« Rester debout », le livre d’Antoine Kaburahe consacré à Pierre-Claver Mbonimpa, arrive prochainement au Canada dans le cadre d’une série de conférences qui feront escale dans plusieurs villes du pays, du 23 septembre au 8 octobre prochains. Vous retrouverez tous les détails sur cette page. Dans le même temps, l’ouvrage continue à susciter des réactions. Nous vous livrons une d’entre elles, sous la plume d’Annabelle Giudice, une Française qui a vécu au Burundi.
Je ne suis pas journaliste ou historienne, j’ai seulement vécu quelque temps au Burundi, et je ne travaillais pas pour une organisation engagée dans la défense des droits de l’homme. Et pourtant, Pierre-Claver Mbonimpa est une des personnalités dont j’ai le plus entendu parler lorsque j’étais sur place. Il est aujourd’hui cité comme le Nelson Mandela burundais et pour moi comme pour beaucoup d’autres, le Burundi ne sera pas en paix tant que Pierre-Claver Mbonimpa n’y sera pas retourné, libre. Le récit de sa vie déposé dans le livre d’entretiens menés par Antoine Kabuhare, intitulé « Rester debout », je l’ai reçu comme quelque chose de familier. C’est peut-être ça le propre des grands hommes : ils dépassent des bords de l’individu, ils nous appartiennent un peu à chacun. J’écris ainsi de mon bord à moi, celui d’une amie plus que d’une spécialiste, du côté d’une sensibilité plutôt que d’une opinion.
Antoine Kaburahe a proposé à Pierre-Claver Mbonimpa, fervent défenseur des droits de l’homme et figure de proue de la société civile burundaise, aujourd’hui en exil en Belgique après avoir échappé à une tentative d’assassinat, de s’isoler, loin de la rumeur du monde, et prendre le temps de poser par écrit un récit de vie. Pierre-Claver Mbonimpa raconte, et se raconte même, exercice délicat et d’autant plus pour un homme bercé dans une culture où l’on dit que « les larmes d’un homme coulent à l’intérieur de son ventre ». Au fil de l’entretien, on entend pourtant des larmes, des rires aussi, et ce témoignage brille de son vivant. Comment éviter la compassion, l’empathie et l’admiration face à cette vie qui se déroule comme un roman ? En effet, Pierre-Claver Mbonimpa nous livre la petite histoire, celle du quotidien d’un garçon brillant contraint de faire plusieurs dizaines de kilomètres par jour pour rejoindre son école, ou d’un jeune homme épanoui dans la douceur festive de Bujumbura et qui se réveille un matin, en danger de mort pour une chose dont il n’avait jamais eu à se défendre : son ethnie. Jusque là, son récit pourrait ressembler à beaucoup d’autres burundais.
Et puis la vie devient destinée, à la faveur des choix que fera Pierre-Claver Mbonimpa, des capacités qu’il développe et des appels que l’Histoire lui fait et auxquels il répond, ou qu’il subit. Fonctionnaire sous le régime du parti unique de Bagaza, chauffeur pour le candidat puis premier président hutu Ndayaye, policier à la frontière avec la RDC (République Démocratique du Congo) puis prisonnier politique sous couvert de fausse trahison, l’homme traverse des époques violentes et porte avec lui un peu de grands espoirs déçus, qui l’illuminent plutôt que de l’abattre. Pierre-Claver Mbonimpa nous parle de la constitution politique de son pays et des échecs successifs pour constituer un Etat qui aurait pu protéger les hommes de pouvoir visionnaires, et freiner les dérives totalitaires d’autres hommes, mus par la peur surtout. Des échecs que Pierre-Claver Mbonimpa attribue principalement à un système judiciaire faible, désorganisé, marié à la corruption, une justice souvent impuissante et soumise à un pouvoir exécutif concentré bien souvent dans les mains d’un seul homme. L’injustice, il a vécu dans sa chair, et cela le transforme : il devient représentant des sans-voix, enquêteur rigoureux, éclaireur infatigable au service de la justice.
