Dimanche 23 janvier, l’ancien président du Sénat a été élu secrétaire général du Cndd-Fdd lors d’un congrès national extraordinaire organisé à Gitega. Il remplace le chef de l’Etat, Evariste Ndayishimiye, à ce poste depuis le 20 août 2016. Il est désormais président du Conseil des sages.
C’est sous la pluie, « une bénédiction », selon le maître des cérémonies, que l’ancien président du Sénat, Révérien Ndikuriyo est proclamé, nouveau secrétaire général du parti au pouvoir, le Cndd-Fdd. Une annonce faite après, une sorte de conclave organisé à huis clos au cours de cette grande messe de ce parti.
Le maître des cérémonies parlera même de ’’fumée blanche, de grands électeurs, de cardinaux réunis pour désigner l’heureux élu’’.
Les cérémonies de ce congrès voient la participation des représentants des militants de ce parti venus de toutes les provinces du pays. La première dame ainsi que les ténors et les cadres comme les ministres issus du Cndd-Fdd, tous en T-shirt à l’effigie du guide suprême du patriotisme, feu Pierre Nkurunziza, prennent part à ce congrès.
Il y a également les représentants des partis politiques agréés ainsi que certains représentants du corps diplomatique accrédité au Burundi notamment la Chine, la Russie, la Turquie et l’Indonésie. Il faut noter quelques absents parmi ces diplomates notamment les chancelleries occidentales.
Dans son discours, le nouveau secrétaire général du Cndd-Fdd promet d’être un bon leader, un bon pasteur, prêt à servir le parti. Mais d’emblée, il met en garde les ’’Bagumyabanga’’, les militants de son parti : « Il ne faut pas être des ’’brebis égarées tentées d’aller brouter dans le pré du voisin ».
Selon lui, les fonctions lui confiées sont d’une importance capitale : « C’est une tâche qui n’est pas facile mais elle ne me fait pas peur. C’est le président qui occupait ces fonctions et il a déjà tracé le chemin. Je m’engage à continuer le travail qu’il a déjà commencé. Je m’engage à être un bon pasteur qui connaît toutes ses brebis, chacune par son nom ».
Et de faire une référence à feu Nkurunziza : « Notre guide l’a dit, pas d’éclaboussures de la rosée pour celui qui suit les traces d’un éléphant en marchant dans ses pas ».
En revanche, le nouveau secrétaire du Cndd-Fdd insiste et demande aux Bagumyabanga d’être « des brebis sages ». Révérien Ndikuriyo fera une promesse solennelle : « Je m’engage à être à votre service, tout le monde aura la parole pour exprimer ses doléances. Soyez de bons conseillers avec des idées constructives et non ceux qui veulent notre perte ».
Quand l’Aigle déploie ses ailes…
Il interpelle ces derniers à être « des amis honnêtes, qui ne calomnient pas pour en tirer profit ». Selon lui, il faut mettre en avant l’intérêt général du pays, de tous les Bagumyabanga. « Ainsi tout le monde aura ce qui lui revient ».
Petite référence à la Bible par le nouvel ’’Aigle en chef’’. « Un jour, Jésus posa la question à ses disciples pour savoir ce qui se dit dans la cité à propos de lui. Et c’est pareil pour moi ».
Et de poursuivre : « Je sais que certaines personnes m’en veulent quand j’ai dit : ’’Kora !’’ (Travaillez !), que je suis un criminel, que les jeunes militants de notre parti, les Imbonerakure sont mauvais alors que c’est notre force. Mais qui disent cela ? Ce sont nos détracteurs. Mais quand l’ennemi veut t’anéantir, il frappe là où ta force est concentrée. Qu’on laisse parler les gens », rétorque-t-il face à toutes ces critiques. Ces mots sont suivis d’applaudissements nourris.
« Il faut nous critiquer pour qu’on se corrige »
Dans la foulée, le président de la République sera proclamé président du Conseil des sages. Il ne tarit pas d’éloges pour le nouveau secrétaire général : un homme courageux, entrepreneur, intrépide. « A l’université, nous étions ensemble avant de rejoindre le maquis, mais lui, s’arrangeait le week-end pour sillonner tout Makamba à la recherche du ’’kambaranga’’, du manioc sec à vendre à Bujumbura ». Eclats de rire.
Le président du Conseil des sages lui demandera d’œuvrer pour l’unité : « Quand il y a des divisions au sein du parti au pouvoir, cela se répercute sur tout le pays. Quand rien ne va, c’est le parti au pouvoir qui est blâmé et quand tout va bien, c’est un honneur pour le parti au pouvoir ».
