L’affaire qui a défrayé la chronique est la condamnation à la prison à vie de l’ancien Premier ministre, Alain Guillaume Bunyoni. Entre temps, il y a eu un remaniement ministériel, nomination d’une nouvelle équipe de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), suspension des activités du parti CNL, etc.
La Cour suprême a condamné, le 8 décembre, l’ancien Premier ministre à la prison à vie, ses biens non déclarés ont été confisqués. 15 ans pour son homme de main, Désiré Uwamahoro, pareil pour son architecte, Côme Niyonsaba, de même que Destin Mfumukeko. 3 ans pour le chef de colline Mubone, idem pour l’agent de transmission d’Alain Guillaume Bunyoni. Les condamnés affirment qu’ils vont interjeter appel.
Il était aux environs de 15 heures quand les magistrats de la Cour Suprême sont arrivés d’un pas pressé et ont fait tout de suite entrer l’ancien Premier ministre Bunyoni dans la salle d’audience sous l’œil vigilant de la police et des agents du Service national de renseignement. Dans un silence de cimetière et sans la présence des avocats des condamnés, le président du siège a commencé par rappeler les charges qui pèsent sur les 7 accusés. Sans regarder les accusés dans les yeux, une salve de condamnations tombe comme un couperet.
Sans rien attendre, coup de maillet sur la table. « Le siège est levé », a déclaré le président. Il y a eu des murmures dans la salle, les condamnés se sont mis à réclamer les copies de jugements mais c’était trop tard et dans le vide car la Cour était déjà partie laissant les condamnés ébahis. Ceux qui étaient tout près de l’ancien Premier ministre l’auraient entendu lancer quelques mots d’indignation : « La justice ne s’arrête pas là ! »
Il n’y a pas eu de surprise, du moins pour les condamnés, au vu du réquisitoire de l’audience précédente. Comme la sentence était prononcée en français, l’agent acquitté n’avait pas compris qu’il était libre. Ce sont les autres co-accusés qui lui ont traduit cette bonne nouvelle. En tout et pour tout, cette opération n’a pas dépassé 10 minutes et le petit public composé essentiellement de policiers et d’agents de Service national de renseignement a religieusement quitté la salle se gardant de tout commentaire.
Une CENI qui ne rassure pas
C’est parti, le Burundi s’est déjà lancé dans le marathon électoral. Les 6 et 7 décembre 2023, des noms des commissaires qui vont piloter les élections législatives et locales de 2025, de même que la présidentielle de 2027 ont été approuvés respectivement par le Sénat et le Parlement.
Il s’agit de Prosper Ntahorwamiye, président de cette CENI. Il est secondé par Mme Victoire Nahimana. Il y a également dans cette équipe, comme commissaire, François Bizimana, chargé de la Communication et de l’Éducation électorale.
Mme Odette Bizumuremyi sera chargée des Finances et de l’Administration au moment où Leonidas Ndayiragije sera chargé des Opérations, de l’Informatique électorale et de la Maintenance des équipements.
Cette nouvelle équipe de la CENI comprend également Sylvestre Nyandwi, commissaire chargé des Affaires juridiques et du Contentieux électoral. Enfin, Gaby Bugaga, sera chargé de la Logistique électorale et des Approvisionnements au sein de cette nouvelle Commission électorale nationale indépendante.
Après leur approbation, tous les politiques interrogés ont dénoncé le caractère unilatéral et peu inclusif entourant leur désignation. Certains ont même laissé entendre que c’est une CENI mal partie et que de ce fait, le processus électoral est faussé d’avance.
Un politologue interrogé a analysé que cette nomination n’est que la volonté manifeste du CNDD-FDD de se tailler la part du lion.
Pour rappel, lors de leur approbation à l’Assemblée nationale, les députés du CNL pro-Rwasa ont boycotté la séance.
Entre Gitega et Kigali, le dégel diplomatique
Alors que les relations entre le Burundi et le Rwanda (deux pays voisins et vivant comme des vases communicants) se sont détériorées depuis 2015, l’année 2023 aura été une lueur d’espoir d’une reprise de leur coopération.