Et c’est bien une enquête que le lecteur suit dans la deuxième partie du livre : le témoignage se lit comme on suivrait un détective. Mais il n’y a pas de dénouement à l’intrigue, au contraire, il semble que les nœuds se font de plus en plus étroits. J’ai été frappée par la similarité des faits décrits par Pierre-Claver Mbonimpa entre des situations vécues à une ou deux générations d’écart : les disparitions, des gens emmenés dans des camions, en 1972 comme aujourd’hui… La fuite de beaucoup de civils pour ne pas être tués, en 1995, comme aujourd’hui… A travers le récit de Pierre-Claver Mbonimpa, c’est notre impuissance qui prend de l’ampleur face à tout ce que vit le Burundi depuis 2015. Son regard nous éclaire sur le mouvement de contestation contre le 3e mandat de Pierre Nkurunziza, et conforte une vérité qui ne peut être entachée : le Burundi vivait alors un grand moment d’union, tout à fait exceptionnel dans son histoire. Tous les éléments étaient réunis : une demande claire d’une alternance pacifique du pouvoir, portée par la volonté d’un peuple, soutenue par une société civile forte et un paysage médiatique assurant la pluralité des voix. L’échec du coup d’Etat de mai 2015 a fait basculer tout un pays de l’espoir à la terreur, et le travail de Pierre-Claver Mbonimpa, exigeant et documenté, démontre que cette terreur était en préparation depuis plusieurs mois. Toute vérité n’est pas bonne à dire, dit la maxime, et au Burundi elle se paye au plus cher… Ainsi, même si le témoignage de Pierre-Claver Mbonimpa s’écoute depuis le puits de l’exil, il agit au dehors, en déposant une mémoire essentielle, celle d’un homme qui aura tout fait pour comprendre son pays, ses turbulences et qui aura agit sans relâche aux côtés des opprimés.
Une part du récit national en construction
Un témoignage est toujours un leg pour les générations à venir, et je m’interroge : à qui s’adresse ce livre ? Qu’il s’adresse aux Burundais, c’est une évidence ; mais toutes celles et ceux qui le liront ne seront-ils pas déjà des proches de Pierre-Claver Mbonimpa, ou de son combat ? Les jeunes burundais prendront-ils le risque de lire le témoignage d’un « opposant » alors qu’arrestations arbitraires et disparitions sont encore fréquentes ? C’est une ressource pour les historiens, mais celles et ceux qui travaillent d’ores et déjà sur le Burundi y apprennent-ils quelque chose ? Et pour le lecteur néophyte, tiendra-t-il jusqu’au bout une lecture documentaire sur un pays dont il ignore tout ? Cher lecteur, ne me laisse pas dans l’ignorance si je me trompe ; pour moi, ce livre est avant tout une part du récit national burundais en construction.
Je pense aux enfants burundais de l’exil, nés belges, canadiens, danois ou français ; je pense à cette génération de moins de 20 ans aujourd’hui qui n’a pas vécu la rébellion. Rester debout, c’est peut-être une injonction pour que cette jeunesse se hisse sur les épaules des parents, et voie plus loin, une nouvelle aube se lever. Et pour qu’un tel mouvement ait lieu, il est nécessaire de témoigner, il est nécessaire que les enfants demandent à savoir. Des témoins, le Burundi en regorge. Mais un témoin est un feu follet si parler, c’est s’exposer trop, si se raconter, c’est revivre le pire, si c’est directement mettre en danger sa vie ou celles de ses proches.
Le témoignage de Pierre-Claver Mbonimpa nous rappelle que le chemin est long mais que chaque bougie qui reste allumée alimente un espoir commun, infini. De cet espoir, tant de Burundais en ont besoin. Les ailes de l’aigle protègent les ombres ; faudra-t-il un grand feu pour que la lumière ravive un désir de paix plus fort que toutes les peurs ?
Annabelle Giudice
« Rester debout » Entretiens de Pierre-Claver Mbonimpa par Antoine Kaburahe, Collection Témoins, Editions IWACU
Ma foi, en lisant le récit résumé de Mme Annabelle Giudice sur le livre « Rester debout » des témoignages de Mbonimpa P claver (hutu), + les compléments de Pappy Pick (tutsi), je me suis dis enfin il y des gens (voire plusieurs) qui gardent des secrets et qui malheureusement n’oseront pas témoigner devant la CVR (d’aujourd’hui) parce qu’ils se disent à quoi pourront servir ces témoignages?
Anabelle insiste sur un tas de questions que moi même je me suis posé après avoir entendu la sortie de ce livre: « mais toutes celles et ceux qui le liront ne seront-ils pas déjà des proches de Pierre-Claver Mbonimpa, ou de son combat ?Les jeunes burundais prendront-ils le risque de lire le témoignage d’un « opposant » ?
Mon conseil est de dire à ces gens d’écrire des mémoires, qu’ils les gardent pour eux de leur vivants (pcq’ils ne croient pas en la CVR) et qu’ils les transmettent à leur progéniture. Un jour, ils serviront à panser les plaies, à élever au titre d’homme (Umugabo nya mugabo) leur progéniture et leurs descendants et tous ceux et celles qui les liront.
