Entre volonté de maîtriser l’inflation sans cesse galopante et la nécessité de s’ajuster par rapport aux exigences de certains partenaires technico-financiers, 2023 a aussi été une année éprouvante pour la population burundaise. Avec les récentes pénuries de carburant et ses conséquences, un calvaire dont on ne voit pas le bout du tunnel.
Avec des mesures que certains observateurs économiques commencent à qualifier de « tâtonnements », allusion faite aux nombreux réajustements sans pour autant qu’ils produisent l’effet escompté. En témoigne, le projet de révision de la loi des Finances 2024/2025 adoptée par l’Assemblée nationale, mardi 26 décembre.
Alors que d’importantes coupes budgétaires sont annoncées pour l’année à venir, histoire de voir comment maintenir la barque au-dessus de la ligne de flottaison. Nombreux experts doutent déjà de son efficacité. Selon eux, mis de côté le fait que les recommandations émises n’ont pas fait objet d’une étude minutieuse. « C’est même un signe d’une panique palpable au sommet de l’Etat. »
Ils estiment que certaines mesures auraient été prises depuis bien belle lurette. Mais plus que tout, 2023, aura été l’année de se conformer aux exigences, notamment du FMI dont l’appui était conditionné par une série de réformes macro-économiques. Ainsi, dans cette optique, une batterie de mesures a été arrêtée.
Objectif : recalibrer les politiques macroéconomiques. Le programme du gouvernement soutenu par le FMI comprend quatre grands axes : (1) une consolidation budgétaire de qualité, reposant sur l’augmentation des recettes fiscales et permettant la préservation des dépenses sociales et l’investissement, (2) l’unification des marchés de changes officiel et parallèle, (3) un resserrement de la politique monétaire pour soutenir l’unification amorcée et juguler l’inflation et enfin (4) la mise en œuvre de réformes structurelles et de bonne gouvernance afin de soutenir une croissance à long terme forte, inclusive et porteuse d’emplois.
Pour ce, la limitation des retraits a été la 1ère décision à entrer en vigueur. En effet, à partir du 16 janvier 2023, tout titulaire d’un compte bancaire ou dans une microfinance ne dépasse pas au retrait, 15 millions BIF par jour et 100 millions par mois. Et au dépôt, c’est 20 millions par jour. « Au-delà de ces montants, le client doit se justifier », a fait savoir le gouverneur de la Banque centrale de l’époque, Dieudonné Murengerantwari. C’était ce vendredi 13 janvier 2023.
M. Murengerantwari a notamment expliqué que cette mesure vise à réduire la manipulation du cash. Il a conseillé d’exploiter les autres produits et services financiers, tels que les remises des chèques, les virements de compte à compte et les services financiers numériques.
Des conséquences incommensurables
En plus de la perte de confiance en FBU, les Burundais ont accéléré la thésaurisation. Comme si cela ne suffisait pas, un état de faits qui va s’empirer avec la décision de retirer de la circulation les anciens billets de 5000 et 10.000 BIF. Deux mois après l’entrée en circulation de nouveaux billets de 5 mille et 10 mille BIF, un hic persiste. Faute de liquidités, toutes les institutions bancaires sont pratiquement contraintes de limiter les retraits de leurs clients.
De quoi susciter moult interrogations, colère et indignation. Volonté de stabiliser la trésorerie de la banque centrale ou objectif à peine voilé de traquer certains « malfrats » que le président de la République durant toute cette année n’a cessé de pointer du doigt. L’onde de choc de ladite décision se ressent jusqu’à maintenant.
Sans véritables mesures d’accompagnements, parmi les principales victimes de cette situation, les hommes d’affaires, commerçants, chef de chantiers en cours de construction, souvent obligés de payer en argent liquide leurs ouvriers, parce qu’ils ne possèdent pas de compte bancaire, voire de téléphone mobile. Beaucoup de businessmen sont ceux qui ont opté de délocaliser vers certains pays voisins.
Comme coup de grâce, dans la foulée, le gouvernement a pris une série de mesures visant à serrer la vis, notamment pour renflouer les caisses de l’Etat en devises.
Dans une réunion avec les intervenants dans le secteur d’échange monétaire, ce 12 juin, le Premier ministre a accusé les bureaux de change de s’adonner à la collecte des devises plutôt qu’à l’échange. Ces bureaux doivent désormais déclarer au moins 50 mille euros ou dollars chaque semaine sous peine d’être rayés de la liste. Bien que décriées par la population, cet arsenal de réformes a convaincu les partenaires technico-financiers du Burundi de sa bonne foi. A à leur tour, ils n’ont pas tardé à mettre en œuvre les promesses faites.