L’ingrédient du réchauffement des relations bilatérales entre les deux pays a été la rencontre, tête-à-tête du président Burundais Evariste Ndayishimiye et son homologue Rwandais, Paul Kagame.
C’était lors du 20e sommet extraordinaire des chefs d’Etat de la Communauté de l’Afrique de l’Est tenu à Bujumbura le 4 février 2023. Bien que cette rencontre régionale visât à analyser la situation sécuritaire à l’Est de la RDC, la présence du président Rwandais sur le sol burundais, après huit ans de brouilles diplomatiques a jeté les bases d’une reprise diplomatique entre les deux pays.
Pascal Niyonizigiye, spécialiste en relations internationales et professeur d’université a observé que cette visite de Paul Kagame à Bujumbura après autant d’années de rupture diplomatique est « une avancée importante dans le rétablissement des relations pacifiques entre les deux pays », avant d’estimer que des questions d’ordre politico-sécuritaire restent en suspens entre le Burundi et le Rwanda.
« Un geste qui montre que les deux chefs d’Etat ont compris qu’il fallait être des diplomates réalistes et non des diplomates idéologiques », a également observé un ancien diplomate.
D’ailleurs, les réactions de la classe politique Burundise ont indubitablement prouvé que la cohabitation pacifique entre les deux pays corrodait les Burundais.
Après la diffusion par les services de communication de Ntare Rushatsi House et du Village Urugwiro des photos du tête-à-tête des deux présidents, des réactions ont inondé la toile. Sur leurs comptes twitter, les deux présidents ont même posté des messages de félicitation et de sympathie.
Pour rappel, la visite du président Rwandais à Bujumbura a été précédé de gestes d’ouverture de part et d’autre, de discours apaisants et de tractations visant la normalisation des relations.
Un remaniement ministériel qui n’a pas convaincu
Pour la 2e fois en trois ans au pouvoir, lundi 2 octobre, le président de la République, a remanié son gouvernement. Quatre ministres ont été remerciés. Mais le scepticisme reste : plusieurs observateurs interrogés, n’espèrent rien de ce remaniement.
Sur les quinze ministres qui composaient ce nouveau gouvernement, quatre d’entre eux, à savoir Sanctus Niragira, ministre de l’Agriculture et de l’Elevage, Sylvie Nzeyimana, de la Santé publique, Ezéchiel Nibigira, de la Jeunesse et Sport et Communauté de l’Afrique de l’Est ainsi que Déo Rusengwamihigo de la Fonction publique, ont été démis de leurs fonctions pour laisser la place, respectivement à Prosper Dodiko, Lyduine Baradahana, Gervais Abayeho et Vénuste Muyabaga.
Dans l’opinion, les nominations ont pris de court bon nombre d’observateurs politiques avisés. A leur surprise générale, ni le très mal quotté par le Chef du gouvernement, Martin Niteretse, ministre de l’Intérieur ou la très décriée par la population Domine Banyankimbona, ministre de Gardes de Sceaux dont les manquements de son ministère de la Justice sont devenus monnaie courante ou encore François Havyarimana, ministre de l’Education, constamment indexé pour sa mauvaise gestion des enseignants à la retraite, n’ont été inquiétés.
Pour Agathon Rwasa, c’est un remaniement monocolore. M. Rwasa constate qu’il faut corriger le fait de nommer chaque fois les membres du parti au pouvoir, CNDD-FDD comme si en dehors de ce parti, il n’y a pas de compétences. Ce député semble douter de l’utilité des remaniements ministériels. D’après lui, au regard de la situation, le remaniement ministériel devrait concerner en premier le ministère du Commerce.
Quant à Faustin Ndikumana, il trouve qu’il faut, avant tout, un gouvernement de technocrates. D’après le directeur exécutif de l’ONG locale, Parcem, les remaniements ministériels se sont toujours opérés. « On a toujours vu des ministres qui entrent et qui sortent du gouvernement, c’est un programme de réformes profondes, de révision du cadre légal au niveau de la gouvernance ».
Selon lui, le Burundi a plutôt besoin d’un nouvel ordre de gouvernance. Pour cet activiste, il fallait nommer un gouvernement technocrate avec une mission bien déterminée et des objectifs connus pour que le gouvernement soit évalué régulièrement. Il propose la cohérence d’un gouvernement où tout est planifié, sans aucune improvisation.
