Le réveillon de Noël de l’année 2020 est une date à marquer d’une pierre blanche pour le Groupe de Presse Iwacu. C’est la libération de ses quatre journalistes emprisonnés depuis 430 jours pour ’’tentative impossible à la complicité d’atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat’’.
C’est dans l’après-midi de jeudi 24 décembre que tombe la nouvelle de la mesure de remise de peine par le président de la République pour Christine Kamikazi, Agnès Ndirubusa, Térence Mpozenzi et Egide Harerimana. Ils viennent de passer 430 jours derrière les barreaux. «Une éternité faite de cauchemars en cascade », dira un de ces journalistes.
La première alerte sera donnée par l’avocat des quatre reporters arrêtés à Musigati dans la province de Bubanza au moment où ils s’apprêtent à interviewer la population en débandade après les affrontements survenus dans cette commune.
Après un passage au commissariat provincial de la police à Bubanza, le calvaire commence : ils transiteront, sur ordre du procureur de Bubanza, par des cellules infectes et insalubres de la commune avant leur transfert à la prison de Bubanza. La descente aux enfers est entamée.
Le Tribunal de Grande Instance de Bubanza condamnera ces 4 journalistes pour ’’tentative impossible à la complicité d’atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat’’. La peine est de deux ans et demi de prison ferme et d’une amende d’un million de francs burundais chacun.
Clamant toujours leur innocence, les reporters décident de s’en remettre à la Cour d’appel de Ntahangwa. Peine perdue et déception. Celle-ci maintient la peine prononcée sans avancer de nouveaux arguments encore moins la moindre preuve de leur culpabilité.
Les 4 journalistes, et tout Iwacu, sont au bord de la dépression. Les condamnés ne pensent désormais qu’à une libération conditionnelle après avoir purgé le quart de peine, ou à une tout autre forme de clémence.
Nos cris ont été entendus
Ce jeudi béni, l’avocat des 4 journalistes indique que la Cour d’Appel de Ntahangwa lui pose plusieurs questions : « Est-ce que les 4 journalistes ont payé l’amende ? Est-ce qu’ils ont interjeté appel ? Est-ce que le Ministère public a interjeté appel ? Sont-ils toujours à la prison de Bubanza ? »
A ces questions précises auxquelles il répond sans hésiter, il se dit qu’il se passe quelque chose. « Quelque chose est en train de bouger, ce n’est pas pour rien », dira Me Clément Retirakiza.
Vers 15 heures et demie, il est demandé aux 4 journalistes de faire leurs valises. « Mais sur quelle base ? », se demandent les amis d’infortune. Là-bas aussi, mille questions traversent l’esprit des reporters emprisonnés. « Pincez-moi, je rêve », dira Agnès Ndirubusa du service politique à Iwacu.
« Je me mets à trembler, à paniquer, des images surréalistes défilent devant moi, je ne réalise pas ce qui nous arrive, que Bubanza est derrière nous, qu’il ne sera plus qu’un cauchemar», confie-t-elle.
Quand le directeur de prison nous annonce que nous allons sortir, relate Christine, je deviens toute excitée, je ne parviens pas à comprendre ce qui se passe. « Je me dis qu’il faut nous faire belles, porter nos plus beaux habits, mettre nos plus belles chaussures, rayonner même si le soleil commence à amorcer sa descente vers les montagnes de l’Est de la RDC ».
Là, révèle-t-elle, on ne pense même pas à préparer nos repas du soir. On laisse le sac de charbon à moitié plein acheté il y a quelques jours et les quelques ustensiles de cuisine. Notre petit stock de vivres est donné aux amis que nous laissons dans la triste bâtisse. « Histoire de les remercier pour nous avoir quelques fois remonté le moral. Pour leurs encouragements à endurer certaines épreuves, comme ces maudites punaises qui pullulent de partout ».
Agnès confie plus tard qu’elle s’est brûlée au niveau des poignets en tentant de soulever une grosse casserole remplie d’eau bouillante pour massacrer ces bestioles responsables des nuits d’insomnie.
La liberté, enfin
Quand vient le moment de franchir ces barres de fer séparant cet univers carcéral du monde des vivants, ’’le Burundi’’, comme les gens de là-bas l’appellent, Térence raconte qu’il est sur un nuage, une joie immense l’envahit. « Et pour fêter la liberté retrouvée, il n’y a pas mille façons que de commencer par sabrer le champagne, non prendre une bière bien fraîche. La liberté doit être célébrée, ça se fête ! »
En attendant qu’on vienne nous chercher, indique Christine, c’est le temps des selfies et des adieux : « Il faut immortaliser ces moments.» Quelques membres de la famille et quelques collègues avertis et informés de cette bonne nouvelle, se dépêchent pour aller à Bubanza pour ne pas rater ce moment solennel. Ils sont là en moins d’une heure.
Le directeur des publications du Groupe de presse Iwacu, Léandre Sikuyavuga et quelques journalistes font partie de cette équipe partie accueillir ces journalistes à la sortie de la prison de Bubanza.
C’est vers 18 heures que tout se monde converge vers la prison de Bubanza, entre-temps, elle a fait peau neuve, retapée avec un mirador dans l’aile Est de cet établissement, témoin de plusieurs lamentations, de souffrance.
A la vue des collègues venus les chercher, les 4 journalistes esquissent des pas de danse, lèvent les mains en signe de victoire. « Et voilà nous sommes libres. Quelle joie !», s’exclament-ils. Des accolades interminables, des pleurs à chaudes larmes, des cris de joie, des fous rires. Une ambiance bon enfant.
