La coalition de l’opposition en exil, Cnared, a annoncé sa volonté de rentrer au pays pour participer au prochain scrutin. Une décision saluée par le pouvoir en place et troublante pour l’opposition.
« Nous nous préparons à rentrer pour participer aux élections de 2020 ». L’annonce est faite par le Cnared après des mois de silence. Le secrétaire exécutif du Cnared, Anicet Niyonkuru, parle d’une réflexion mûrie au cours d’une rencontre du directoire de la plateforme du 2 au 4 août.
« Nos militants au pays ont décidé qu’ils iront voter malgré tout,» se justifie la plateforme de l’opposition en exil. Pour lui, il est hors de question de faire un autre cadeau au Cndd-Fdd avec un nouveau boycott. D’où cette décision de rentrer au pays pour essayer de récupérer son électorat laissé à lui-même. Un électorat actuellement siphonné par les deux plus fortes formations politiques actuelles actives sur le terrain: le Cndd-Fdd et le CNL.
L’histoire du Cnared est loin d’être glorieuse. Un bilan plutôt mitigé pour ce bloc constitué de personnalités qui ont marqué l’histoire contemporaine burundaise mais qui n’ont pas pu capitaliser leurs compétences pour honorer les attentes de la population. Depuis, plusieurs ont quitté le navire qui tanguait dangereusement, menant vers des horizons incertains.
« S’il faut faire une réédition de cet échec, autant rentrer au pays pour voir ce que ça donne, » indique un politologue.
Comme pour lui donner raison, Anicet Niyonkuru estime que « dix millions de Burundais qui sont au pays attendent le changement que nous ne pouvons pas apporter étant à l’étranger. D’où la nécessité pour nous de rentrer au pays ».
Il n’est plus question donc d’un dialogue inter-burundais sous la médiation de la sous-région ni de l’Union africaine. L’horloge électorale n’attend pas. Pour que cela se passe plus rapidement, le Cnared a revu ses ambitions à la baisse. « Si même demain, le gouvernement nous appelle pour convenir des garanties en présence d’un tiers pour témoin, nous rentrerons ». Des garanties demandées sont essentiellement celles de sécurité, de levée de mandats d’arrêt de ceux qui sont accusés de tentative de putsch, ainsi que la garantie d’ouverture de l’espace politique.
Eclair de lucidité ou suicide politique ?
A moins d’un évènement fort improbable, les élections de 2020 auront lieu. Le calendrier électoral a été dessiné, le code électoral ainsi que le budget pour financer ces élections sont établis. Toutes les planètes sont donc alignées pour que d’ici quelques mois, le Burundi voie les visages de ses prochaines institutions. Selon plusieurs observateurs, la grande inconnue reste la transparence, la liberté pour arriver à des élections crédibles.
Que le Cnared décide d’y participer c’est comme un couteau à double tranchant. Rester en exil pour jouer quelle carte ? La communauté internationale en général, l’UA et l’EAC en particulier, a montré ses limites pour aider à résoudre la crise. Gitega a su se montrer intransigeant, a gagné du temps et poursuit son affaire interne sans grosse pression. D’ici-là, il y a peu de chance de voir un sursaut de la communauté internationale.
Le retour au pays des personnalités du Cnared suscite plusieurs questionnements, notamment sur le respect des principes, des valeurs qui constituaient le socle de cette coalition.
Ce qui est sûr, c’est du pain béni pour Gitega qui peut brandir ce « joker » devant la face du monde en annonçant la fin de la crise.
Il n’en reste pas moins qu’il réfléchit à deux fois sur le fait de lever les poursuites judiciaires qui pèsent sur ses adversaires. Gitega veut encore plus faire taire toute velléité de fronde et de putsch.
Réactions
Nancy Ninette Mutoni : « Ils ont des devoirs envers leur patrie et ce n’est pas à l’étranger qu’ils s’en acquitteront.»
La commissaire chargée de l’information et de la communication au sein du parti au pouvoir indique que le parti Cndd-Fdd a toujours lancé l’appel au retour des politiques en exil et les réfugiés. « Cela dans tous nos communiqués et communications,» insiste Nancy Ninette Mutoni. « Nous ne voyons pas pourquoi les fils et filles de la nation resteraient en exil. Politiques ou pas, ils ont des devoirs envers leur patrie et ce n’est pas à l’étranger qu’ils s’en acquitteront. »
Charles Nditije : « Pour nous, ces gens-là ont trahi notre cause.»
« Nous avons quitté le Cnared parce que M. Minani et ses compagnons avaient complètement dévié de notre combat politique à savoir la lutte pour la sauvegarde de l’Accord d’Arusha et la restauration de l’état de droit au Burundi,» indique le président du parti Uprona de l’opposition, en exil. Selon lui les membres du Cnared négocient leurs conditions de retour et la réhabilitation dans leurs biens uniquement, au mépris de la paix et de la sécurité des Burundais qui subissent violences et misère. Nous ne pouvons pas participer dans des élections qui ont pour cadre légal la Constitution de 2018 qui enterre définitivement l’Accord d’Arusha et instaure un monopartisme de fait. De plus les conditions politico sécuritaires ne permettent pas des élections crédibles. Pour nous, ces gens-là ont trahi notre cause et ont décidé de se mettre sous l’allégeance du CNDD-FDD.
Gaston Sindimwo : « Ce serait un plaisir de les accueillir.»
Le premier vice-président de la République assure que ce serait un plaisir d’accueillir les opposants qui manifestent le désir de rentrer au pays. Selon lui, le gouvernement burundais a à maintes reprises exhorté les opposants et les réfugiés en exil de revenir au pays pour participer au développement du pays. «Qu’ils répondent à notre appel maintenant, nous disons mieux vaut tard que jamais. » Gaston Sindimwo rassure ces opposants sur les garanties de sécurité. « Nous sommes là pour garantir la sécurité de tous les Burundais. Ceux qui ont besoin d’une protection spéciale le demandent et généralement ils en bénéficient. Ceux qui sont rentrés de l’exil avant eux peuvent en témoigner. »
Frédéric Bamvuginyumvira : « S’ils sont fatigués qu’ils rentrent.»
Pour l’acteur politique en exil, le Cnared nage en pleines contradictions. « Il sollicite la clémence de Gitega pour l’annulation des mandats d’arrêt. Or on ne peut pas négocier avec le pouvoir qu’on est supposé combattre. » Frédéric Bamvuginyumvira du parti Sahwanya Frodebu estime que l’autre contradiction est dans la parole du président du Cnared Jean Minani. Il disait que si la Constitution est modifiée, cela serait franchir le Rubicon, la ligne rouge. Le référendum a eu lieu et le Cnared décide de rentrer. « Ceux qui veulent rentrer, qui sont fatigués, ils sont libres de rentrer sans trop de discours politiques pour justifier leurs actes. » Ceux qui voudront continuer la politique vont s’organiser autrement et militer pour l’avenir de leur pays. « On ne peut pas prétendre rentrer au Burundi et penser organiser une politique claire. D’ailleurs même avant leur départ ils faisaient de l’opposition ou jouaient-ils le jeu du pouvoir ?»