Vendredi 22 novembre 2024

Politique

Retrait du Burundi de l’agenda du CSNU: (In) opportun ?

14/12/2020 Commentaires fermés sur Retrait du Burundi de l’agenda du CSNU: (In) opportun ?
Retrait du Burundi de l’agenda du CSNU: (In) opportun ?
Le Conseil sécurité des NU réuni pour statuer sur le cas du Burundi

Vendredi 4 décembre 2020, le Conseil de Sécurité des Nations-Unies (CSNU) a décidé de retirer le Burundi de son agenda politique. Gitega et ses proches jubilent. De son côté, l’opposition parle d’un échec. « Une impuissance de l’ONU », critiquent d’autres analystes et organisations de défense des droits de l’homme.

Réalisé par Abbas Mbazumutima et Félix Haburiyakira

Le Communiqué du Conseil de sécurité est tombé le 4 décembre. Il est sans équivoque. « Le Conseil prie le Secrétaire général de cesser de faire rapport périodiquement sur la situation au Burundi et attend avec intérêt qu’il couvre le Burundi dans le cadre de ses rapports réguliers sur la région des Grands Lacs et l’Afrique centrale »

via ce communiqué, les membres du CSNU affirment que l’ONU note « une amélioration de la situation sécuritaire au Burundi » et que par ailleurs « les élections globalement pacifiques ont marqué une nouvelle phase ».

Toutefois des violations des droits de l’homme subsistent. A ce titre, l’organe de l’ONU demande aux autorités burundaises « de faire en sorte qu’il soit mis fin à ces violations et atteintes et de tenir les auteurs responsables de leurs actes. ». Le Conseil de Sécurité exhorte le Gouvernement burundais à coopérer avec l’ONU « pour surmonter ces problèmes. »

L’institution onusienne reconnaît tout de même que quelques points restent à améliorer. Il s’agit de la préservation de l’espace démocratique, la liberté d’expression notamment pour les médias et la société civile, la réconciliation nationale, une justice autonome et l’émergence d’un Etat de droit.

Le Conseil de sécurité de l’ONU prend note du rapport du secrétaire général sur la mission d’évaluation stratégique concernant les activités des Nations Unies au Burundi et de ses recommandations pertinentes. Et d’ajouter. « Le Conseil de Sécurité engage le Secrétaire général et le gouvernement burundais, dans le cadre de leurs échanges, à laisser suffisamment de temps au bureau de l’Envoyé spécial pour procéder à une transition sans heurt. »


>>Réactions

« Non, l’ONU reconnaît qu’il y a évolution »

Avec le retrait du Burundi de l’agenda du Conseil de sécurité, le porte-parole du gouvernement burundais parle de ’’décision noble’’ faisant suite aux vœux exprimés par le président de la République’’. A travers cette ’’mesure historique’’, fait savoir Prosper Ntahorwamiye, les Nations unies viennent de reconnaître enfin que des avancées significatives dans différents domaines ont été réalisées au Burundi. Pour le porte-parole du gouvernement, cette décision est un ’’signal, on ne peut plus fort et déterminant, de renormalisation des relations diplomatiques entre le Burundi et les Nations unies’’.

Selon lui, les raisons qui ont amené le Conseil de sécurité à suivre de près le Burundi depuis 2015 et à le mettre sur son agenda n’ont plus cours : « L’amélioration de la situation des droits de l’Homme et la stabilisation de la sécurité dans tout le pays sont une réalité et la population vaque quotidiennement et en toute quiétude aux travaux de développement ».

Et d’ajouter que ’’le Burundi se réjouit que tout le monde voit e la même chose, y compris les Nations unies’’. Le gouvernement du Burundi se dit engagé à poursuivre le processus de consolidation de la paix et d’un Etat de droit sûr et rassurant pour tout le monde, car cela relève de sa responsabilité, a dit Prosper Ntahorwamiye.

