Mardi 03 décembre 2024

Société

Restauration et logement des étudiants: le président de l’Assemblée nationale prône le désengagement de l’État

05/09/2024 6
Restauration et logement des étudiants: le président de l’Assemblée nationale prône le désengagement de l’État
Daniel Gélase Ndabirabe : « Il faut que les citoyens burundais s’organisent et s’approprient eux-mêmes les questions en rapport avec l’éducation. »

Alors que le gouvernement du Burundi envisage la redynamisation des services sociaux à l’Université du Burundi, le président de l’Assemblée nationale, quant à lui, estime que la restauration et le logement des étudiants ne devraient pas incomber à l’État. Il invite les Burundais à construire eux-mêmes des universités locales pour que leurs enfants étudient près de chez eux. Des propos fustigés par les étudiants et les politiques.

« Il faut que les citoyens burundais s’organisent et s’approprient eux-mêmes les questions en rapport avec l’éducation », a recommandé Daniel Gélase Ndabirabe, mercredi 21 août, lors de la séance plénière de présentation du rapport de descente effectuée par la commission permanente chargée de l’éducation pour s’enquérir des défis de l’enseignement supérieur public au Burundi.

Il invite les Burundais à changer de mentalité et à ne pas toujours considérer l’État comme une providence.

Le président de la chambre basse du Parlement trouve que l’État n’est pas en mesure de prendre en charge la restauration et le logement de tous les étudiants tout en faisant observer que l’État a de multiples responsabilités. Daniel Gélase Ndabirabe encourage les citoyens à construire les universités sur leurs collines, comme ils l’ont fait pour les écoles primaires.

« Que les gens se mettent ensemble sur les collines et construisent les universités pendant les travaux communautaires, et l’État viendra pour appuyer. » Pour lui, les étudiants qui vont fréquenter ces universités seront les enfants nés dans ces localités.

L’avantage dans tout cela, selon Daniel Gélase Ndabirabe, est que les charges vont diminuer. « Il n’est pas nécessaire que l’État restaure les étudiants. Si ces universités sont implantées dans les collectivités, les produits alimentaires seront moins chers et, de plus, les étudiants n’auront pas à parcourir de longues distances pour chercher un logement », avant de marteler : « La question de l’éducation n’incombe pas au seul ministre de l’Éducation ou à l’État, elle nous concerne tous. »

Par ailleurs, fait-il observer, les étudiants vont apprendre ce qu’ils vont appliquer dans ces mêmes collectivités, c’est-à-dire ce dont ces collectivités ont besoin. Il exhorte les Burundais à prendre en main les questions liées à l’éducation dès l’école primaire jusqu’à l’université. « C’est la seule voie que l’on doit emprunter, que l’on change de mentalité ». « Telles que les choses sont actuellement, cela ne nous mènera nulle part », renchérit-il.

Certains étudiants se disent déçus.

Certains étudiants rencontrés disent que les propos tenus par le Président de l’Assemblée nationale sont décourageants. « En tant que président de l’Assemblée nationale, il devrait plutôt plaider en faveur de l’amélioration des conditions de vie des étudiants qui se dégradent de jour en jour. » « Ces élus du peuple ont étudié dans de bonnes conditions, pourquoi veulent-ils nous délaisser alors que nous sommes le Burundi de demain ? », s’indigne N.B., étudiant dans la faculté de psychologie.

Pour cet étudiant, l’État devrait analyser les modalités d’assurer les services sociaux les plus fondamentaux aux étudiants, dont la restauration et le logement. D’autres étudiants estiment que l’augmentation des effectifs ne devrait pas constituer un problème qui pousserait l’État à se désengager. Ils disent que c’est un alibi.

Pour eux, c’est l’État qui doit prendre le lead en matière d’éducation et le privé viendra peut-être après. « Il faut réhabiliter et faire l’extension des infrastructures dans différents campus et augmenter le budget alloué à l’université, et le cas échéant, chercher des subventions auprès des bailleurs », recommandent-ils.

Ils font remarquer que le désengagement de l’État dans la restauration et le logement des étudiants a eu des impacts négatifs sur la réussite académique. Par ailleurs, ils évoquent l’insuffisance du prêt-bourse qui leur est accordé même s’il a été revu à la hausse, car, selon eux, les prix des produits de première nécessité varient et augmentent jour après jour.

« Vu le prêt-bourse, est-ce que l’étudiant pourra être en mesure d’aborder les prix qui seront fixés par un privé ? », s’interrogent-ils.

Quant à la construction des universités sur les collines, certains étudiants trouvent que cette politique est utopique et qu’elle ne changerait en rien les conditions de vie des étudiants. « Les ménages sont pauvres. Il y a un déficit énergétique. Même les écoles fondamentales peinent à bien fonctionner par manque d’enseignants et de supports pédagogiques. Et si les écoles primaires et secondaires accusent un manque criant d’enseignants, qu’adviendrait-il pour les universités ? », font-ils observer.