Dans son message plein de conseils pour inciter la population burundaise à initier des activités de développement, à s’y atteler, le président de la république appellera les fonctionnaires de l’Etat à redoubler d’effort pour plus de bonne gouvernance et de productivité. Il met en garde ces derniers et leur demande de ne pas se laisser tenter par la corruption et les détournements. « Désormais, toute destitution aura un caractère de révocation ».
Le président de la République exhorte les partis d’opposition à ne pas se complaire dans l’opposition mais à émettre des critiques et à être vigilants pour redresser le parti au pouvoir et le gouvernement. D’après lui, un parti d’opposition ne signifie pas parti ennemi.
« Avant nous ne faisions que critiquer les autres, il y a même des fois où l’on souhaitait qu’il y ait des limogeages pour que l’on puisse occuper les postes convoités ».
Et aujourd’hui, fait-il remarquer, le Cndd-Fdd est sous le feu de la critique des autres partis : « Et je les remercie parce qu’ils nous observent et au lieu de nous critiquer, ils nous donnent des remarques. Il faut accepter les remarques. Arrêtons de coller à ces partis, le nom de parti d’opposition et de les considérer comme nos ennemis ».
« Les relations avec Kigali bientôt au beau fixe »
Par contre, il nous faut les appeler partis observateurs, qui nous redressent pour pouvoir bien gérer le pays. « Comme ils sont là, je profite de l’occasion pour leur demander d’avoir un œil vigilant, soyez de bons observateurs, nous nous sommes engagés à servir la nation. Si vous voyez des Bagumyabanga en train de travailler pour leur propre intérêt et non celui du peuple, faites-nous signe, pour qu’ils soient corrigés ».
Le président de la République reviendra sur les relations avec le Rwanda. « Il y a déjà un pas franchi, nous savons tous ce qui est à la base de nos mésententes, il faut qu’elles soient réglées. Après tout, ce sont nos frères, nous avons en commun beaucoup de choses comme la langue et la culture ».
Selon lui, c’est malsain que ces malentendus ternissent nos relations. « C’est peut-être des taquineries entre cousins. Quand des frères se disputent, il ne faut pas que quelqu’un s’intercale, ils savent comment régler leurs différends ». Et de terminer par une note d’espoir : « D’ici peu, les relations seront au beau fixe ».
>>Réactions
Gabriel Banzawitonde : « Quid des collaborateurs du président ? »
Le président de l’APDR salue l’élection « d’un homme d’expérience » à la tête du parti Cndd-Fdd et souhaite « une franche collaboration ». Quant aux propos du président Ndayishimiye sur les partis politiques, le leader de l’APDR juge positivement l’action du président de la République. « Il valorise les partis politiques et favorise aussi l’ouverture politique, ce qui n’existait pas auparavant ». Mais de se demander tout de même si les vœux exprimés par le président du Conseil des sages sont les mêmes pour ses collaborateurs.
Kefa Nibizi : « Les partis politiques doivent donner des observations sur d’éventuels dérapages »
Kefa Nibizi, président du parti Sahwanya Frodebu Nyakuri, se dit d’accord avec le statut d’observateurs conféré aux partis politiques par le chef de l’Etat. « Les partis politiques doivent faire un suivi rigoureux des actions du gouvernement et du parti au pouvoir afin de soutenir les bonnes initiatives et donner des observations sur d’éventuels dérapages ».
Phénias Nigaba : « Le Chef de l’Etat devait s’adresser à tout le monde »
Le porte-parole du parti Sahwanya Frodebu salue le message du président de la République adressé aux partis à l’issue de l’élection de Révérien Ndikuriyo comme secrétaire général du Cndd-Fdd. Toutefois, pour M. Nigaba, les inquiétudes ne manquent pas. « Depuis, le parti au pouvoir s’est donné pour credo la lutte contre la corruption mais cela n’a rien donné ». Selon lui, émettre un vœu est une chose, le concrétiser est autre chose.
« Nous apprécions le message du chef de l’Etat même s’il y a quelques rectificatifs à faire mais la mise en application nécessite une prise de conscience de tout le monde », a-t-il fait remarquer. Et de souligner enfin que le message du chef de l’Etat devait s’adresser à tout le monde, pas seulement aux militants du Cndd-Fdd.
Abbas Mbazumutima et Alphonse Yikeze
Brève rencontre avec Agathon Rwasa :« Le CNDD-FDD ne change pas, peu importe celui qui est aux affaires »
Le président du Cnl affiche son pessimisme quant à la nouvelle équipe dirigeante du parti présidentiel.
Réputé appartenir à l’aile dure du parti de l’aigle, l’élection de Révérien Ndikuriyo vous rassure-t-elle ?