« Il y a beaucoup à faire »

Par sa ’’décision surprenante’’, déplore Térence Manirambona porte-parole du CNL, les Nations unies ont paradoxalement amorcé un revirement par rapport à leur ligne. Selon lui, l’ONU savait qu’il y avait toujours des raisons de poursuivre ses missions au Burundi, mais cette organisation a fait volte-face pour s’adapter à la volonté du gouvernement. « Nous continuons à espérer qu’elle va continuer à s’intéresser au Burundi pour voir si la décision qu’elle a prise colle avec la réalité sur le terrain ». D’après lui, il fallait bien analyser les raisons qui ont amené le Conseil de sécurité à suivre de près le Burundi depuis la crise postélectorale de 2015 et à le mettre sur son agenda, pour voir si ces motivations ont disparu. « Il fallait voir si le moment était opportun de prendre une telle décision », insiste Térence Manirambona. Il appelle les Nations unies à continuer d’observer tout ce qui se passe dans le pays en matière de respect des droits de l’Homme et de rétablissement d’un Etat de droit.

Sinon, regrette-t-il, le chemin est encore long : « les droits de l’Homme ne sont pas encore respectés, il y a des cadavres ici et là, il y a l’intolérance politique, la justice fonctionne avec beaucoup de difficultés, il y a des gens qui purgent leurs peines, mais qui restent en prison, d’autres n’ont pas droit à un procès équitable ».

Le porte-parole du CNL dresse un bilan peu reluisant : «les médias ne sont pas indépendants, les gens ont peur de s’exprimer, ils ne sont pas libres, les boîtes de suggestions proposées par les autorités le démontrent, se cacher pour donner ses doléances ou son opinion est contraire même à la Constitution qui garantit la liberté d’expression, d’opinion et d’association en toute quiétude ».

Pour Térence Manirambona, «il y a beaucoup à faire et il faut que le Conseil de sécurité des Nations unies puisse suivre de près l’évolution de la situation prévalant au Burundi ».

« Garder l’œil sur le Burundi »

Le retrait du Burundi de l’agenda du Conseil de sécurité des Nations unies suscite moins d’enthousiasme du côté des organisations de défense des droits de l’Homme comme Human Rights Watch (HRW). Pour cette organisation, l’ONU devrait maintenir des rapports réguliers sur la situation des droits humains sur le Burundi. « La surveillance par le Conseil de sécurité est essentielle pour la justice et les réformes ».

« De l’impuissance »

D’après Thierry Vircoulon, chercheur associé à l’IFRI (Institut français des relations internationales), les rapports du secrétaire général de l’ONU sur le Burundi ne changeaient rien. «Le fait de ne plus en faire ne changera rien non plus. L’ONU est une organisation impuissante et les membres du conseil de sécurité se sont lassés de ne rien faire. »

Cndd-Fdd : « C’est un message fort pour le reste des partenaires »

« Le Parti Cndd-Fdd se joint à tous ses militants et à tous les Burundais en général, pour manifester sa joie et enthousiasme suite à la décision responsable du Conseil de Sécurité des NU de retirer le Burundi de son agenda politique », indique Nancy-Ninette Mutoni, secrétaire nationale chargée de la Communication et de l’Information, dans un communiqué sorti, mardi 8 décembre.

Pour elle, cette décision marque la reconnaissance par le Conseil de Sécurité de la situation réelle au Burundi. Et de marteler : « C’est une réponse favorable aux multiples demandes légitimes des Burundais et amis du Burundi. C’est une victoire du peuple, et un pas de plus dans le renforcement de la souveraineté nationale ».

Par ailleurs, poursuit le communiqué, le Parti Cndd-Fdd salue la décision du Conseil de Sécurité de l’ONU qui marque « une ère nouvelle de coopération fructueuse et mutuellement respectueuse, car, au lieu de gaspiller beaucoup de temps à la rédaction de contre-rapports, trimestriels, ce temps précieux sera consacré au développement socio-économique du pays et à la consolidation des acquis démocratiques, de l’Etat de droit et de la paix ».

Pour le Cndd-Fdd, cette décision historique des Nations Unies constitue un « message fort pour le reste des partenaires » afin de s’engager dans la voie du développement des relations. Et ceci selon les domaines prioritaires identifiés de commun accord dans un esprit d’ouverture, de confiance et de respect mutuel.

