Lundi 23 décembre 2024

Société

Rumonge, la ville arc-en-ciel

26/04/2016 3

Avec son quartier swahili, sa localité congolaise, et sa partie rurale de tout ce qu’il y a de plus burundais, cette immense commune côtière, située au sud-est du Burundi, a construit sa prospérité autour d’un bien liquide : le lac Tanganyika.

La rentrée des « dompteurs des éléments ».
La rentrée des « dompteurs des éléments ».

Partir pour Rumonge ressemble à un parcours initiatique à travers le Burundi. Sur 72 kilomètres d’une route serpentant parallèlement à une mer liquide, route défoncée à plusieurs endroits et quelques fois impraticable, on fait un véritable voyage dans le temps. Ici ce sera des cultivateurs courbés sur leurs houes, labourant dangereusement les versants friables des montagnes, et là des femmes pieds nus, colis sur la tête, puis ces enfants s’extasiant au passage des voitures, et le clou, ces plages vierges, quelques fois sauvages, se mariant à la perfection avec la sérénité du lac Tanganyika.

Malheureusement, ou heureusement pour ceux qui seront harassés par le long trajet, cette excursion temporelle s’arrête aux portes de la ville. Premier indice : des panneaux publicitaires, marquant la fin des immenses palmeraies. Puis à un tournant, sans crier gare, la grande ville est là. Un trafic soutenu sur une unique route principale, voitures marchant au pas pour laisser passer des piétons téméraires, des taxi-vélo cyclistes hélant impertinemment des probables clients.

Un kilomètre plus loin, le centre administratif, avec ses constructions modernes et son carrefour, vient tempérer l’ambiance explosive de la ville. La chaleur pesante de la ville déroute parfois les voyageurs, qui demandent tout innocemment: « Alors que fout ce lac à côté ?». « Sacrilège !!», sera la réponse outrée d’un habitant de Rumonge.

« Le lac Tanganyika, notre mère à nous tous »

« Tanganyika ne dort jamais ! » Telle serait la phrase la plus appropriée pour résumer les activités qui se déroulent sur cet immense réservoir d’eau douce. 24h/24, c’est une perpétuelle fourmilière. D’abord, dès 6h du matin, avant la rentrée des pêcheurs, les innombrables restaurants à ciel ouvert, situés au bord du lac, commencent à s’animer. Le petit cuistot de Maman Furaha s’activant sur le feu pendant que la patronne fait la vaisselle. Les vendeuses de charbon auront déjà commencé à se noircir les bras, au moment où les citadins descendent piquer un peu de son eau à « mère Tanganyika ». Les commerçants et les gros propriétaires commenceront aussi à descendre vers le lac, attendant en devisant les premières barques de poissons.

Puis, en voyant poindre la première embarcation au loin sur l’immensité liquide, c’est une ruée générale vers le bord du lac. « C’est mieux de les accoster à leur sortie de l’eau », confie une commerçante pressée, ne rechignant pas à tremper ses pieds dans l’eau.

Lionel Nduwimana, jeune pêcheur, a passé la nuit à braver et à dompter les éléments, et à soutirer à la mer ses joyaux frétillants. Malgré tous les dangers que cela peut représenter, les morts qu’on évoque à voix basse, il reste droit dans ses bottes : « Avant ce métier, je n’étais rien.» Le soleil quittant les montagnes lui donne alors le signal d’aller se coucher dans les tentes érigées au bord du lac, s’agglutinant contre des compères avec lesquels il partage ce mode de vie « vampirique ».

Au moment où les restauratrices, « abapishi » dans le jargon local, continuent à s’occuper de l’estomac des pêcheurs, d’autres se chargent de leurs « montures ». Melson Bukuru, élève en 1ère Lettres Modernes, est aide-mécanicien. À l’atelier de son grand frère situé au bord du lac, il répare les moteurs des barques. « Dans mes heures perdues, je viens ici pour apprendre, on ne sait jamais, ça pourrait me servir dans le futur », confie-t-il.

