Vendredi 22 novembre 2024

Société

Revanche mémorielle, entrave à la réconciliation

22/11/2021 4
Revanche mémorielle, entrave à la réconciliation

Dans une société post-conflit, le récit sur le passé douloureux peut être amplifié par des messages de haine contre certains groupes sociaux. Pour l’historien Eric Ndayisaba, la revanche mémorielle ne fait que remettre en cause la cohésion sociale.

Pourquoi le récit sur l’histoire douloureuse est toujours amplifié par des messages haineux ?

Le pays a subi des violences communautaires. La réconciliation entre les Français et les allemands a été facile, car on parle à l’autre qui est lointain. En ce qui nous concerne, l’autre est le voisin. C’est un problème sérieux. Le récit est donc amplifié par des messages haineux car raconter le récit sur le passé violent signifie parler des acteurs qui sont des voisins, des parents des voisins, des collègues etc. Il y a l’ampleur des passions qui sont liées à l’histoire douloureuse dans les groupes. Chaque individu ou victime est identifié par rapport à son groupe d’appartenance. Il y a donc risque de globalisation.

L’ampleur des crises identitaires a engendré des traumatismes qui n’en finissent pas. Alors il se produit ce que l’on appelle la revanche des mémoires blessées. Des gens ont subi des conséquences douloureuses et durables liées à des crises identitaires et ils n’ont pas eu le temps d’en parler. Soit le silence a été imposé par les pouvoirs publics, soit il a été imposé par l’immensité du drame. Ainsi naît la revanche des mémoires blessées et des mémoires parallèles. Et lorsque la parole se libère, elle est dosée par la violence.

Avec ces accusations directes ou indirectes et la globalisation, quelles conséquences ?

On n’est pas capable de libérer la parole mémorielle, alors on garde le silence. Mais libérer la parole sans pouvoir la réguler, c’est difficile. Quand la parole mémorielle se libère elle-même, c’est problématique. On n’est pas habitué à briser les tabous. Car ce sont des tabous liés au drame des crises identitaires. La faiblesse ou l’absence des cadres officiels de régulation de la parole complique les choses. Et au niveau communautaire, les gens ne sont pas préparés à affronter ce genre de messages. Ces controverses autour des crises peuvent affecter le voisinage. Les messages de mobilisation politique et mémorielle remettent en cause la cohésion sociale.

Comment faire pour présenter le récit sur le passé douloureux sans offenser un autre groupe ?

Il faut l’implication des pouvoir publics. Le rôle des autorités et de l’Eglise. Cette dernière est un acteur social important. Son message garde encore une légitimité. Des gens ont confiance en les hommes d’Eglise. Leur message peut atteindre un grand nombre de gens. Tous ces acteurs éduquent la population sur la manière de livrer leur témoignage et pour quel objectif. Parler de nos crises est une nécessité, car ce n’est plus possible de garder le silence. Mais également la parole aussi n’est pas facile. Tous les acteurs communautaires, politiques, administratifs doivent réfléchir sur comment façonner un message rassembleur et trouver un canal plus ou moins conciliateur.

La mémoire est là. Elle est revendiquée ou se revendique elle-même car l’histoire n’oublie rien. Il peut y avoir des discontinuités mais pas de rupture totale. Les faits historiques sont là. On en parlera demain, dans 10 ans ou 30 ans, 100 ans.

Forum des lecteurs d'Iwacu

4 réactions
  1. Gacece

    Le droit de ne pas pardonner
    Quand on demande quelque chose, la personne à qui on l’a demandée l’accorde ou ne l’accorde pas. Le pardon fait partie de ces choses qu’on demande et qu’on reçoit… et de ces choses qu’on reçoit en demande et qu’on accorde. Le pardon, c’est ce qui devrait être demandé et, si possible, accordé. Le pardon, c’est ce qui devrait être reçu en demande et, si possible, accordé.

