Samedi 23 novembre 2024

Économie

Restriction de mouvement des produits vivriers : décision arbitraire

19/06/2023 Commentaires fermés sur Restriction de mouvement des produits vivriers : décision arbitraire
Restriction de mouvement des produits vivriers : décision arbitraire
Le ministre de l’Intérieur suspend l’octroi des autorisations de collecte des récoltes dans les provinces jusqu’au 20 juin

La mesure de restriction de la circulation des produits vivriers d’une province à une autre a un impact négatif sur l’économie et les conditions de vie des gens. Les prix ont subitement pris l’ascenseur. Les consommateurs des produits de base visés se disent désemparés.

La décision ou la pratique pour certains gouverneurs de province d’interdire la vente de la récolte en dehors de leurs entités est en passe de devenir un réflexe, voire une habitude.

Ils vont jusqu’à exiger aux commerçants de leur demander une autorisation avec présentation d’une autorisation du gouverneur de la province de destination des produits achetés. Ces mesures ont des conséquences sur les producteurs, les consommateurs, de même que les commerçants.

La mesure du ministère de l’Intérieur contenue dans le communiqué du 8 juin 2023 a enfoncé le clou. Le ministre Martin Ninteretse a annoncé la suspension temporaire et immédiate de l’octroi des autorisations de collectes des récoltes jusqu’au 20 juin.

« Dès maintenant, seul des petites quantités de consommation ménagère sont autorisées. Celui qui sera surpris en train de collecter des récoltes des vivres comme le maïs, le sorgho, les arachides, le riz, le haricot et le petit-pois avant le 20 juin sera sévèrement sanctionné. Un administratif ou agent de l’ordre qui ne prendra pas des mesures appropriées face à la collecte des produits susvisés sera, lui aussi, sanctionné exemplairement », a-t-il écrit.

Cette mesure est tombée comme un couperet et le lendemain, il y a eu flambée des prix des produits de base. Un prix d’un kilo de haricot est augmenté entre 500 voire 1000 BIF selon la variété.

Un kilo du riz a vu son prix augmenter d’au moins 6 00 BIF selon la variété et les marchés de détail. Les consommateurs n’en reviennent pas. « La vie devient un cauchemar. Nous allons mourir de faim avec toutes ces mesures qui nous tombent dessus », se désole Jean Ndayishimiye, habitant de la zone Gihosha.

Au marché dit « Kwa Siyoni » en zone Ngagara et au marché communément appelé « Cotebu » et d’autres marchés de Kamenge et Musaga, les stocks des produits vivriers commencent à se vider.

Les commerçants ne se sont pas approvisionnés depuis le 8 juin. Certaines échoppes sont vides. Les allées, il y a quelques jours, achalandées, sont désormais dégagées alors qu’autrefois, elles étaient toujours presque obstruées par des sacs de haricot, de maïs, de riz, etc. Certains commerçants le disent, ils ne savent plus à quel saint se vouer, c’est la désolation. D’autres se mettent à jouer aux cartes, histoire de tuer le temps.

Depuis près d’une semaine, les prix des produits visés par le ministère de l’Intérieur sont devenus objet d’une grande spéculation. Ils disent qu’il y a flambée des prix. « Cette carence des produits vivriers a été accentuée par le manque de billet suite à l’annonce de la Banque centrale de retirer de la circulation des billets de 10 mille et de cinq mille BIF. On est foutu », déplore un client rencontré au marché dit « Cotebu ».

Le business à l’arrêt

Les différents commerçants notamment les grossistes ne savent plus où donner de la tête. Pour eux, les pertes sont énormes. « Nous continuons à payer les taxes et les impôts. Nous payons les loyers alors que le business est à l’arrêt ».

Comme conséquences, bien des commerçants ne pouvant pas aller s’approvisionner à l’extérieur du pays, voient leurs affaires tourner au ralenti et enregistrent des déficits.

« Depuis la sortie de la mesure suspendant l’octroi des autorisations de collecte des récoltes dans les provinces, j’ai déjà perdu plus de 1.000.000 BIF de mon capital. Je ne fais que dépenser », se désole Etienne Nduwimana, vendeur de haricot et du riz à Kayanza.