« Ce n’est pas une décision précipitée »

« C’est une grande satisfaction que le Conseil de Sécurité des NU ait retiré le Burundi de son agenda politique », se réjouit Kefa Nibizi, président du Frodebu Nyakuri. Il s’agit d’une lecture réelle de la situation qui prévaut au Burundi parce la paix et la sécurité y règnent. Elles ne devaient pas être une préoccupation de la communauté internationale. Selon M. Nibizi, cela pourra encourager d’autres partenaires notamment les investisseurs d’amener leurs capitaux au Burundi.

Interrogé si cette décision n’avait pas été précipitée, Kefa Nibizi se veut catégorique. « Elle n’est pas précipitée parce que ce n’est un secret de Polichinelle, la paix et la sécurité règnent au Burundi ». Selon lui, le Conseil des droits de l’Homme devrait suivre le même pas pour ne pas stopper un processus déjà engagé. Et de demander à ce Conseil de suspendre la mission de la Commission d’enquête sur le Burundi. « Il ne faut pas que deux Conseils d’un même organe voient différemment la situation qui prévaut dans un même pays ».

«Une décision triomphale et honorifique pour le Burundi»

« Le retrait du Burundi sur l’agenda politique du Conseil de Sécurité des Nations unies est une victoire politique et diplomatique pour le gouvernement burundais », indique Hamza Venant Burikukiye, de Pisc-Burundi. Pour lui, cette décision témoigne que la communauté internationale reconnaît la situation réelle qui prévaut au Burundi. « C’est une décision triomphale et honorifique pour le Burundi ».

M. Burikukiye invite les Burundais à accueillir cette décision avec enthousiasme et sérénité. Néanmoins, il demande aux Burundais de rester vigilants, car selon lui « l’ennemi n’a pas encore désarmé ». Cet activiste de la société civile demande également à l’UE d’emboîter le pas aux NU. « Nous espérons que l’UE va faire la même lecture et procéder à la révision de la Résolution du renouvellement du mandat des Experts onusiens d’Enquête sur les droits de l’Homme au Burundi ».

Flash-back

Les relations entre le Burundi et les NU ont évolué en dents de scie depuis la crise de 2015. Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a créé une Commission d’enquête sur le Burundi en 2016, qui est chargée d’enquêter sur la situation des droits de l’Homme au Burundi.

Depuis lors, cette Commission produit, régulièrement, des rapports sur la situation des droits de l’homme dans le pays. Des rapports que Gitega a toujours rejetés les qualifiant de « tendancieux et de politiquement motivés ».

Arguant que la situation sécuritaire était bonne, les autorités n’ont cessé, à maintes reprises, de demander à l’ONU de retirer le Burundi de l’agenda politique du Conseil de sécurité.

En octobre 2019, l’Envoyé spécial de l’ONU pour le Burundi, Michel Kafando démissionne. Il n’a pas été remplacé. En février 2019, Gitega a fermé le bureau du Commissariat de l’ONU pour les droits de l’homme.

En septembre 2019, la Commission d’enquête a signalé que huit facteurs de risque communs aux atrocités criminelles étaient présents au Burundi. En octobre 2020, le mandat de la Commission d’enquête sur le Burundi est renouvelé. Gitega tente d’empêcher ce renouvellement, mais en vain.

En novembre dernier, dans sa note verbale, le ministère des Affaires étrangères et de la Coopération au Développement a tenu à ’’notifier au Secrétaire général de l’ONU la fermeture formelle et la liquidation du Bureau de son Envoyé spécial au Burundi au 31 décembre 2020’’.

Et de préciser que la présence de ce Bureau n’est plus nécessaire arguant que les raisons qui ont milité pour son implantation sont devenues aujourd’hui caduques : « les motivations de vote de la résolution 2248 de 2015 et de la résolution 2303 de 2016 dans leurs aspects politiques, sécuritaires, droits de l’homme sont devenues obsolètes ».

Selon le chef de la diplomatie burundaise, le Burundi ayant retrouvé la paix, la sécurité et la stabilité politique, le gouvernement estime que seule une présence des Nations unies à caractère socio-économique à travers l’Equipe-pays pour accompagner le Burundi dans ses efforts de développement est nécessaire.

ONU

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