Depuis le 5 novembre 2020, les femmes ne sont pas autorisées à dépasser 20h en dehors du foyer familial en commune Ruhororo, province Ngozi. Une décision bien accueillie par la population. Mais elle la trouve discriminatoire. Reportage.
Ruhororo, province Ngozi. Le bureau communal est situé sur la route Ngozi-Gitega, non loin du site des déplacés de Ruhororo. Des bistrots pour la boisson locale ‘’urwarwa’’, des bars un peu ‘’VIP’’ jonchent la route récemment goudronnée. C’est le temps de sarclage pour les agriculteurs. Des champs de haricots, de maïs très verdoyants.
Avant d’arriver au site des déplacés de Ruhororo, sur la colline Bucamihigo, des femmes et un homme échangent au bord de la route. Il est presque midi. C’est le temps de rentrer des champs. Notre chauffeur freine. On se présente. On descend. Quelques pas aussi vers ces paysans. Ils sont accueillants. « Comment avez-vous accueilli la mesure de votre administrateur, appelant les femmes à rentrer avant 20 heures ? », lance un d’entre nous. Avant même d’allumer nos enregistreurs, Janvière Banciryanino, la soixantaine, répond spontanément : « C’est vraiment salutaire. C’est honteux de voir une femme ivre, sillonnant les bars au-delà de 19h. »
Pour elle, c’est inconcevable qu’une femme reste dans un bar jusqu’à 20h. « Elle doit rentrer tôt pour s’occuper des enfants». Idem pour une jeune fille, selon Mme Banciryanino. Elle soutient bec et ongles cette mesure de l’administration communale : « En tout cas, ce qui se passait la nuit dans ces bistrots était vraiment déshonorant pour les femmes.»
Gloriose Sabukwigina, une autre femme de la localité, ajoute que le mauvais comportement des femmes a des incidences sur sa descendance. « Comment pourra-t-on dire à tes enfants, à tes filles, de bien se comporter alors que tu te méconduits ? » Sans donner de chiffres, elle indique que les cas d’adultère sont très fréquents.
Et les hommes ?
Du côté des hommes, la mesure est également appréciée. « C’en était trop ! Comme notre administrateur est une femme, peut-être qu’elle s’est sentie elle aussi déshonorée par ces comportements déplacés de certaines femmes », commente I.B., un boutiquier de Ruhororo.
Dans cette commune, nos sources demandent que des sanctions soient prises pour les hommes qui ont des concubines. « Si ces femmes se saoulent, elles sont avec des hommes. C’est un peu injuste de punir ou de prendre une décision ciblant les femmes et de tolérer leurs complices », observe Mme Sabukwigina. Elle signale que ces hommes gaspillent leurs richesses familiales et maltraitent leurs épouses. Pour elle, ces hommes constituent parfois une source de conflit. « Il y a quelques semaines, trois femmes se sont battues pour un homme. Elles étaient toutes en état d’ivresse».
I.K., un homme de Ruhororo, abonde dans le même sens : « Il y a vraiment des hommes qui, au lieu de travailler, s’adonnent à la chasse aux concubines. On dirait qu’ils souffrent de boulimie sexuelle. Ils causent des conflits dans les familles, dégénérant parfois en divorce. »
Pour lui, des séances de sensibilisation sont aussi nécessaires. « Elles pourraient porter sur le code de la famille, les maladies sexuelles transmissibles, la gestion de la richesse familiale, l’éducation des enfants, etc. »
L’administration donne des éclaircissements
Mamerthe Birukundi, administrateur de Ruhororo, assure qu’il n’y a pas de couvre-feu : « Il y a la paix dans notre commune. Seulement, il y a un sérieux problème dans les familles.» Certains hommes sont allés se plaindre que leurs femmes sont devenues ingérables. Après vérification, elle a finalement réalisé que certaines femmes se permettent de rentrer tard la nuit. « Elles oublient leurs devoirs familiaux». Ce qui se manifeste souvent, selon elle, en cas de réception de crédit dans les associations et coopératives. Or, rappelle-t-elle, cet argent devrait contribuer au développement familial. « Il arrive même que des hommes demandent à leurs épouses de rentrer, en vain. Elles avancent qu’elles ont désormais de l’argent pour s’offrir de la bière».
Dépassés, certains hommes optent de rentrer pour s’occuper de leurs enfants. Des accrochages éclatent lorsque ces femmes rentrent plus tard, en état d’ivresse.
Mme Birukundi donne l’exemple d’un cas survenu dans la nuit de dimanche 8 novembre. Un homme est rentré d’un bar avec son épouse. « Arrivé à la maison, l’homme a fait demi-tour. A son tour, la femme a pensé que son mari est allé rejoindre une autre femme. Elle est aussi revenue au bar».
Quand l’homme a revu sa femme, raconte-t-elle, il est rentré immédiatement. Tard dans la nuit, la femme est arrivée. Et l’homme a refusé de lui ouvrir la porte tout en demandant à son épouse de loger chez des voisins. « Ivre, la femme n’a pas obtempéré. Elle a catégoriquement refusé. Des querelles, des invectives ont commencé. Et l’homme a failli se suicider. Il s’est blessé au bras avec une machette».
Mme Birukundi mentionne qu’il y a aussi des femmes qui se plaignent comme quoi leurs maris rentrent tous les jours vers 3 h du matin. Et quand ils arrivent à la maison, ils sont épuisés. « Leurs épouses sont ainsi délaissées, battues».
Devant de tels cas, l’administration communale a pensé qu’en fixant l’heure de rentrer, les concernées pourraient se ressaisir. D’après elle, si toutes les femmes ou jeunes filles, rentrent tôt, même ces hommes n’auront pas de raison de rester dans ces bars. Et de préciser que la mesure ne concerne pas les conjoints lorsqu’ils sont ensemble.
Interrogée sur la légalité de cette mesure, elle indique qu’elle a été prise après concertation avec les représentantes des femmes sur toutes les collines. Et de rassurer que des amendes ne sont pas encore fixées : « J’y pense encore. Nous sommes en phase de conseil. Et la situation évolue positivement. »
Rénovat Ndabashinze & Fabrice Manirakiza