Merci
Cher Papa Pick,
Merci de ce témoignage – honnête, tragique et bouleversant.
Il est en effet consternant de voir que les mêmes comportements se répètent, de crise en crise, sans qu’une prise de conscience salutaire ne puisse interrompre ces errements cruels dont les auteurs appartiennent tantôt à un groupe, tantôt à l’autre. La violence appelle et engendre la violence, et la douleur aveugle les humains.
« Rester debout », c’est pour moi un appel à échapper à cette ronde meurtrière, à rendre à chacun sa dignité humaine.
Je vous remercie beaucoup, chère Madame, de cette belle plume que la rédaction d’Iwacu a bien voulu nous partager. Je n’ai pas lu le livre, et je n’ose pas le commander, par cette peur que là où je le lirais, je pourrais être attrapé avec.Vous m’en avez donné un bon résumé, suffisant pour en méditer longtemps.
Le Burundi regorge de beaucoup de personnes qui détiennent des témoignages dont ce pays a besoin pour se refaire, rendre la dignité et l’humanité à son peuple, recoudre sa cohésion longtemps bafouée par un monstre historique qui le ronge de l’intérieur sans vouloir le lâcher – le MENSONGE qui entretient la barbarie depuis la mort du Grand Prince et de ses héritiers légitimes. En 1972, j’ai été témoins occulaire de ces camions dont parle Pierre Claver Mbonimpa, je passe de temps en temps à côté de grandes fosses communes, héritage macabre de la barbarie des miens; non pas qu’ils le voulaient ni le faisaient de bon gré, mais parce qu’il fallait exécuter un ordre: éliminer les « Bamenja ». Ils étaient parmi nous ou à côté de nous, mais ne ressemblaient pas tout à fait à nous. Ils fomentaient notre perte, c’est cela qu’on nous enseignait: le Mensonge! Avec un peu de recul et du temps, j’ai questionné les faits, exploré plus loin que chez moi, bref, j’ai voulu comprendre. Hélas! quel désespoir de découvrir un monstre, avoir commis l’irréparable et l’impensable pour satisfaire les désirs d’une poignée d’individus — moins qu’une dizaine en tout cas — comme aujourd’hui. Le vers dans le fruit, l’on évolua vers 1992, période de démocratie et, 1993, le monstre a encore frappé. Hélas encore, j’étais là à assister à tout.
Une des mémoires de 1972 qui ne veut pas me quitter comme pour me rappeler ma lâcheté est la suivante:
j’habitais sur une route qui mène vers un ancien chef lieu de la commune. Je voyais de loin une file d’individus qui pouvait contenir 50, voire même 100 personnes ligotées par 3 parfois jusqu’à 5. La file était conduite par seulement 2 policiers armés seulement de matraques – ceci pour vous montrer combien ces ligotés étaient innocents et innofensifs – jusqu’à la commune où, la nuit, ils étaient chargés dans un camion et transportés vers les fosses communes où ils étaient abbatus à l’arme blanche et enterrés nus.
Le lendemain je voyais une compagnie de femmes et enfants, la plupart portant des bébés au dos avec de la nourriture apportés pour leurs maris, leurs papa ou leurs frères supposés en prison. Je voyais la même bande retournant par le même chemin, la même nourriture à la main, marchant dans un silence de mort, n’osant même pas pleurer et se battant à étouffer les sanglots de ne pas savoir le sort des leurs. La route était longue, longue et encore longue, et le chemin noir. Jusqu’à ce jour, cette bande ne sait toujours pas où sont les leurs. A chaque fois que je m’en rappelle, une force me pousse à vouloir éclater et crier très fooooort à leur place.
A quoi cela servirait-il aujourd’hui, puisque la même situation recommence. Les mêmes méthodes, diaboliser, mentir, embrigader et instrumentaliser la jeunesse, l’armée et la police pour assouvir la soif d’une poignée d’individus ,moins d’une dizaine comme en 1972. A quoi servirait nos témoignages? Je suis Tutsi et je n’agrée pas ce que les miens ont fait en 1972 ni après, et nous sommes plusieurs à vouloir témoigner et réparer; Pierre Claver Mbonimpa est Hutu, il n’agrée pas ce que fait aujourd’hui un gouvernement majoritairement Hutu et ils sont nombreux à vouloir témoigner et réparer. Le même monstre nous combat et nous poursuit partout. Qui nous sauvera et sauvera ce beau pays le Burundi?
