« Moi, j’étale mes rires et mes pleurs sur Facebook, Instagram et autres WhatsApp
Moi Aloys Niyoyita, je refuse ce droit que l’on s’arroge pour la haine
Je refuse que l’on parle et l’on pleure en mon nom
Je veux laisser la lave qui bout en moi couler
J’ai compris que les éruptions peuvent être mortelles
Je veux parler
Car ruminer tue »
Aloys Niyoyita, in « Hutsi »
Mon ami, mon frère le journaliste Aloys Niyoyita, a annoncé sur Facebook qu’il se retirait des réseaux sociaux. Etonné, je lui ai demandé ce qui l’a poussé à prendre cette décision. En privé, il m’a expliqué pourquoi. Il ne m’appartient pas de dire ses raisons .
Tout ce que je peux dire c’est que pour les journalistes burundais particulièrement, tenir, résister à la violence de nos compatriotes sur les réseaux sociaux demande beaucoup de courage, une véritable carapace.
C’est vrai, Aloys Niyoyita , surtout depuis la publication de son livre « Hutsi », au nom de tous les sangs » a beaucoup souffert. Il a été traité de tous les noms. Des personnes qui n’avaient jamais lu son livre l’ont insulté. Son livre gêne tous les extrémistes. Quel est le message central de son livre : l’amour, la réconciliation. Le refus de la globalisation. Et puis, Aloys Niyoyita n’a jamais prétendu écrire l’Histoire, mais Son histoire.
En lisant son dernier message sur Facebook, j’ai pensé à ces vers de Victor Hugo dans son poème Veni Vidi Vixi :
«J’ai vécu souriant, toujours plus adouci,
Debout, mais incliné du côté du mystère.
J’ai fait ce que j’ai pu ; j’ai servi, j’ai veillé,
Et j’ai vu bien souvent qu’on riait de ma peine.
Je me suis étonné d’être un objet de haine,
Ayant beaucoup souffert et beaucoup travaillé. »
Cher Aloys, ne te culpabilise pas . Tu as fait ce que tu as pu. Tu es étonné d’être un objet de haine. Mais sache que ton livre restera un témoignage à vie de ce que tu es. Un homme de paix. Certains ont ri de ta peine, j’ai vu des choses terribles écrites sur toi. J’ai eu ma dose, moi aussi. Mais moi j’encaisse mieux. Enfin, jusqu’à présent.
Ta décision m’attriste, car nous partageons le même combat : celui de témoigner pour l’histoire, cette volonté, de laisser à nos enfants , un pays, disais-tu, « expurgé de ces démons qui s’ébattent en nous. » Cette volonté de parler pour nous libérer et laisser à nos enfants « un pays sûr, fraternel, ouvert à tous les sens et tous les sangs, à tous les possibles ».
J’ose croire que la campagne de haine qui a été lancée contre toi et notre livre n’a pas eu raison de ta foi dans ce Burundi dont nous rêvons. Je sais que tu es un homme très sensible. Je sais que tu supportais de moins en moins les insultes des fanatiques et que tu risquais de te rabaisser à leur répondre.
Tu viens de choisir de te retirer des réseaux sociaux. Oui, tu as raison. Parfois le silence est la meilleure réponse.
Retire-toi en paix. Lis, rigole, pleure, respire… Et , un jour, apaisé, reviens-nous. Tu verras, parfois rien n’est plus beau que le silence pour panser ses blessures…