De la redynamisation des homes universitaires

Pour rappel, dans une note présentée par le ministre de l’Éducation nationale et de la Recherche scientifique au Conseil des ministres du 12 juin 2024, l’État du Burundi envisage la redynamisation des homes universitaires ainsi que la gestion de la bourse et du prêt-bourse.

Dans un communiqué sorti au terme dudit Conseil des ministres, Jérôme Niyonzima, secrétaire général et porte-parole du gouvernement, a fait remarquer qu’avec l’accroissement incessant des effectifs des étudiants, l’Université a été progressivement amenée à réduire ses interventions telles qu’assignées dans ses missions.

Jérôme Niyonzima : « Après l’analyse, le Conseil des ministres a constaté que l’État a le devoir de s’impliquer dans l’éducation, car c’est l’avenir du pays »

« Au vu des moyens financiers lui accordés, l’Université du Burundi n’est plus en mesure de réhabiliter ses infrastructures, de s’offrir des équipements socio-académiques de qualité et d’assurer le service d’hébergement et de restauration », lit-on dans ce communiqué.

Il a déploré que cela ait eu pour conséquence la suppression totale des restaurants universitaires dans les différents campus et l’instauration du prêt-bourse.

Le porte-parole du gouvernement a précisé que la note propose des pistes de redynamisation des services sociaux ainsi que des scénarios de rentabilisation du patrimoine de l’université tout en proposant l’implication du secteur privé.

« Après l’analyse, le Conseil des ministres a constaté que l’État a le devoir de s’impliquer dans l’éducation, car c’est l’avenir du pays », a-t-il précisé.

Dans ce communiqué, le Conseil des ministres a recommandé de mettre en place une commission qui va proposer une stratégie de redynamisation du secteur de l’éducation avec la participation du secteur privé dans la construction et l’exploitation des internats et homes universitaires.


Réactions

Aloys Baricako : « Sans éducation, pas de développement durable »

« L’éducation est une pierre angulaire pour arriver au développement. » Aloys Baricako, président du RANAC, s’insurge contre les propos du président de l’Assemblée nationale. « Une université, ce n’est pas seulement des bâtiments ; il doit y avoir un personnel qualifié. »

Il propose la réhabilitation de tous les campus et rappelle que la majorité des étudiants viennent de familles pauvres. « L’État doit restaurer et loger les étudiants et leur accorder des bourses, pas des prêts. » Baricako suggère de revenir à l’ancien système d’éducation et insiste que « dans tout pays qui aspire au développement, l’éducation incombe à l’État. »

Kefa Nibizi : « En pratique, sa proposition est impossible »

« Le président de l’Assemblée semble ignorer que l’État vit de la contribution de la population. » Kefa Nibizi, président du CODEBU, note que l’État et la population sont inséparables. « Le logement et la restauration des étudiants devraient être pris en charge grâce aux impôts. »

Il doute de la faisabilité de construire des universités locales. « Est-ce possible de construire des universités comme des collèges communaux ? »

Nibizi suggère d’accorder des bourses suffisantes pour améliorer les conditions de vie des étudiants. « Qu’il puisse étudier aux frais d’un pays qu’il va développer est tout à fait normal. »

Gaspard Kobako : « Il faut assurer la restauration et le logement pour les élites de demain »

« Le savoir, surtout la recherche scientifique, ne doit pas être pris à la légère. » Gaspard Kobako, président de l’AND/Intadohoka, insiste sur l’importance de la restauration dans la vie des étudiants. « Ventre affamé n’a point d’oreille. »

Il critique les propos du président de l’Assemblée sur la construction des universités locales. « Cela ignore la pauvreté de nombreux ménages. »

Kobako affirme que la construction des infrastructures universitaires doit être prise en charge par l’État. « Le maître d’œuvre, c’est naturellement le gouvernement. »

Forum des lecteurs d'Iwacu

6 réactions
  1. tous les secteurs de la vie du pays sont le resultat de l’ éducation. je leur recommande plutôt de consulter les expert en la matière au lieu de decider prématurément parce que à chaque peuple une histoire.

