Des classes pléthoriques ; de l’insuffisance d’enseignants et de manuels scolaires ; des labos et bibliothèques pas suffisamment équipés ; de l’insuffisance de lits et de matelas ; du rendement faible chez les élèves externes ; … Voilà quelques-uns des défis auxquels font face les écoles dans la province de Mwaro. Les responsables scolaires, les syndicalistes, les parents et les élèves saluent la mesure de retourner aux écoles à régime d’internat mais ils recommandent la levée desdits défis et des mesures d’accompagnement pour redynamiser les écoles à régime d’internat.
Lors de la 5e édition du Forum de haut niveau des Femmes leaders qui a eu lieu à Bujumbura du 7 au 8 octobre 2024, le chef de l’Etat, Evariste Ndayishimiye a encouragé la restauration des écoles à régime d’internat afin d’améliorer la qualité de l’éducation. Il a souligné que ces établissements constituaient une véritable école de vie pour la jeunesse.
Une annonce qui a été bien accueillie dans la Direction provinciale de l’Education à Mwaro. Pour nombreux interlocuteurs, la mesure serait salutaire tout en posant comme préalable l’amélioration des conditions de vie et d’apprentissage des élèves. Mais, quel est l’état des lieux des écoles à régime d’internat et celles à régime d’externat ? Quelles modalités de mise en œuvre du souhait du président de la République ?
Il est 13h. Nous sommes au lycée de Muyebe situé dans la commune Kayokwe, dans la province de Mwaro. Elle date de 1935. Au départ, c’était une école ménagère. Elle évolue vers le cycle d’orientation jusqu’à devenir un lycée actuellement.
« Nous avons deux cycles : l’école fondamentale et l’école post-fondamentale avec 230 élèves internes et 645 élèves externes. Le cycle post-fondamental compte les sections sciences (Bio-chimie et science de la terre), pédagogique, les sciences sociales et humaines, la section économique et pédagogique », informe Léonce Nihoza, directeur du lycée Muyebe.
Des défis ne manquent pas
Léonce Nihoza fait savoir qu’il n’est pas aisé de contrôler les élèves externes contrairement aux élèves internes. Et comme corollaire au niveau des évaluations, déplore-t-il, le rendement est faible chez les élèves externes comparativement aux élèves internes.
« Au niveau des résultats scolaires, ce sont les élèves internes qui prennent les devants. Cela s’explique par le fait qu’ils sont sous le suivi rapproché des éducateurs tandis que les élèves externes n’ont pas du temps suffisant pour réviser la matière », justifie-t-il cette différence au niveau des réussites. Il n’oublie pas de mentionner l’insuffisance de manuels scolaires et de professeurs qualifiés.
Par ailleurs, ajoute M. Nihoza, la bibliothèque est là mais elle n’est pas suffisamment équipée en livres tout en précisant que le labo est presqu’inexistant.
Le directeur Léonce Nihoza évoque aussi l’insuffisance de matelas et de lits au niveau des dortoirs. Deux élèves partagent le même lit et le même matelas.
Au niveau de la restauration, ce responsable scolaire informe que ces élèves mangent trois fois par jour. « Les élèves complètent leur alimentation par les avocats qui sont vendus à l’intérieur de l’école par des femmes vivant dans les environs », précise-t-il.
Toutefois, épingle-t-il, la flambée et la variation du prix des denrées alimentaires causent des problèmes au niveau de la gestion du budget destiné à l’achat des vivres. Il signale aussi le manque de véhicule propre à l’école.
« Faute de véhicule, nous éprouvons un problème pour le transport des vivres étant donné que nous nous approvisionnons dans la ville de Gitega. A cela s’ajoute le déplacement des élèves lors des championnats interscolaires et surtout quand l’un ou l’autre élève tombe malade. Chaque fois, nous louons un véhicule et le coût de transport est estimé à 2 millions BIF chaque mois », déplore-t-il.
Léonce Nihoza signale aussi le manque d’un bloc administratif digne de ce nom, soulignant que celui qui est utilisé n’est pas de nature à faciliter le travail administratif. Il demande alors la réhabilitation des infrastructures existantes tout en faisant leur extension.
Cap sur le lycée Mwaro
Le lycée Mwaro « est une école à régime d’internat qui a ouvert ses portes en 1987. Elle compte 839 élèves dont 468 filles et 373 garçons. Elle a 423 élèves internes dont 275 filles et 148 garçons. En plus de l’Ecofo, nous avons le cycle post-fondamental avec les sections langues, sciences, sciences sociales, humaines et pédagogique », informe Epitace Bayubahe, directeur du lycée Mwaro.