Au même moment les collègues restés au siège reçoivent sur leurs smartphones les premières photos de la liberté retrouvée.
Des appels fusent de partout, tout le monde veut s’assurer que c’est vrai et il faut être le plus vite possible à Bujumbura. En cours de chemin, Christine et Agnès ne quittent pas des yeux leurs téléphones retrouvés. Elles reçoivent des messages de félicitation venus de partout. Les bips des messages qui tombent rythment ce voyage, ’’ce retour à la vie’’.
Aussitôt la nouvelle officialisée, les journalistes se mobilisent. Au siège du journal, c’est l’effervescence. Les journalistes des autres médias ainsi que les membres des familles des journalistes libérés affluent vers le Groupe de Presse Iwacu.
Dans la cour du Journal Iwacu, les journalistes suivent via WhatsApp le voyage de l’équipe menée par Léandre Sikuyavuga partie à Bubanza, ils suivent presque en direct le retour : « Nous arrivons à Carama…, nous sommes sur le Blvd Buconyori pour éviter les embouteillages, la circulation est dense … Nous sommes au niveau du campus Mutanga, Nous empruntons le Blvd de l’Uprona. On sera là dans quelques minutes ».
La nuit est presque tombée quand Agnès, Christine Térence et Egide arrivent devant le portail grand ouvert du Journal Iwacu. Les journalistes présents et les membres des familles forment une haie d’honneur improvisée. Les journalistes sont accueillis par des applaudissements et des cris de joie.
La haie d’honneur formée se disloque vite, tout le monde veut embrasser ces journalistes. Ils reçoivent des fleurs, les projecteurs du studio de la Web TV éclairent toute la cour.
Agnès enlacera pendant longtemps son fils, elle écrase quelques larmes de joie sur ses joues. Mais Dylan, fleurs à la main, ne parvient pas à garder à lui seul sa maman, complètement perdue, littéralement tiraillée de partout.
Il y a également cette étreinte de Christine et son papa, et les larmes qui se mettent à dégouliner sous le regard émerveillée de sa maman et de sa petite sœur.
Petit détail, ces journalistes sont tirés à quatre épingles. Christine et Agnès sont bien maquillées, rayonnantes. L’émotion prend le dessus. La joie explose.
Les quatre journalistes semblent dépassés. « Je n’arrive pas à comprendre ce qui nous arrive. C’est un jour que je n’attendais pas. Je vais revoir ’’le monde’’», dit Egide Harerimana, presque hébété. « C’est très émouvant», renchérit Agnès Ndirubusa.
Une scène de liesse mémorable envahit les enceintes du Groupe de Presse Iwacu. « Je suis très heureuse de voir ’’le monde’’, l’extérieur. De voir ma famille et retrouver Iwacu. C’était un parcours de combattant, des montagnes russes. On vient du gouffre, mais là on va fêter le Noël en famille», se réjouit Agnès Ndirubusa, une des journalistes libérés.
« Signe de victoire pour la liberté de la presse »
Les quatre journalistes heureux posent avec Léandre Sikuyavuga, le directeur des publications, mais tout le monde veut être sur cette photo. Pour Adolphe Masabarakiza, leur chauffeur arrêté avec eux et libéré un mois plus tard, il y a là un signe indéniable de Dieu dans sa bonté infinie. « Ce rendez-vous était impatiemment attendu ». Ce chauffeur, très calme, dit : « Dieu ne laisse jamais son peuple. Il répond en temps réel selon sa volonté».
Les parents de Christine Kamikazi sont là, émus. « C’est un beau cadeau de Noël. Mon enfant vient de renaître avec l’Enfant Jésus», jubile Vénérand Gapari, le papa de Christine.
Il improvise même un petit discours où il remercie le président de la République, Evariste Ndayishimiye, et tous les acteurs infatigables de cette libération.
Au sein du Journal Iwacu, c’est une grande joie. Le directeur des publications salue la mesure de remise de peine du président de la République. Pour lui, cette libération est une victoire pour la liberté de la presse. «C’est une immense joie pour cette décision prise à la veille de la fête de la nativité. C’est une grande joie et pour moi et pour les journalistes et pour les familles et pour tous les Burundais ».
Diane Ndonse, la présidente de l’Association des Femmes Journalistes, AFJO est venue accueillir les 4 journalistes, elle parle de joie de toute la presse burundaise. «Nous remercions le président de la République pour cette bonne décision prise de libérer ces journalistes. Il a répondu à notre appel. Nos cris ont été entendus ».
Agnès Ndirubusa, Christine Kamikazi, Térence Mpozenzi et Egide Harerimana venaient de passer 430 jours dans la prison de Bubanza. Ils ont été arrêtés le 22 octobre 2019 à Musigati dans la province de Bubanza où ils étaient en reportage sur des affrontements entre un groupe rebelle et les Forces de l’ordre. Ils avaient été condamnés à 2 ans et 6 mois de prison et une amende d’un million de francs burundais chacun.
Initialement accusés de «complicité d’atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat», les 4 journalistes seront finalement condamnés pour «tentative impossible à la complicité d’atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat ».
Selon l’article 16 du Code pénal : « Il y a tentative impossible lorsqu’un délinquant en puissance a fait tout ce qui était en son pouvoir pour commettre une infraction, alors que celle-ci ne pouvait se réaliser par suite d’une impossibilité qu’il ignorait ».
Abbas Mbazumutima & Jérémie Misago