Au centre de la ville, au bord la RN3, les débits de boissons sont à chaque fois couplés à des cuisines, où le plat spécial est bien sûr « umukeke mushasha » (le mukeke, poisson, frais), la spécialité de Padon Niyomuco. De pêcheur, ce jeune homme s’est reconverti en cuisinier, et se dit le meilleur grilleur de poissons de la contrée. « Je me suis trouvé mon métier, et je ne me vois en aucun cas le troquer pour un autre », assure-t-il. Padon fait partie de ces personnes qui sont venus de loin, de tous les horizons, répondant soit à l’appel de la mer, soit aux promesses de prospérité qu’elle fait miroiter.

Medley culturel

Les commissionnaires de Banda, plaque tournante d'un commerce transrégional
Les commissionnaires de Banda, plaque tournante d’un commerce transrégional

Tanganyika est une route liquide très fréquentée, qui a fait de Rumonge un carrefour de plusieurs cultures. Congolais, tanzaniens, burundais, rwandais, tout se retrouvent là-bas. La prospérité et la renommée de Rumonge ont traversé les frontières. Béatrice Kiza vient de la RDC et cuisine actuellement pour des pêcheurs. « La vie chez moi m’était devenue difficile, et j’ai choisi de m’exiler ici, où je parviens à gagner relativement bien ma vie », fait-elle savoir. Même cas pour Idrissa Ismail. Ce jeune vient aussi de la RDC, et pour lui, la grande raison qui pousse les jeunes congolais à venir à Rumonge, c’est le métier de pêcheur, qui est plus rémunérateur au Burundi que chez lui.

Mais ce n’est pas que la pêche proprement dite qui réunit les gens. Au port de Rumonge, communément appelé « Banda », Isabelle Mbonimpa est « une commissionnaire». Presque une quarantaine, ces femmes sont quotidiennement au port, attendant patiemment les marchandises venant de l’autre côté du lac. Leur travail consiste à payer la taxe, vendre les produits, soustraire leurs commissions, et donner le reste au commerçant étranger qui repart avec sa paye, ainsi de suite. « Il doit y avoir à la base une relation de confiance», explique une de ces femmes commissionnaires. Et pour Isabelle, qui fait ce métier depuis presque dix ans, c’est une manne, sauf qu’il est soumis aux aléas du lac, mais aussi certaines commissionnaires dénoncent les taxes lourdes qui commencent à faire fuir les commerçants étrangers.

Et quand on parle d’étrangers, au même titre que Béatrice Kiza la restauratrice, d’autres sont venus et ne sont plus repartis. Les ressortissants de la RDC ont même leur propre quartier.

Sinon, le quartier le plus vivant reste de loin le quartier swahili. À majorité habité par des musulmans, il pourrait être la carte postale de la région. À un tournant de rue, on ne peut pas manquer de tomber sur des femmes assises devant la maison, en train de broder, non loin d’une quelconque mosquée. Asha Niyonkuru est l’une d’elles. Deux ans après son secondaire, sans boulot, et sans espoir de continuer les études supérieures, elle s’est tournée vers ce métier ancestral, l’agilité de ses mains et la beauté de ses motifs lui payant le minimum de besoins qu’elle peut avoir.

Dans le même quartier swahili, à la 5ème avenue, la très probable aire de rassemblement lors des années prospères de l’ancien parti-Etat Uprona a changé de fonction. Il est devenu un marché qui ouvre à 17h, où tous ceux qui n’ont pas eu le temps de faire leurs courses dans la journée, passent s’approvisionner. Vumulia Tuyisenge, comme la plupart d’autres femmes de ce marché, passe la journée à faire d’autres activités, et le soir venu, va solder quelques articles à ce marché.