Ainsi, le 10 avril, à travers un communiqué, Gitega et les services du Fonds monétaire international (FMI) sont parvenus à un accord ad-referendum sur un nouveau programme de 38 mois au titre de la Facilité élargie de crédit (FEC), pour une enveloppe d’environ 261,7 millions USD, dont 62,6 millions décaissé en juillet.
Pour nombre d’économistes, c’est une bouffée d’oxygène, mais aussi un catalyseur pour les autres financements. Toutefois, ils préviennent que le programme du FMI sera très contraignant, mais que le Burundi n’a pas de choix compte tenu de l’ampleur de la crise financière.
Dans cette même logique, le conseil d’administration du Groupe de la Banque africaine de développement (BAD) a approuvé une facilité de garantie des transactions de financement du commerce en faveur de la Banque commerciale du Burundi (Bancobu).
« En capitalisant sur l’empreinte stratégique de la Bancobu dans le pays, cet instrument apportera un soutien aux petites et moyennes entreprises (PME) et aux sociétés locales, afin de faciliter la satisfaction de leurs besoins en matière de financement du commerce d’importation et d’exportation », a indiqué la BAD.
Malgré la volonté affichée du président de la République d’en finir avec « la mafia » qui détourne les deniers publics, de lutter contre la corruption, etc. Les intempestives pénuries des produits pétroliers et les hausses répétitives des prix du carburant ont volé la vedette aux nombreuses sorties très remarquées du chef de l’Etat. Une grosse épine dans le pied de son gouvernement. Sans solution, ce sont ses conséquences sur la vie socio-économique du pays qui s’amplifient.
L’Association burundaise des consommateurs déplore le manque de transparence dans la structuration des prix du carburant. “Avant de fixer les prix du carburant, le ministère réunissait toutes les parties concernées dont les consommateurs.
Mais aujourd’hui, c’est unilatéral, on voit des annonces de prix revu à la hausse sans aucune concertation avec les parties prenantes”, indique Noël Nkurunziza, président de l’Abuco. Et la récente pénurie est d’autant plus sévère qu’elle a frappé de plein fouet tous les secteurs, obligeant la population à créer des files indiennes pour acheter du charbon de bois.
Des rapports qui interrogent
Le limogeage des gouverneurs de la BRB a également marqué 2023. Selon bon nombre d’experts économistes, une donne loin de rassurer ses partenaires. Plus que tout, qui témoigne à suffisance du manque d’indépendance de la banque centrale en tant banque des banques en charge de régulation de l’économie du pays.
Nombre d’experts soulignent que l’indépendance de la banque centrale, « ce n’est pas un simple concept théorique, c’est une nécessité pratique et un principe fondamental de la macroéconomie moderne pour assurer la stabilité économique et la prospérité. »
Alors que Dieudonné Murengerantwari, ancien gouverneur de la BRB, est emprisonné pour atteinte au bon fonctionnement de l’économie nationale, corruption passive, blanchiment d’argent et détournement des biens publics, la mission d’évaluation du FMI pour le décaissement d’une 2e tranche dans le cadre de la FEC n’a pas jusqu’ici annoncé la date de sa venue au Burundi. Selon certaines sources, un silence qui en dit long.
Plus inquiétant, ce sont les rapports peu reluisants de certains de nos bailleurs. Allusion faite à la dernière visite de la délégation du FMI. Du 25 au 29 septembre, une équipe du Fonds Monétaire International a effectué une mission de travail au Burundi. Et c’est un tableau sombre de la situation économique alarmante du pays qu’elle brosse. Selon Mame Diouf, cheffe de cette délégation, elle a fait savoir que c’est la viabilité extérieure qui demeure largement un défi urgent.
Alors que le déficit de la balance des transactions courantes devrait s’élargir en 2023 (15,6 % du PIB en 2022), les réserves en devises ont continué à diminuer, s’établissant à 59,7 millions de dollars (environ 0,5 mois d’importations) en mi-septembre (contre 1,3 mois d’importations à la fin mars 2023).
Pire encore, la cheffe du bureau du FMI constate amèrement que malgré les efforts entrepris pour unifier le taux de change, la dépréciation de 38 % du taux de change nominal effectuée par la banque centrale, le 4 mai 2023, a temporairement réduit la prime sur le marché des changes parallèle. D’environ 42 %, le 4 mai, elle a augmenté depuis (à environ 57.4 % à fin septembre). Et ce, sans oublier l’inflation proche de dépasser les 30%, alors que parmi ces réformes en cours, l’objectif c’est d’atteindre une inflation annuelle moyenne à 20 % en 2023, 16 % en 2024.