Je ne fais pas de différences entre celui-ci et celui-là au sein de ce parti. D’aucun se souviendra que lorsque le Cndd-Fdd débarque en 2003, les exactions envers nos militants se sont multipliées et on a chaque fois fait croire que c’est la responsabilité d’Hussein Radjabu. Ce dernier n’est plus là depuis 2007 et la situation ne s’est pas améliorée, au contraire elle s’est aggravée. Tour à tour, le parti a été dirigé par Jérémie Ngendakumana, puis par Pascal Nyabenda, la situation est demeurée la même. Avec l’actuel président de la République, on n’a pas vu de changement de cap. Je ne m’y attends même pas avec l’arrivée de Révérien Ndikuriyo. Le Cndd-Fdd a son modus vivendi qui ne change pas, peu importe celui qui est aux affaires. On peut dire que les hommes changent mais le système demeure.
Le président Ndayishimiye a affirmé que les partis politiques devaient jouer un rôle d’observateurs, avoir un œil vigilant sur les actions du gouvernement et du parti Cndd-Fdd. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Je pense que c’est une attitude qui camoufle quelque chose. On ne manque pas de slogans dans ce parti mais à chaque fois, ceux-ci ne riment pas avec la réalité. On voit souvent le contraire de ce qui est annoncé. Les faits nous démontreront en tout cas si de tels propos reflètent des convictions ou si c’est juste du cosmétique destiné à l’opinion. Sinon, taxer d’ennemi l’opposition comme l’a toujours fait le parti au pouvoir, c’est aller au bout du radicalisme car la démocratie fonctionne sur un modèle de majorité et d’opposition. Si dans son discours d’investiture, il fustige l’opposition et qu’aujourd’hui, il fasse appel à la vigilance de cette dernière, à son aide, tant mieux ! Mais je crains que ça ne soit des paroles non suivies d’effets.
Vous restez donc sceptique ?
Une opposition très critique serait-elle bien vue au regard de la fermeture de l’espace politique actuellement en cours ? Qu’on pense d’abord à ouvrir l’espace politique et qu’on associe tout le monde, sinon ça sera un discours comme tant d’autres, qui ne trompe que les dupes. Par ailleurs, on conseille celui qui est à l’écoute, est-ce que le dialogue est le bienvenu pour ce régime ? Je ne sais pas. De toutes façons, ça fait déjà sept mois. Si au moins, il y aurait déjà eu ne fût-ce qu’une séance de dialogue entre le régime et l’opposition, peut-être on pourrait s’attendre à davantage de pas en avant. Jusqu’à présent, le dialogue semble plutôt banni dans ce pays. On ne reconnaît que l’opposition des béni oui-oui mais si vous êtes un tantinet exigeant en matière de respect des lois, vous êtes étiquetés autrement. Donc, attendons et voyons et là, on pourra croire à ce discours-là. Sinon, ce serait prématuré de dire que ce discours va dans le sens des attentes des uns et des autres.
La situation sur le terrain semble s’être plutôt améliorée en matière d’intolérance politique. Avec cela, le pouvoir semble avoir des arguments pour confirmer ce qu’il dit sur les liens avec les autres forces politiques.
Est-ce que vous avez déjà entendu le régime en place accepter qu’il y a des écarts de la part de l’administration par exemple ? Même aujourd’hui, il y a encore des administratifs qui se comportent comme des petits dieux dans leur petit coin où ils dictent leur volonté, ignorent carrément la loi et font broyer tout ce qui est opposition. Donc, même si le chef de l’Etat pouvait être de bonne foi, est-ce que ses subalternes le sont nécessairement ? C’est là alors qu’il faut attendre des résultats pour dire si c’est un discours qui tient debout.
En tant que leader du principal parti d’opposition, qu’attendez-vous du nouveau leader élu du Cndd-Fdd ?
Pas grand-chose. Ce parti est résolu à rester au pouvoir contre vents et marées, je ne m’attends qu’à ce que le nouveau secrétaire général travaille dans ce sens. D’ailleurs, il me semble qu’il a lancé le signal quand il interpelle les Imbonerakure pour qu’ils redoublent de vigilance. Quand il dit « Intagoheka » (Ceux qui ne dorment jamais) et d’autres types de langage du genre, tout cela, ce sont des vocables d’une autre époque. Quand il y a confusion entre l’Etat et le parti, ça serait difficile d’avoir des attentes positives. Dans un pays où le multipartisme est consacré par la loi, il ne devrait pas y avoir de deux poids deux mesures dans le traitement des formations politiques.
Malheureusement, c’est ce que l’on vit. En cela, je ne pense pas que le nouveau dirigeant du parti Cndd-Fdd va changer d’orientation, il va plutôt renforcer l’état actuel des choses. Le temps nous réserve des surprises mais de ma part, je ne suis pas optimiste quant au nouveau leadership du parti de l’Aigle.