Après avoir fait le tour de Rumonge, on rentre convaincu que cette région n’est pas qu’une commune, ou qu’une ville. À elle seule, c’est tout un pays, un pays dans un autre. D’ailleurs, n’est-elle pas la seule ville burundaise où la langue la moins parlée est le kirundi ?


Rumonge en quelques lignes

Rumonge est une des cinq communes de la province Rumonge. Sa superficie est de 324,88 km², le tiers de la superficie de toute la province. Sa population est estimée à 250 000 habitants.

Son économie est essentiellement basée sur l’agriculture, le commerce, et la pêche.

Atouts et défis majeurs

Atouts

La proximité avec le lac Tanganyika, deux industries de transformation d’huile de palme, plusieurs sites d’eaux thermales…

Défis

L’insalubrité de l’eau, les glissements de terrain…


Agnès Turayihaye, l’entrepreneuse audacieuse

Présidente d’un collectif d’associations féminines œuvrant sur le lac Tanganyika, cette institutrice est à la base d’une idée qui a doté la plage de Rumonge d’une chambre froide pouvant conserver jusqu’à vingt tonnes de poissons.

Agnès Turayihaye : « La chambre froide aurait dû normalement servir les jours de vache maigre. »
Agnès Turayihaye : « La chambre froide aurait dû normalement servir les jours de vache maigre. »

La bâtisse grise ferreuse, construite à quelques encablures du lac Tanganyika, ne ressemble pas à la chambre froide à laquelle on se serait attendu. Normal. Peu de personnes sont accoutumées à cela. Agnès, une forte femme dans la quarantaine, peine à ouvrir la porte scellée comme un coffre-fort. Mais l’entrée finit par céder. À l’intérieur, des étagères où d’habitude sont entreposés des poissons, mais « mère Tanganyika » vient de passer des jours sans grande clémence, c’est vache maigre par ici. « D’habitude, on arrivait à cinq tonnes mais actuellement ce n’est pas la belle saison », fait savoir l’institutrice, avant de refermer soigneusement.

Agnès est rodée au commerce des poissons. Pour elle, être appelée « poissonnière » n’a rien de péjoratif. Elle a commencé à s’y familiariser en 1997, dans l’association Shirukubute, qui fumait et revendait à l’époque les produits du lac. Cette même association va plus tard s’acheter des barques qu’elle envoie dans le lac. « On s’est rendu compte qu’on travaillait à perte, car les jours de grande prise, on devait céder nos poissons pour moins que rien au risque de les voir s’abîmer », se remémore-t-elle. De chercher alors une solution.

Amener du froid à Rumonge

En tant que présidente de Shirukubute, Agnès pense à une façon de faire face à cette situation. Eureka : construire une chambre froide, et une grande. Mais Shirukubute à elle seule n’aurait pas pu y arriver. De s’associer alors à d’autres associations pour former CAFED, le collectif des associations féminines pour le développement. On est en 2010, et en 2012 le collectif est agréé, puis en 2013, une ONG internationale soutient le projet. Le « frigo », comme on l’appelle là-bas est alors construit.

« Ce fut une grande joie », évoque Agnès. Mais une joie de courte durée. Après de bons débuts, le temps des revers. « Et tout cela, à cause du délestage », regrette-elle. Certains de leurs clients se rétractent, mais Agnès et ses compagnes tiennent bon. « Vous savez, dans le business, on ne gagne pas à tous les coups, il faut savoir persévérer », fait-elle savoir.

C’est ce qu’elle fait, et les poissonnières se cherchent alors un plan B qui consiste à n’utiliser la chambre froide que les jours de grande prise, les autres jours, elles se rabattent sur de simples réfrigérateurs. « Le manque d’électricité est le premier défi auquel nous faisons face, et cela nous handicape énormément », explique Agnès. Pour elle, l’idée était d’arriver à faire consommer du poisson toujours frais aux habitants de Rumonge et de Bujumbura, et pourquoi pas ne pas vendre la production de Rumonge sur le marché international ? L’ultime rêve d’Agnès est de pouvoir transformer localement les produits du lac, que le Burundi consomme pour une fois du poisson en conserve, made in Burundi.

