Nostalgie de connaître l’origine de leurs arrières parents. Stigmatisation dans leur enfance. Tel est le vécu d’une famille de métis de la commune Rugombo.
Lundi 7 septembre, une journée ensoleillée se lève sur la colline Samwe, zone et commune Rugombo, en province Cibitoke, au nord-ouest du Burundi. Les agriculteurs s’activent dans les champs. Ils profitent des premières pluies tombées la semaine dernière.
Nous sommes devant une maison en briques adobe. Christine Ntibazi, une sexagénaire, peau brune, avec des rides, est assise devant cette maison. Une maison nichée dans une épaisse végétation. Elle est avec ses deux petites filles sous la couverture sombre des arbres. A côté, deux marmites en argile fumant et bouillant. De l’autre côté, des maçons érigent une maisonnette en briques adobe. Parmi eux, Nicolas Mayeri, un métis, un des quatre fils de Christine Ntibazi.
A la découverte d’une famille de métis. La mère, hésitante, raconte : « Je suis originaire de cette commune, mariée à Paul Bakundutwabo, un métis avec un phénotype tout blanc, de mère rwandaise mais de père inconnu. Pour certains, il serait Allemand, et pour d’autres un Belge. Il est décédé en 2002 me laissant 4 garçons et une fille. Un de mes fils est tombé sur le champ de bataille. Les 3 trois garçons et la fille ont tous fondé leur foyer.»
Une généalogie difficile à établir
« Mes enfants et leur progéniture sont tantôt assimilés aux Blancs, tantôt aux albinos. On leur a collé une étiquette ‘’d’origine étrangère’’. Cela me fait mal au cœur», s’indigne la sexagénaire. Et d’ajouter que sa belle-mère, la nommée Maria, est venue de la RDC et s’est installée à Rugombo. A ce moment-là, Paul Bakundutwabo n’avait que 2 ans.
A un moment donné, poursuit Mme Ntibazi, Paul Bakundutwabo a été stigmatisé. L’entourage disait que ce n’était pas un Burundais, que c’était un transfuge. Elle fait savoir que, peu à peu, son mari a essayé de s’intégrer dans la société. « Il s’est acquitté de certaines obligations, notamment en payant l’impôt de capitation, en faisant enregistrer tous les enfants à l’Etat civil ».
En outre, la sexagénaire fait savoir que son mari était mécanicien de vélo,
un métier qu’il aimait tellement et qu’il accomplissait avec celui de la culture du coton. « Tous mes fils ont hérité de son métier ». La mère raconte qu’il y avait un Blanc de l’autre côté de la RDC qui était conducteur de travaux, qui traçait les routes. Il serait le père de Paul Bakundutwabo.
« Nous ne connaissons pas nos arrières-parents. Si nous étions parvenus à identifier leur origine, nous aurions quitté immédiatement ce pays pour rejoindre nos ancêtres », regrette Nicolas Mayeri.
Lazare Bahati est le fils aîné. Il ignore lui aussi l’origine de son grand-père. « Nous n’avons pas de piste pour retracer le parcours de nos arrières parents. Nous continuons à faire les recherches ».
Selon les informations collectées chez les voisins, tout le monde ignore exactement les origines de feu Paul Bakundutwabo. D’après d’autres témoignages, le père de Paul Bakundutwabo serait un des gestionnaires des projets de construction des routes à Kavinvira, en RDC.
Des stéréotypes et des tracasseries
« Dans mon jeune âge, j’ai tenté de m’envoler vers l’extérieur. J’ai cherché un passeport, mais j’ai connu des tracasseries. J’ai cherché tous les documents à la commune et je les ai obtenus très facilement. Et je me suis rendu à Bujumbura. Voyant ma photo, les employés du service des migrations ont dit que je n’étais pas Burundais », raconte Nicolas Mayeri. Il a rebroussé chemin. De retour, il a exhibé un document attestant sa nationalité burundaise, un livret d’impôt de capitation de son père.
« Tu es Américain qui vient chiper un passeport burundais », me gronde un agent policier. Et de poursuivre : « J’ai été soumis à un test. On m’a demandé de chanter la chanson en rapport avec les mois en kirundi. Comme je l’avais apprise à l’école en 6e, je n’ai pas eu de problème.» Et d’ajouter : « Ils m’ont demandé de dire les limites de la commune Rugombo. Convaincus, ils m’ont mis sur la liste de ceux qui vont obtenir un passeport.» Après son obtention, M. Mayeri a tenté de se rendre en RDC, en empruntant la frontière de Gatumba.
Encore des tracasseries. « Les employés des migrations m’ont demandé si j’étais Burundais. Et ils m’ont donné un examen de grammaire en me demandant de couper les mots en kirundi. Un test que j’ai réussi très facilement».
Il assure avoir connu un autre problème au niveau politique. Candidat aux élections collinaires, ses détracteurs ont tout fait pour le mettre hors course : « Ne l’élisez pas, il n’est pas Burundais.»
De surcroît, il signale la stigmatisation de leurs enfants en milieu scolaire et dans le voisinage. « Tantôt ils sont traités de Blancs, tantôt d’albinos ». Cela les gêne et ils se lamentent souvent auprès de leurs parents.
Un autre regard
« Malgré leur peau, ils sont fiers d’être Burundais. Ils sont mariés à des Burundaises. Ils mènent un bon voisinage », raconte un voisin de la famille. Et d’ajouter qu’ils exercent différents métiers : « Vous voyez que l’un d’eux est conducteur d’un taxi-moto.» Ce voisin ignore leur origine : « Ils ne sont pas au courant de la provenance de leurs arrières-parents. Ils ont envie de les connaître.» Et de faire savoir que des témoignages concordant disent que leur père serait d’origine allemande.
Jacques Kubwimna, chef sortant de la colline Samwe, avoue ne pas connaître leur origine : « Ce ne sont pas des albinos, mais plutôt ils ont une peau blanche.» Ils indiquent qu’ils mènent une bonne cohabitation avec leurs voisins. « Ils sont intégrés dans les associations et dans l’administration», conclut-il.