Quelques mois auparavant, Hawa Cissé Wagué, représentante résidente de la Banque mondiale au Burundi, lors de l’évaluation, le 2 mars 2023, du cadre de partenariat-pays (CPP) entre le Burundi et le Groupe de la Banque mondiale, a tiré la sonnette d’alarme.
En effet, le taux de décaissement des projets financés par la Banque mondiale est de 21% seulement pour les 1,3 milliards USD du portefeuille de la Banque mondiale destiné au gouvernement du Burundi sur la période 2019-2023. Des centaines de millions de USD risquent de tomber en annulation alors que le pays a tant besoin de devises. Une honte, une incurie, une catastrophe… Selon les observateurs.
Ils relèvent plusieurs facteurs : mauvaise gestion, incompétence des gestionnaires, recrutements partisans, spéculations, etc. De quoi se demander si les Burundais pèchent par ignorance ou le font expressément. Durant toute l’année la question concernant les compétences a été au centre des discussions. Lors d’un point de presse pour dresser le bilan des projets financés par le système des Nations Unies, Abdou Dieng, alors coordonnateur a.i, ne s’est pas empêché de s’interroger : « Le gouvernement me dit que nous n’avons pas pu exécuter ce projet parce qu’on n’a pas les capacités. J’ai posé la question : vous voulez des capacités externes qui viennent ici ou vous voulez qu’on vous aide à faire revenir les nationaux burundais qui sont hyper compétents qui sont dans la diaspora ? »
Quelques bons gages
La traçabilité, la transparence budgétaire…Entre autres quelques conditionnalités des partenaires technico-financiers, en tête desquels les institutions de Bretton Woods. Durant toute l’année qui touche à sa fin, Gitega a cherché comment renforcer ses outils de gestion en basculant vers le budget-programme.
Une réforme qui peine à prendre forme suite en grande partie à un personnel qui n’est pas suffisamment formé. Mais aussi et surtout à une kyrielle de défis, comme le fait « que la réforme n’ait pas réussi à surmonter des procédures et la culture persistante de non performance et d’absence de responsabilisation au sein de la fonction publique », a analysé un cadre du ministère des Finances. En témoigne, les dépassements récurrents des budgets engagés lors de l’évaluation.
Idem pour une bonne vérification des résultats et respect des deadlines, nous devrions aller sur le terrain. Or, aucune ligne budgétaire n’y est allouée. Pour la 2e fois, le Burundi a organisé le forum national sur le développement économique avec comme thème : « Vision Burundi pays émergent en 2040 et pays développé en 2060 ».
Un rendez-vous attendu surtout que les nombreuses recommandations de la 1ère édition devraient permettre au Burundi de franchir un palier. Une occasion manquée. Car, lesdites recommandations n’ont été communiquées qu’à quelques jours du début de cette grande messe. Pour nombreux experts, de quoi se demander sa pertinence d’autant que l’évaluation des recommandations de la 1ère édition devraient en être le baromètre.
Pour la 2e fois, s’est tenu Umuzinga Day, une rencontre rassemblant tous les investisseurs du secteur privé ainsi que ceux du secteur public. Occasion tant rêvée pour le gouvernement de réaffirmer sa détermination à soutenir le secteur privé, les participants présents sont revenus sur la problématique liée à l’accessibilité des marchés et matières premières sans avoir accès aux devises.
Autre mérite de cette conférence, elle a permis de mettre en lumière les difficultés auxquelles est confronté le secteur public afin d’être compétitif. « Un frein énorme pour la mise en place d’un partenariat public-privé digne de ce nom », a insisté Olivier Suguru, président de la CFCIB.
2024 s’annonçant comme avant dernière ligne droite pour les élections législatives de 2025, plus d’un redoute que la question en rapport avec la conjoncture économique (pauvreté, développement économique, etc) ne soit plus la priorité du gouvernement.
En attendant peut-être de voir le bout du tunnel en 2024, la population craint le pire avec la récente décision de la BRB de revoir son taux directeur. « Dans l’incapacité de contracter un crédit bancaire pour financer leurs petits commerces, comment devront survivre les gens de la classe moyenne ? Ce sont des familles entières qui bientôt vont se retrouver dans la rue », prévient G.F., banquier.