Dans certaines provinces, les agriculteurs perdent également alors que la mesure était censée être prise pour leur intérêt. Certains commerçants n’ont pas croisé les bras et ont plutôt profité de cette situation pour s’adonner à spéculation.

Suite à cette mesure, les agriculteurs vendent clandestinement leurs récoltes et les acheteurs en profitent pour offrir un prix dérisoire arguant qu’ils n’ont pas de marché d’écoulement.

Même si Marie Ndayikengurukiye vit à Bujumbura, son business c’est l’agriculture, elle possède des champs en commune Buganda de la province Cibitoke, elle se dit victime de ces mesures de restriction prises par des administratifs de ne pas transporter ses récoltes vers une autre province.

Pour sa récolte de maïs et de haricot, elle ne peut prendre que 25 kilos pour sa famille. Cette battante tout comme d’autres agriculteurs doit vendre une partie de sa production. Elle affirme que sa famille vit grâce à l’agriculture. « C’est ma seule source de revenus. Les agriculteurs n’ont pas d’autres alternatives pour gagner de l’argent. Ils vendent les produits agricoles. Nous avons fait des investissements pour nous développer, mais les autorités s’invitent et viennent gérer nos récoltes ».

Pour Richard Ndayisaba, natif de la province Bujumbura qui gère plusieurs hectares de cultures à Gihanga, en province de Bubanza, ces mesures enfoncent l’agriculteur.

Un investisseur, doit vendre pour un prix intéressant pour avoir suffisamment d’argent. « On doit répondre à d’autres besoins. Pourquoi les autorités nous imposent de vendre les récoltes au marché local alors que nous vivons à Bujumbura », s’interroge-t-il.
Quand ces mesures s’invitent à l’hémicycle de Kigobe

Lors de l’adoption du budget général de l’Etat exercice 2023-2024 à l’Assemblée nationale, ce 12 juin, les élus du peuple ont soulevé des inquiétudes sur ces mesures de restriction sur les collectes et commercialisation des récoltes de certains produits. La question a été posée par président de la chambre basse du parlement, Gélase Ndabirabe.

Audace Niyonzima, ministre des Finances, du Budget et de la Planification économique a indiqué que la mesure de suspension de l’octroi des autorisations pour la collecte des récoltes a été prise dans ce contexte de retrait des anciens billets. « Ces billets de 10 mille et 5 mille BIF ne doivent pas rester dans des régions lointaines où se trouvent beaucoup d’agriculteurs », a-t-il expliqué.


Éclairage

« La libre circulation des biens fait partie des solutions, pas des problèmes »

Pour Patrice Ndimanya, économiste spécialiste de l’économie rurale, les mesures de restriction pour la circulation des récoltes causent de sérieux problèmes. Il propose l’augmentation de la production.


Quelle analyse faites-vous de ces mesures de restriction limitant le mouvement des récoltes d’une province vers une autre ?
Au niveau national, la libre circulation des biens fait partie des solutions, mais pas des problèmes. C’est même une obligation morale et universelle.

C’est interdit par la morale universelle d’empêcher l’échange des produits alimentaires. Il faut laisser les aliments circuler pas seulement au niveau national mais aussi à l’international.

Nous avons des accords régionaux pour la libre circulation des biens et des personnes. C’est un engagement pour un espace de solidarité. Depuis l’empire romain, les interventions sur le marché n’ont pas donné des résultats escomptés.

Pourquoi ces mesures de restrictions sont-elles prises ?

Nous sommes dans un contexte inédit. Pour la première fois, nous avons vécu une flambée des prix qu’on n’avait jamais vécus dans l’histoire de notre pays.

Même dans la crise économique et alimentaire mondiale en 2008, le pays est resté relativement protégé malgré la conjoncture internationale défavorable.

Des prix avaient flambé à l’échelle internationale. Le Burundi a été victime des aléas climatiques. On a vécu le retard des précipitations dans la saison culturale A pendant deux années consécutives.

C’est un facteur qui explique en grande partie la pénurie des produits vivriers essentiels comme le haricot et le maïs en particulier. Il y a aussi les risques liés à des assolements obligatoires. On a obligé aux agriculteurs de cultiver un seul produit dans les marais à la place de cinq ou 10 produits antérieurement.

