Dans cette province du sud du pays, des mères témoignent d’une vie de sacrifices au service des besoins propres à leurs fils et filles albinos. Ces femmes aux conditions modestes appellent toutefois à l’aide pour une meilleure prise en charge de leurs enfants. De son côté, l’administration provinciale encourage les albinos à travailler pour leur développement et leur promet un soutien sans concessions.
Habitante de la colline Mayengo, zone Kigwena de la commune Rumonge, Angèle Nijimbere, est maman de 4 enfants. Tous des albinos. Son mari a quitté le domicile familial pour se rendre en Tanzanie il y a 4 ans. « Même s’il ne me l’a pas dit, je pense bien qu’il m’a abandonnée pour avoir mis au monde des enfants Albinos », craint la jeune maman.
A la naissance de l’aîné, Vêtus Shukuru, âgé de 18 ans, mon ex-mari a eu du mal à cacher son malaise, se souvient Mme Nijimbere. Et de se plaindre de la charge qu’incarne plusieurs enfants albinos pour une mère seule. « Leur peau est vulnérable, ils ont souvent des lésions et ils en souffrent énormément. Sans parler de leurs problèmes de vision ». Néanmoins, la maman dit se débrouiller comme elle peut pour pallier aux besoins spécifiques de ses enfants. « Quand je vends de la farine de manioc, je leur achète des chapeaux pour alléger les rayons du soleil mais je suis dans l’incapacité de leur procurer de la vaseline », raconte la mère.
La vaseline au centre des besoins
Selon Angèle Nijimbere, une organisation de prise en charge des albinos lui avait donné de la vaseline il y a deux ans. « Aujourd’hui, il ne m’en reste plus car ils sont plusieurs à l’utiliser. Elle a à peine duré une semaine »
La maman se dit aujourd’hui résiliente face à ‘’ce fardeau’’. « C’est la volonté divine ». Pourtant, reconnaît Angèle, il lui arrive de se demander quelle faute elle aurait commise contre le bon Dieu. Elle confie qu’il y a des fois où elle est tentée d’abandonner ses enfants comme leur père. « Je me demande cependant si Dieu pourrait me pardonner un tel péché ».
Autre problème de taille : ses enfants, en grandissant, ne cessent de poser des questions sur l’absence de leur papa. « Je leur réponds toujours qu’il a eu des problèmes là où il est allé et qu’il nous faut juste attendre son retour avec patience ».
Malheureusement, se lamente cette maman, son époux fait tout pour ignorer sa famille. « Il me revient toujours de le joindre en premier car si je ne le fais pas, lui ne le fait jamais »
Angèle demande aux âmes charitables de la soutenir pour la prise en charge de ses enfants vivant avec l’albinisme. « J’ai beaucoup plus besoin de la vaseline, des chapeaux et des vêtements qui protègent la peau de mes enfants. »
Vêtus Shukuru, son fils, a échoué en 7e année fondamentale. Et de confier que son premier ennemi à l’école, c’est son problème de vision. « Je me sens malade et je ne vois pas bien au tableau ». Il ajoute aussi que le soleil constitue une menace pour lui et ses petits frères et sœurs. « Ce que nous avons le plus besoin, c’est de la vaseline, des vêtements à longues manches et des chapeaux », résume le jeune homme à peine sorti de l’adolescence. Malgré ces défis, le jeune Shukuru se dit ambitieux. « Je veux un jour devenir chef du Gouvernement ».
Soutien indéfectible d’une mère
Sur la colline Mwange de la zone Kizuka, la même commune de Rumonge, Régine Nimpagaritse, 50 ans, a mis au monde deux filles albinos : Rénate Ntirakirwa et Pascasie Siniremera qui sont toutes adultes aujourd’hui. Elles ont eu des enfants hors mariage, témoigne leur maman.
L’une, Pascasie, a abandonné l’école alors qu’elle était en 5ème année primaire et Rénate mettra un terme à son parcours scolaire en 1ère post-fondamentale suite à une grossesse non désirée. « Quand j’ai découvert que Pascasie est enceinte, je me suis dit qu’il fallait la laisser donner la vie ». D’après la quinquagénaire, sa fille aînée a failli être tuée à une époque où la traque des albinos était monnaie-courante pour des raisons superstitieuses.