Au niveau des réussites, fait-il savoir, il se dégage une différence entre les résultats des élèves internes et de ceux qui sont externes.
Le directeur Bayubahe parle des défis qui sont identiques à ceux du lycée de Muyebe. Il évoque en effet le personnel enseignant qui reste insuffisant. Cela est dû, explique-t-il, au fait que les professeurs partis en retraite et ceux qui ont eu d’autres emplois n’ont pas encore été remplacés.
Selon lui, les besoins sont estimés à 36 enseignants. L’école en compte 31 pour le moment tout en se réjouissant que tout au moins 90% sont qualifiés.
Il évoque aussi la question des classes pléthoriques suite au manque de bancs pupitres. Les élèves sont obligés de s’asseoir à trois. Ce qui cause du fil à retordre quand il faut les surveiller lors des évaluations.
Un léger mieux est par contre enregistré à ce lycée qui dispose des labos bien équipés avec du matériel moderne et une bibliothèque bien garnie en livres. L’école est aussi bien pourvue en infrastructures. Mais, souligne-t-il, la capacité d’accueil tend à être dépassée. D’où la nécessité d’une extension.
Quid des écoles à régime d’externat ?
« Quand les élèves externes rentrent à la maison, leurs parents leur confient différents travaux qui empiètent sur le temps normalement dévolu à la révision des leçons », constate M.Ndabifatukobiri, directeur du lycée technique Mwaro II.
Pour certains élèves, fait-il remarquer, l’alimentation est insuffisante et cela influe sur la réussite des élèves externes.
Il signale d’autres distractions qui diminuent le rendement scolaire des élèves externes. Il évoque le cas des jeunes garçons qui, en plus des études, s’adonnent à l’exercice d’autres métiers comme celui de conducteurs de taxi-motos ou de taxi-vélos pour gagner un peu d’argent.
« Issus de différents milieux et ayant différents caractères, il nous est difficile de les encadrer. Ils sont parfois distraits. Etant à l’internat, les élèves sont ensemble et partanr facilement contrôlables. On a le temps de leur fournir des explications. Ils se donnent des explications eux-mêmes », fait-il observer.
Il encourage la culture de la lecture pour que la capacité d’expression et de rédaction soit relevée.
Une famille
« Les écoles à régime d’internat diminuent la délinquance. Il peut arriver que l’enfant prenne un autre chemin au lieu de celui de l’école. On les voit déambuler dans les rues », déplore B.N, une maman croisée au marché de Mwaro.
Elle considère une école à régime d’internat comme une famille. Selon elle, les élèves sont suivis et bien encadrés.
Même appréciation que la prénommée Madeleine qui dit que l’école à régime d’internat permet une bonne gestion du temps scolaire. « L’enfant n’a pas à perdre du temps en rentrant. Il n’a pas à exécuter les travaux ménagers. Il est avec d’autres enfants qui peuvent l’aider à comprendre la leçon qu’il n’a pas bien assimilée », souligne-t-elle.
Par ailleurs, rappelle-t-elle, jadis, les élèves respectaient les enseignants et les parents. « Cette discipline de fer était le fruit des écoles à régime d’internat », fait-elle remarquer.
Et de suggérer que le gouvernement améliore la restauration des élèves à l’internat parce que « ventre affamé n’a point d’oreilles ».
Ecole à régime d’internat, un léger mieux
Même constat du côté des élèves externes. « En tant qu’élève externe, je perds du temps. J’utilise le temps à l’école seulement. Arrivée à la maison, des fois on me confie d’autres travaux. On est distrait par beaucoup de choses tels que les films, les matchs et autres. Et comme conséquence, on connaît un rendement faible au niveau des résultats », déplore Noëlla Ndayiragije, élève externe du lycée Mwaro, de la 3e année en langues.
Cette mesure, se réjouit-elle, permettra de ne plus parcourir de longues distances en allant à ou en revenant de l’école. « On aura le temps de fréquenter les bibliothèques et de se concentrer sur les leçons », renchérit-elle.
« Je fais une heure de marche en allant à ou en revenant de l’école. Quand il pleut, je suis obligé d’attendre et j’arrive tard à la maison. Etant fatigué, il m’est impossible de réviser la matière », raconte Eric Barigabo, élève externe du lycée Mwaro, de la 3e année en langues.
Il fait remarquer qu’à l’internat le temps est bien programmé et bien géré. « Si je parviens à réussir étant à l’externat, je doublerai le rendement étant à l’internat », confie-t-il.
Multiplier les écoles à régime d’internat
Omer Barandagiye, directeur provincial de l’Education de Mwaro reconnaît les défis qui ont été relatés par les responsables des établissements.