Il y a aussi un contexte régional. Les récoltes n’ont pas été bonnes. Les cultures ont été touchées par les changements climatiques. C’est pourquoi, il s’observe un différentiel de prix élevé sur les frontières.

On peut l’expliquer par un différentiel de change qui soulève des inquiétudes logiques des pouvoirs publics des différentiels de plus de 1.000 BIF par rapport au marché intérieur.

Il y a des tentations à l’exportation. Cette situation inquiète les autorités. Comme ces administratifs sont à court de solutions, ils prennent ces mesures.

L’action de retrait des billets de 10 mille et 5 mille y est pour quelque chose. Ces mesures conservatoires doivent être prises de façon légitime. Il faut que ces billets soient disponibles dans les banques et auprès des opérateurs économiques pour organiser des transactions dans des conditions normales.

Et quelles sont les implications pour les producteurs suite à cette situation ?

Pour les producteurs, c’est avantageux d’avoir des prix rémunérateurs. Il y a des préjugés selon lesquels avec des bons prix, ils vont mettre tout au marché. Ce n’est pas vrai.

Ce sont des femmes et des hommes qui doivent assurer leur propre sécurité alimentaire. S’ils mettent tout sur le marché, ils risquent de le racheter au double ou triple.

Ils tiennent à s’assurer une autonomie. Pour produire, ils s’endettent et doivent s’acquitter de ces crédits pour garder la confiance devant leurs créanciers.

C’est très dommageable de les empêcher de vendre leurs surplus, car ils ont fait un investissement. Le producteur est doublement pénalisé. Ils ne reçoivent pas le prix rémunérateur fixé par le marché et deuxièmement, il n’a pas les ressources qu’il faut pour prendre en charge d’autres besoins. Il y a des produits qu’ils doivent se procurer.

En plus, ils ne produisent pas pour l’autoconsommation, mais se mettent sur le marché comme toute autre catégorie socioprofessionnelle. Quand ces restrictions durent, les spéculateurs en profitent. Ils proposent des prix bradés.

Quelles sont les conséquences sur les recettes fiscales et les taxes ?

Les impôts dépendent des quantités échangées. S’il y a restrictions des commerçants, il y a naturellement des conséquences sur les impôts et les taxes.

Quelles pistes de solution ?

Le gouvernement tenté d’agir dans un contexte difficile. Il est à court de ressources pour répondre. Il doit faire recours aux partenaires techniques et financiers pour injecter des revenus dans les communautés via des travaux d’intérêt général.

C’est vraiment urgent pour amortir le choc de la flambée des prix des produits de base. Il faut aussi mobiliser les populations à protéger les cultures pérennes comme les bananeraies, les arbres fruitiers et le manioc.

A ces cultures, il faut ajoute le thé et le café. Il suffit de les pailler et de les arroser assez régulièrement. Les pénuries s’expliquent par le déficit hydrique de la saison sèche.

Il faut donc, prendre des mesures d’adaptation. Il s’agit notamment de la gestion de l’eau pour produire. En cas de problème, il faut privilégier des solutions au lieu de pénaliser qui que ce soit.

A nos chers lecteurs

Nous sommes heureux que vous soyez si nombreux à nous suivre sur le web. Nous avons fait le choix de mettre en accès gratuit une grande partie de nos contenus, mais une information rigoureuse, vérifiée et de qualité n'est pas gratuite. Nous avons besoin de votre soutien pour continuer à vous proposer un journalisme ouvert, pluraliste et indépendant.

Chaque contribution, grande ou petite, permet de nous assurer notre avenir à long terme.

Soutenez Iwacu à partir de seulement 1 euro ou 1 dollar, cela ne prend qu'une minute. Vous pouvez aussi devenir membre du Club des amis d'Iwacu, ce qui vous ouvre un accès illimité à toutes nos archives ainsi qu'à notre magazine dès sa parution au Burundi.

Editorial de la semaine

Question à un million

Quelle est cette personne aux airs minables, mal habillée, toujours en tongs, les fameux ’’Kambambili-Umoja ’’ ou en crocs, les célèbres ’’Yebo-Yebo’’, mais respectée dans nos quartiers par tous les fonctionnaires ? Quand d’aventure, ces dignes serviteurs de l’Etat, d’un (…)

Online Users

Total 1 587 users online