Mme Nimpagaritse dit connaître le père de l’enfant de sa fille. « C’était un tenancier d’une boutique, mais il a fui le voisinage qui le menace l’accusant d’avoir eu des relations avec une albinos ». Actuellement, Régine Nimpagaritse dit assurer la prise en charge de sa fille et sa petite-fille plus un petit fils mis au monde par son autre fille, Rénate Ntirakirwa, fruit d’une union illégale avec un non albinos. « Elle a déjà avec lui 3 enfants » Nimpagaritse déplore cependant que sa fille albinos vive avec une personne dont elle ignore complètement les origines familiales.
Ces mères de fils et filles albinos affirment que la traque aux albinos des années 2008-2009 reste gravée dans les mémoires de leurs enfants. « Bien que cela n’existe plus, ma fille a peur de se promener loin de la maison ou rester dehors le soir », affirme Nimpagaritse. En plus, soulignent ces mères de familles, certaines gens se permettent souvent des propos blessants à l’endroit de leurs enfants.
A en croire à Nestor Ndayizeye, représentant de l’association Albinos sans frontières à Rumonge, la fuite des responsabilités des pères d’albinos ne date pas d’hier. « Mon père m’a abandonné très petit, il divorcera avec ma mère juste après ma naissance, et j’ai grandi chez ma grand-mère maternelle», se rappelle-t-il. Il déplore que la réalité soit que les filles albinos sont souvent victimes de grossesses non désirées. « Les garçons leurs courent derrière, les flattent, mais, quand ils les mettent enceinte, ils prennent le large, et c’est fini » Ce père de trois enfants, regrette aussi que les préjugés à l’endroit des albinos demeurent tenaces. Quitte à inciter des albinos à vivre reclus. «Ils pensent qu’il y a des gens qui veulent leur faire du mal ». Pour le moment, explique-t-il, l’autre problème majeur que partagent tous les albinos à Rumonge, c’est le manque de vaselines et de chapeaux. L’autre handicap est lié aux enseignants qui ne facilitent pas les élèves albinos souffrant de la cécité. Et d’exhorter les enseignants à faire asseoir leurs élèves albinos aux premières places. « Moi, j’ai eu ce privilège grâce à ma maman qui plaidait pour moi. C’est pourquoi j’ai pu faire mes études », témoigne Nestor. Aux albinos victimes de violences, il leur demande de se confier à lui : « Je prends toujours le soin d’alerter l’administration quand de pareilles situations se produisent.»
Consolateurs Nitunga, gouverneur de la province de Rumonge, lui, rappelle aux albinos que ce sont des citoyens comme les autres. Il les encourage à s’atteler aussi aux travaux de développement. « Qu’ils cessent de vivre la peur au ventre car ils ne sont plus pourchassés par des malfaiteurs ». La haute autorité provinciale a ensuite promis à sa population vivant avec l’albinisme « un total soutien », sans plus de détails.
Dans une des chapelles les plus à l’écart de sa paroisse du moment, au nord-ouest de la province de Kayanza, « mon » curé m’avait amené alors qu’il allait dire la messe.
Le habitants avaient construit et décoré une autel de fortune, sous une belle bâche – un peu comme chez nous on faisait les reposoirs pour la procession de la Fête-Dieu. Une quinzaine de fidèles était réunis le long de la piste, de l’autre côté de la chapelle improvisée.
C’était la fin de la matinée, et les écoliers rentraient chez eux. L’un d’eux, quatorze ou quine ans peut-être, le seul albino du groupe, s’est figé et m’a longuement regardé, moi, umuzungu de septante ans à la chevelure blanchie depuis longtemps. Enfin un semblable, venu de loin … Ce jeune ne portait pas de chapeau, pour autant que je me souvienne.
Je n’ai pas oublié cet incident, ni le commentaire gêné et laconique du curé, plus tard, à la table de la paroisse : ces enfants albinos étaient encore trop souvent victimes de rituels païens liés à la sexualité.
JerryCan, là, ne se sent pas vraiment supérieur – ce n’est pas très méritoire d’être né dans une société qui a largement perdu ses racines archaïques.
Frère d’un instant, bientôt rentré chez lui, que la vie te soit clémente.