques enflures au niveau des bras. Il déplore que les auteurs de ces bavures n’aient jamais été inquiétés. « Si un chef collinaire soi-disant du parti au pouvoir peut malmener en toute impunité un représentant du peuple jouissant d’une immunité parlementaire, qu’en sera-t-il du petit paysan ? », s’interroge ce député.
Interrogé, Jean Louis Sebushahu a rejeté en bloc ces accusations. Ce chef de colline parle de mensonges qui n’auraient d’autres visées que d’entacher sa personnalité : « Ce député a été attaqué par les habitants de notre colline qui ne veulent pas du drapeau du CNL sur leur colline ». Il affirme mordicus avoir agi en administratif responsable en essayant de les empêcher.
Eclairage de l’administrateur communal
« L’incident s’est passé dimanche. J’étais dans une prière. Les CNL nous avaient informés de leurs activités à Kabuyenge, Kavumwe, Gacokwe et à Tahe. A Kabuyenge, il n’y a pas eu de problèmes. La situation a dégénéré à Kavumwe », affirme Aloys Ngenzirabona, administrateur de la commune Gisuru.
M. Ngenzirabona indique que c’est un membre du CNL qui a provoqué le conflit : « Quand il a vu des jeunes du parti Cndd-Fdd au marché, il a giflé un parmi eux. Des échauffourées ont alors éclaté, mais pas pour longtemps. » Et d’ajouter : « Même lors de l’interrogatoire à la police, tout le monde l’a confirmé. Même ce membre du CNL a envoyé quelqu’un pour demander pardon. »
C’est d’ailleurs pourquoi le prévenu a été relâché après son arrestation. Le dossier est aujourd’hui dans les mains de la police et du parquet. Des enquêtes sont en cours. En fait, la faute est partagée.»
Concernant le passage à tabac d’un député, M. Ngenzirabona dit qu’il n’était pas là : « Il m’a raconté comme il te l’a dit. Je n’ai pas de précisions sur ce qui s’est passé. Mais les gens m’ont dit que cela n’a pas eu lieu. »
A l’approche des élections, cet administratif rappelle qu’aucun parti n’a le droit d’empêcher un autre parti de travailler : « Si le parti est agréé, il faut seulement informer l’administration. Que les gens restent sereins et cohabitent pacifiquement. »
Il conseille aux membres des partis politiques de se tenir loin de toute provocation : « Pas d’élections d’un seul parti. Il faut utiliser un langage non violent, sans injures. Aucun parti n’envoie la jeunesse se chamailler avec d’autres jeunes. Ne pas partager des tendances politiques n’est pas un péché. »