Débat autour de la suppression ou non des quotas ethniques
Une autre actualité politique qui a singulièrement marquée l’année 2023 est ce débat national sur la suppression ou non des quotas d’équilibre ethnique contenus dans l’Accord d’Arusha.
Même avant le lancement officiel de ce débat, le maintien ou non du système des quotas ethniques a fait buzz au niveau de la population. Certaines opinions étaient hostiles à la suppression de ces quotas tandis que d’autres la soutenaient.
« Que cela soit rayé. Celui qui est membre d’une institution ne représente pas son ethnie », a réagi un citadin. Et d’autres de renchérir : « Si les quotas ethniques ne sont pas supprimés, nous resterons en arrière. Il faut qu’ils soient effacés pour que des gens soient choisis selon leurs compétences ».
Nonobstant, d’autres citoyens ont estimé que le système des quotas ethniques a sa raison d’être dans la Constitution. Pour ces derniers, la suppression des quotas ethniques risque d’entraîner une administration mono-ethnique et « risque alors de raviver des conflits comme par le passé ».
Même son de cloche chez les représentants des partis politiques et des organisations de la société civile.
Dès le lancement officiel de l’évaluation du système de quotas ethniques dans l’exécutif, le législatif et le judiciaire, à Gitega, lundi 31 juillet 2023 par le Sénat, l’unanimité a été loin d’être acquise. Les uns ont considéré qu’il n’est pas encore temps que les quotas ethniques soient supprimés dans la Constitution au moment où d’autres intervenants à ce lancement voyaient que ces quotas ne sont même pas appliqués convenablement.
Face à ce débat, Stef Vandeginste, chercheur à l’Université d’Anvers a indiqué qu’« il serait utile d’évaluer le système des quotas en fonction de ses objectifs ».
Le parti CNL suffoqué
Tout a commencé au lendemain de la tenue par le Congrès national pour la liberté (CNL) des congrès ordinaire et extraordinaire respectivement les 12 mars et 30 avril 2023. Les conclusions de ces congrès ont été rejetées par Martin Niteretse, le ministre Burundais de l’intérieur.
« Les amendements apportés aux statuts et au règlement d’ordre intérieur énoncés à travers le procès-verbal du congrès ordinaire et ses annexes nous communiqués sont nuls pour ne produire aucun effet ni à l’égard des membres du parti Cnl, ni à l’égard des tiers », lit-on dans une correspondance du 17 mai 2023 que le ministre a adressée à Agathon Rwasa. Et d’ajouter que la décision prise lors du congrès extraordinaire du parti Cnl mettant en place de nouveaux organes est inopérante.
Pour justifier cette décision, le ministre de l’Intérieur avait donné deux raisons : après avoir « analysé » les conclusions de ces deux congrès, Martin Ninteretse a constaté que le parti CNL n’a pas respecté ses propres statuts et règlements d’ordre intérieur dans leur organisation, avant d’ajouter qu’il a également été saisi sur ces mêmes irrégularités par un groupe de députés évincés du bureau politique de ce parti.
Agathon Rwasa a essayé de défendre son camp en se référant à l’article 10 de la loi régissant les partis politiques qui interdit toute « ingérence des pouvoirs publics dans le fonctionnement interne des partis politiques », en vain. Les choses sérieuses sont arrivées à ce principal parti d’opposition le 2 juin 2023.
Par la lettre nº 530/3464/CAB/2023, le ministre de l’Intérieur Martin Niteretse a pris une autre décision cette fois-ci de suspendre les activités du parti CNL sur toute l’étendue du territoire national.
Cette décision a suscité un débat houleux tant au niveau de la classe politique burundaise qu’au niveau des analystes et observateurs de la scène politique burundaise. Certains sont allés jusqu’à qualifier cette décision du ministre d’« ingérence politique » et de « verrouillage de l’espace politique ».
Des crocs-en-jambe, des coups-bas, des éjections, tout cela a continué de miner le parti d’Agathon Rwasa jusqu’à l’heure où ces lignes sont écrites.