Hélas encore! les larmes et sanglots étouffés par ces mamans et enfants m’accuseront encore et encore de ma lâcheté de ne pouvoir rien faire.
Cependant, Merci encore à Madame et Merci à Iwacu et à Mutama Mbonimpa.
Je vous remercie beaucoup, chère Madame, de cette belle plume que la rédaction d’Iwacu a bien voulu nous partager. Je n’ai pas lu le livre, et je n’ose pas le commander, par cette peur que là où je le lirais, je pourrais être attrapé avec.Vous m’en avez donné un bon résumé, suffisant pour en méditer longtemps.
Le Burundi regorge de beaucoup de personnes qui détiennent des témoignages dont ce pays a besoin pour se refaire, rendre la dignité et l’humanité à son peuple, recoudre sa cohésion longtemps bafouée par un monstre historique qui le ronge de l’intérieur sans vouloir le lâcher – le MENSONGE qui entretient la barbarie depuis la mort du Grand Prince et de ses héritiers légitimes. En 1972, j’ai été témoins occulaire de ces camions dont parle Pierre Claver Mbonimpa, je passe de temps en temps à côté de grandes fosses communes, héritage macabre de la barbarie des miens; non pas qu’ils le voulaient ni le faisaient de bon gré, mais parce qu’il fallait exécuter un ordre: éliminer les « Bamenja ». Ils étaient parmi nous ou à côté de nous, mais ne ressemblaient pas tout à fait à nous. Ils fomentaient notre perte, c’est cela qu’on nous enseignait: le Mensonge! Avec un peu de recul et du temps, j’ai questionné les faits, exploré plus loin que chez moi, bref, j’ai voulu comprendre. Hélas! quel désespoir de découvrir un monstre, avoir commis l’irréparable et l’impensable pour satisfaire les désirs d’une poignée d’individus — moins qu’une dizaine en tout cas — comme aujourd’hui. Le vers dans le fruit, l’on évolua vers 1992, période de démocratie et, 1993, le monstre a encore frappé. Hélas encore, j’étais là à assister à tout.
Une des mémoires de 1972 qui ne veut pas me quitter comme pour me rappeler ma lâcheté est la suivante:
j’habitais sur une route qui mène vers un ancien chef lieu de la commune. Je voyais de loin une file d’individus qui pouvait contenir 50, voire même 100 personnes ligotées par 3 parfois jusqu’à 5. La file était conduite par seulement 2 policiers armés seulement de matraques – ceci pour vous montrer combien ces ligotés étaient innocents et innofensifs – jusqu’à la commune où, la nuit, ils étaient chargés dans un camion et transportés vers les fosses communes où ils étaient abbatus à l’arme blanche et enterrés nus.
Le lendemain je voyais une compagnie de femmes et enfants, la plupart portant des bébés au dos avec de la nourriture apportés pour leurs maris, leurs papa ou leurs frères supposés en prison. Je voyais la même bande retournant par le même chemin, la même nourriture à la main, marchant dans un silence de mort, n’osant même pas pleurer et se battant à étouffer les sanglots de ne pas savoir le sort des leurs. La route était longue, longue et encore longue, et le chemin noir. Jusqu’à ce jour, cette bande ne sait toujours pas où sont les leurs. A chaque fois que je m’en rappelle, une force me pousse à vouloir éclater et crier très fooooort à leur place.
A quoi cela servirait-il aujourd’hui, puisque la même situation recommence. Les mêmes méthodes, diaboliser, mentir, embrigader et instrumentaliser la jeunesse, l’armée et la police pour assouvir la soif d’une poignée d’individus ,moins d’une dizaine comme en 1972. A quoi servirait nos témoignages? Je suis Tutsi et je n’agrée pas ce que les miens ont fait en 1972 ni après, et nous sommes plusieurs à vouloir témoigner et réparer; Pierre Claver Mbonimpa est Hutu, il n’agrée pas ce que fait aujourd’hui un gouvernement majoritairement Hutu et ils sont nombreux à vouloir témoigner et réparer. Le même monstre nous combat et nous poursuit partout. Qui nous sauvera et sauvera ce beau pays le Burundi?
Hélas encore! les larmes et sanglots étouffés par ces mamans et enfants m’accuseront encore et encore de ma lâcheté de ne pouvoir rien faire.
Cependant, Merci encore à Madame et Merci à Iwacu et à Mutama Mbonimpa.