    Mais là, la demande n’est ni n’a jamais été là! Rien du tout!… Nada!… Pourquoi? Qui doit demander pardon? Pourqouoi devrait-on accorder ce qui n’a jamais été demandé? Demandé à qui, par qui? Accordé à qui, par qui? À celui qui s’accuse ou à celui qui se sent coupable?

    Celui qui s’accuse, il se connaît!… Celui qui se sent coupable aussi. Mais celui qui se sent coupable n’est peut-être même pas coupable : il se sent coupable parce l’autre ethnie accuse son ethnie (ou son père, ou son frère, ou sa soeur, ou son cousin, ou son grand-père… de la même ethnie) d’être responsable de son malheur… alors que lui, dans toute sa naïvete et son innocence, n’a rien fait!

    Celui, par contre, qui s’accuse de quelque chose… a fait quelque chose! C’est là toute la différence! C’est celui-là qui devrait demander pardon!… Mais Il ne se sent même pas coupable!
    Et c’est là que se trouve le plus gros problème! Personne ne reconnaît ses torts : celui qui devrait demander pardon ne le dommande pas, et celui qui pense qu’il devrait demander pardon ne le fait pas de peur d’être « pré-jugé » alors qu’il n’est coupable de rien!

    Tout ceci est compliqué : il y a ceux qui ne demandent pas pardon alors qu’ils devraient demander pardon, et ceux qui ne demandent pas pardon alors qu’il se sentent coupables de ce que ceux qui devraient demander pardon ont fait.

    On va faire tout simple : Il y a ceux qui accordent le pardon!… Ils ont le droit de ne pas accorder un pardon qui n’a jamais été demandé… et plus important encore, ils ont pafaitement le droit de ne pas accorder le pardon… même s’il est demandé!…

    L’important, c’est de ne pas sombrer dans la vengence… Ce qui n’est pas synonyme de pardon ou d’inaction. On peut ne pas pardonner sans chercher à se venger!

    Accorder le pardon reste un choix personnel.

    Arrêter de vouloir « emberlificoter » les gens avec vos vertus pseudo-universelles!
    On a le droit d’en vouloir à ceux qui nous ont enlevé les nôtres et de ne pas leur pardonner!… Se venger sur les leurs reste une toute autre histoire.C’est à partir de ce point de rupture que la justice devrait (et doit) prendre la relève!

    Je revendique mon droit à l’opinion! Vous constaterez que je n’ai visé aucune ethnie en particulier.

  2. Jereve

    Je trouve que c’est la compétition malsaine entre les classes politiques qui rendent difficile la réconciliation des mémoires brisées. Nos politiciens, au pouvoir et en opposition, et nos sociétés civiles pro et hors gouvernement se déchirent pour garder la mainmise sur la gestion de l’état et avoir la plus grosse part du gâteau. Pas surprenant que certains fassent de ces « revanches mémorielles » un argument de poids pour s’attirer des sympathies de l’un ou l’autre groupe. Au niveau des populations en bas de l’échelle, comment voulez-vous envisager un authentique processus de réconciliation si les mauvais exemples viennent d’en haut?

  3. roger crettol

    Alors quoi ?
    Même les provocations de JerryCan n’auront pas appellé de réactions à cet article ?

    Il y a un éléphant dans la salle, et les Burundai(se)s ne veulent pas en parler. Cette volonté de ne pas entrer en matière est effarante.

  4. roger crettol

    JerryCan a un gros malaise à faire appel ici à un évangile, lui qui est très peu croyant.

    Mais Mathieu 5:44 propose une solution qui, toute extrême qu’elle soit, a le potentiel de déradicaliser les conflits :
    [ Mais moi, je vous dis: Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous maltraitent et qui vous persécutent … ]

    Les Burundais étant un peuple largement chrétien, ils seraient bien conseillés de méditer ces propos, de les adapter à la situation présente et de mener des actions de réconciliaiton.

    Faites-le pour le bien de vos enfants et des générations futures – et, oui, le sacrifice est lourd, personne ne va le nier.

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