  2. Stan Siyomana

    1. C’est quand meme bizarre, voire une rupture ideologique, de voir cette contradiction dans les hauts echellons de l’Etat burundais ou l’Honorable Daniel Gelase Ndabirabe (president de l’Assemblee nationale) dit:« Que les gens se mettent ensemble sur les collines et construisent les universités pendant les travaux communautaires, et l’État viendra pour appuyer. », alors que Jerome Niyonzima (porte-parole du gouvernement) dit: «  Après l’analyse, le Conseil des ministres a constaté que l’État a le devoir de s’impliquer dans l’éducation, car c’est l’avenir du pays ».
    2. J’ai vu des videos ou l’Honorable Gelase Ndabirabe allait dans sa province natale de Kayanza pour vanter les bienfaits du systeme de budget-programme recemment adopte par l’Etat burundais ou toutes les depenses de l’Etat sont programmees d’avance. Donc il n’y a pas de garantie que si les gens (de la Commune Matongo,Province Kayanza par exemple) construisent une universite l’Etat sera en mesure de leur venir en aide.
    3. En 1959, une petite bicoque (sans doute construite par la communaute locale avec l’aide de la paroisse catholique de Musenyi) suffisait pour ma premiere annee primaire a Bomba, Commune Tangara, Province Ngozi. Mais en 1989, j’ai du utiliser mon status de refugie aux Etats-Unis pour pouvoir avoir un pret-bourse de 40 milles dollars pour couvrir deux ans d’etudes dans une business school privee dans Glendale (Phoenix), Etat d’Arizona, USA (aujourd’hui elle fait partie d’Arizona State Univesity au campus du centre-ville de Phoenix).
    UNE UNIVERSITE DEMANDE BEAUCOUP DE MOYENS POUR ETRE CONSTRUITE ET FONCTIONNER NORMALEMENT.

    Dans

  3. Stan Siyomana

    Je crois que l’on pourrait comparer ce qui se dit aujourd’hui au Burundi a ce qui s’est passe sous le regime neo- liberal du dictateur chilien General Augusto Pinochet (1973-1990).
    a. Le president de l’Assemblee Nationale burundaise veut le desengagement de l’Etat dans l’education universitaire tout comme le Chili a privatise le secteur des services de l’eau.
    b. Pour avoir un controle total sur l’exploitation des ressources minieres du pays, le president Evariste Ndayishimiye serait en train d’organiser un groupe Whatsapp de jeunes ingenieurs des mines tout comme le Chili a cree en 1976 la gigantesque CODELCO (Corporacion Nacional de Cobre de Chile) qui exploite les mines de cuivre.

  4. saleh

    Je ne comprends pas la logique du très honorable.

    Une universite, c’est certes des bâtiments, c’est aussi du personnel très qualifié et donc rare, c’est des laboratoires dans des domaines diverses, C’est de l’énérgie stable et disponible en continue, etc…..

    Quelle collectivité peux avoir les possibilités de contruite , organiser et maintenir une université?
    Oublie-t-on que même les universités gérés par l’état n’attirent pas tout le monde et qu’on accepte de payer cher pour aller à l’étranger, la où la qualité est appréciée? Qu’en est -il de la qualité attendue pour ces université des collectivités locales?

    Par ailleurs, si à chaque fois que l’état sens la charge trop lourde pour lui, il se désengage , quel serait alors le rôle de l’état ? Nous on croyait justemement qu’il fait ce qu’on ne peut pas faire ni individuellement ni collectivement. Avec cette logique, bientôt on nous demanderait de construire nos propres routes ou d’assurer notre propre sécurité.

    Non, non et non. Cette position n’est ni logique, ni réaliste, ni souhaitable

    • Stan Siyomana

      @saleh
      1. Vous avez tout a fait raison.
      2. En 1989, Juan Carlos Tedesco (qui etait directeur du Bureau regional d’education pour l’Amerique latine et la region des Caraibes (OREALC/Unesco, Chili) ecrivait:
      « Le transfert des responsabilités de l’Etat à la société n’est pas toujours une initiative qui cherche à assurer plus de qualité et d’efficience dans le service, ni plus de participation des usagers dans sa définition; il peut s’agir uniquement d’un transfert de responsabilite financieres… »
      Source: Juan Carlos Tedesco: Le role de l’Etat dans l’education (pages 316-338).
      https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000084664_fre
      3. Je trouve que l’un des cas extremes du desengagement de l’Etat est la privatisation de l’eau au Chili.
      « The privatisation of water sources in Chile dates back to the Pinochet dictatorship of 1973 to 1990. The 1980 Constitution enshrined the private ownership of water. This was maintained, and even deepened, following the democratic transition, since sanitation was also privatised. The privatisation process of sanitation began in 1998, under the administration led by Eduardo Frei Ruiz-Tagle, a Christian Democrat. Nowadays, people in Chile pay the highest rates in Latin America for drinking water, which is owned by large transnational corporations. Overall, the Suez group, Aguas de Barcelona, Marubeni and the Ontario teachers’ pension fund administrator from Canada control 90 per cent of the drinking water supply… »
      https://www.resilience.org/stories/2020-06-02/chile-has-entirely-privatised-water-which-means-that-theft-is-institutionalised/

  5. RUVYOGO

    Le Burundi est pauvre, pauvre comme Job de la Bible.
    Ajouter à cela l’incurie et la corruption; et vous aboutissez à la catastrophe qu’on voit à l’enseignement.
    Le président de l’Assemblée dit qu’il faut construire des universités sur nos collines.
    Nous en sommes incapables.
    Basta

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