« J’ai obéi à une loi, de ces lois que personne n’a écrites, qui existent on ne sait depuis quand et qui sont éternelles. Ces lois dictent aux êtres humains de traiter leurs semblables avec humanité et de ne pas bafouer leurs dépouilles mortelles ». Cette réponse d’Antigone lorsqu’elle explique pourquoi elle a bravé l’interdit posé par Créon d’ensevelir son frère montre à quel point la vie humaine est sacrée. Qu’il soit vivant ou mort, la dignité et l’honneur de l’homme doivent être préservés. Malheureusement, ce respect tranche avec ce qui vient de se passer au cimetière de la colline Gifurwe, commune Mpanda.
Des images montrant plusieurs tombes ouvertes ont provoqué une grande émotion dans l’opinion, elles ont choqué. Ce qui a le plus causé l’indignation, c’est le mobile lié à ces actes. Selon l’enquête menée par Iwacu, les croix métalliques, les tôles et les barres de fer qui servent à la construction des tombes sont régulièrement volées. Pourquoi ce phénomène alors que le respect des morts est ancré dans la culture burundaise ? A mon humble avis, rien ne peut expliquer la profanation des tombes. C’est une atteinte au respect dû aux morts, une transgression très forte.
Le pillage des sépultures n’est pas un phénomène nouveau au Burundi, il est récurrent. Cependant, la lutte contre ces actes barbares semble ne pas préoccuper la société, les décideurs. Combien de médias en ont parlé ? Quelle a été la réaction des politiques ou de la société civile ? « Depuis que ces tombes ont été profanées, des patrouilles régulières ont commencé pour empêcher ces actes ignobles. Nous avons même entrepris des recherches dans différents marchés de métaux, mais en vain », a réagi l’administrateur de Mpanda. Le phénomène est apparemment banalisé. « Depuis quelques années, les vivants se disputent l’espace avec les morts », m’a fait remarquer, avec humour, un ami. C’est déplorable.
La protection et le respect des morts sont des éléments qui font de nous des êtres humains. Le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort. Prendre soin des tombes, c’est entretenir le devoir de mémoire. Ces concepts sont présents depuis la nuit des temps dans notre culture.
Par ailleurs ils sont inscrits dans les pratiques religieuses. En organisant des obsèques bien faites, on donne à la personne disparue un hommage et un adieu digne de ce nom afin qu’elle retrouve la paix dans son dernier sommeil, RIP (Rest in peace). De ce point de vue, la profanation des tombes doit être strictement interdite et chacun doit participer à la préservation de la dignité de nos morts.
Le Mexique est reconnu dans le respect des morts. La fête annuelle des morts connue en espagnol sous le nom de « Día de los Muertos », qui se déroule les 1er et 2 novembre, est une occasion de se souvenir et d’honorer les êtres chers décédés. Les Mexicains se rendent dans les cimetières, nettoient et décorent les tombes avec des fleurs, des bougies. Ils passent du temps près des tombes, se remémorant les souvenirs des défunts et priant pour leur repos éternel. C’est un moment de réflexion, de gratitude et de célébration de la vie et de la mort. C’est aussi une occasion de se souvenir de ceux qu’ils ont perdus et de les honorer avec amour et respect. Un cas d’école…
Le respect des morts au Burundi appartient à l’Histoire. C’est la folie: il n’y a plus de cortège funéraire. Les véhicules rivalisent pour dépasser le corbillard, il y a des fois des accidents. Avant, la police, les militaires saluaient le corbillard, les civils se levaient. Le pays se vide de sa culture, ses mœurs. Combien de Burundais se rendent au cimetière, le 2 novembre, entretenir les tombes des leurs ou y faire une prière?