Qui est Agnès Turayihaye?

Née 1971, elle est mariée et a six enfants. Cette institutrice est aussi la présidente du CAFED, le Collectif des associations féminines pour le développement.


Rumonge s’exprime…

La prospérité est un couteau à double tranchant. Si certains jeunes n’abandonnent pas les études pour travailler, d’autres risquent leur futur à cause de l’argent facile. Mais certaines femmes jugent que cet argent n’est pas si facile que ça.

Olivier Nihorimbere, « la richesse corrompt parfois »

Olivier NihorimbereParmi les différents problèmes auxquels est confrontée la jeunesse, ce jeune étudiant cite les conflits liés à l’héritage. « À cause de parents polygames, certains jeunes se retrouvent à la rue, d’autres s’entredéchirent pour des héritages », témoigne douloureusement ce président du Centre pour jeunes de Rumonge.

Olivier trouve aussi que les jeunes sont oubliés dans les institutions, mais que, « heureusement, ces derniers temps, on commence à nous associer car on a vu ce que nous pouvions. »

À titre d’info, ce centre pour jeunes est le fer de lance d’une campagne de sensibilisation des jeunes sur l’entrepreneuriat.

Cynthia Mugisha, « l’attrait de l’argent facile mine la jeunesse»

Cynthia MugishaCette élève n’y va pas par quatre chemins : « nous la jeunesse, et principalement les jeunes filles, on couche fréquemment pour de l’argent. » Et les conséquences ne se font pas attendre. Grossesses non désirées, abandons scolaires, risque d’attraper des maladies sexuellement transmissibles, etc…

Et elle tente de plaider pour cette jeunesse : « Quand on n’a rien chez soi, qu’on a des besoins, et qu’on n’a pas de soutien, qu’est-ce qu’on peut faire d’autre ? »

Agnès Turayihaye, « il faut soutenir les associations »

Agnès TurayihayeCette présidente du collectif CAFED a vu les problèmes auxquels peut être confrontée une association et appelle les ONG internationales et le gouvernement à soutenir tout projet. « Vous savez, un projet n’est pas pour une seule personne, mais pour tout le pays », relève-t-elle.

Forum des lecteurs d'Iwacu

3 réactions
  1. Passant

    Très beau texte, bien écrit qui nous plonge aux coeur même de rumonge, j’ai comme l’impression d’y être déjà aller… En tout cas, ce voyage fait rêver et merci ! Toutefois ces femmes pourraient pensé à l’énergie solaire, c’est même plus facile d’obtenir des financements dans ce secteur là, vu que tout le monde ne parle que de ça en ce moment et je pense que notre planète a vraiment besoin de respirer, de se régénérer via les énergies propres !

  2. Gapine

    None ngaho murashaka kutubarira ko hari abarundi babayeho neza abandi bariko baragandagugwa ijoro n’umutaga et d’autres condamnés à l’exil. Bari bakwiye gufata umunsi wo kuza baribuka abaheze mu gahinga hamwe n’abariko baragandagugwa, nawo ukaba umurongo wa arc-en-ciel muyindi. Ivyo kubandanya abanyagihugui bakora, barya, baryama, ata kwibuka ko hari abo basangiye Igihugu, qu’ils soient hutus ou tutsis, babohewe amaboko i mugongoi, nta patriotisme irimwo na gatoyi ! Nari kuryohegwa mwanditse ko boba biyumviriye no gushira hamwe na makeya yo gufasha abamerewe nabi mu nkambi, nayo ivya entreprenariat nta numwe atabifise ku mutima iyo Igihugu kiba caramutswa amahoro kuri bose !

    • KABEZA Diane

      Je te soutiens 100/100.
      Iyo ni distraction muzindi.

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