En 2024, informe-t-il, la Direction provinciale de l’Education (DPE) de Mwaro a accueilli 450 élèves supplémentaires dans les écoles à régime d’internat.
Pour cette année 2024, fait-il savoir, sa direction a un taux de réussite qui avoisine 14% à l’examen d’Etat et 89% comme taux de réussite au concours national.
« La DPE de Mwaro compte 52 établissements et seuls 6 sont à régime d’internat. Si la mesure venait à être concrétisée, nous demandons que la province soit au moins dotée de dix écoles à régime d’internat », plaide-t-il.
Même son de cloche du côté d’Athanase Ciza, chef de cabinet du gouverneur de Mwaro qui épingle les mêmes défis. Il demande à la commission chargée d’étudier les modalités de mise en œuvre de la mesure du président de la République de consulter et d’associer ceux qui sont sur le terrain en l’occurrence les enseignants, les responsables des établissements, les parents… « Ce sont des praticiens. Ils voient et suivent le vécu quotidien des apprenants », propose-t-il.
Il recommande la réhabilitation des écoles existantes et leur extension tout en tenant compte de la catégorie des élèves vivant avec handicap. Il reconnaît en effet que les anciennes écoles ne sont pas adaptées à cette catégorie d’élèves tout en affirmant qu’on tient compte de cet aspect pour les écoles en cours de construction.
Des mesures d’accompagnement s’imposent
Pour Emmanuel Mashandari, du syndicat Conapes (Conseil national du personnel de l’enseignement), restaurer les écoles à régime d’internat est une chose, mais il faut des mesures d’accompagnement. « Quand on analyse actuellement ce qui se trouve sur le terrain, nous constatons que les enfants ont beaucoup de difficultés à l’internat surtout dans les dortoirs. Pas mal d’enfants n’ont pas de matelas. Le peu qu’il y a est en lambeaux. On s’imagine comment deux enfants partagent un même lit sur un matelas déchiqueté », s’interroge-t-il.
Au niveau de la restauration, fait-il observer, au regard de la flambée des prix des produits sur le marché, il est à constater que la somme prévue par le gouvernement pour un enfant chaque jour est loin inférieure à la réalité qui prévaut sur le marché.
« Il faudra que l’Etat fasse un effort, comme il s’est déjà donné une orientation, pour augmenter la ration et pourquoi pas chercher à maîtriser les prix pour éviter leur flambée sur le marché », recommande-t-il.
Il faut des études préalables
M. Mashandari revient sur le manque de labos et de bibliothèques dans certaines écoles. Un enfant peut avoir un bon encadrement, un bon professeur mais, quand il n’a pas le temps de s’exercer, de mettre en pratique ce qu’il a vu, quelque chose va lui échapper, insiste-t-il. « C’est à travers les labos, avec la manipulation des objets qu’on parvient à maîtriser la matière apprise en classe », martèle ce syndicaliste.
Emmanuel Mashandari s’insurge contre l’état actuel des bibliothèques qui, selon lui, sont des maisons vides, non équipées où on a que des documents symboliques. « Les enfants n’ont pas le temps de s’exercer et de faire la lecture. Nos élèves ne maîtrisent pas la langue d’enseignement qui est le français », regrette-t-il. Et de rappeler que dans le temps, les élèves faisaient des exposés, des récitations, des compositions. Une pratique qui ne se fait plus aujourd’hui à cause des classes pléthoriques.
« La volonté du chef de l’Etat est soutenable. Mais, il faut qu’il y ait des mesures d’accompagnement pour une bonne mise en œuvre. Sinon, le résultat escompté ne sera pas atteint », conclut-il.
De son côté, David Ningaza, président de la Sojpae (Société de la jeunesse chrétienne pour la paix et l’enfance), estime que la suppression de certaines écoles à régime d’internat a été faite sans qu’il y ait des résultats d’études. Pour lui, ce sont les résultats d’études qui orientent une politique quelconque.
Et de regretter qu’il n’y ait pas eu de mesures d’accompagnement dans ces écoles et dans la communauté. Par conséquent, des échecs scolaires ont été enregistrés.
« L’internat est l’une des réponses pour améliorer la qualité de l’enseignement parce que l’enfant est victime d’être exploité par l’environnement et du manque d’accompagnateur », souligne cet activiste des droits de l’enfant.
C’est la raison pour laquelle, insiste-t-il, l’internat peut renforcer et rehausser le niveau d’études des enfants. Il faut des mesures d’accompagnement au niveau des infrastructures et même au niveau des subsides qui répondent aux besoins de l’enfant afin de trouver une solution durable, recommande-t-il.
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