Mardi 05 novembre 2024

Société

Requiem pour les taxis-motards

L’interdiction de circulation de moto taxis dans la commune urbaine de Mukaza pour des raisons de sécurité publique est lourde de conséquences pour biens des citadins.

Les motards des quartiers nord de la capitale sont interdits de traverser le pont Ntahangwa-Nord sur le Boulevard du 28 Novembre, depuis le 15 février.
Les motards des quartiers nord de la capitale sont interdits de traverser le pont
Ntahangwa-Nord sur le Boulevard du 28 Novembre, depuis le 15 février.

Lundi soir le 15 février, sur les médias locaux, le maire de Bujumbura annonce que « désormais, la circulation des taxi-motards est interdite dans la commune Mukaza ».

La mesure s’inscrit dans une série d’autres visant à juguler la vague d’attaques à la grenade qui ont ponctué cette journée. Des morts et plus de soixante blessés.

Les attaques de lundi n’étaient pas des cas isolés. Samedi, deux grenades lancées sur une position militaire avaient fauché un garçon de six ans, Don Chalex Ntungane. La veille, une explosion de grenade avait fait une trentaine de blessés au marché de Ruvumera.

Cette « folie meurtrière », par ailleurs non revendiquée, avait suscité un tollé général dans la population. Un nuage de panique voire de paranoïa planait sur Bujumbura. Pire, la police, l’administration et même les citadins redoutaient une intensification des « actes terroristes » à la veille de deux grands rendez-vous : la visite de Secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-Moon (les 22 et 23 février) et celle de cinq chefs d’Etats africains (les 25 et 27 février).

La police et l’administration se devaient de prendre le taureau par les cornes. Cette dernière a sorti la mesure « drastique mais sécuritaire ». Le porte-parole de la police nationale, Pierre Nkurikiye a répété les consignes aux citadins en cas de sachets lâchés par des hommes sur motos dans la rue ou largués dans les foules.

« Ils n’ont pas rouspété »

A l’Association des motards du Burundi (Amotabu), Gérard Hakizimana, représentant de la mairie, dit que les motards ont accueilli avec philosophie cette mesure. « Face à la détérioration de la sécurité due à des gens qui se déplaçaient sur motos, notre point de vue n’aurait pas été entendu ».

Mais il croit fermement qu’il y a toujours lieu que les mototaxis arrivent encore dans la commune Mukaza sans que cela ait des conséquences négatives sur la sécurité. « Il suffit que la police et la mairie associent les motards dans la structure sécuritaire », avance-t-il.

Plus de courses sur de longs axes

Concrètement, les motards ne peuvent plus s’engager sur de longs axes. C’est notamment les courses entre les quartiers périphériques de la capitale et le centre-ville et les courses entre les quartiers périphériques du nord et du sud de la capitale, via le centre-ville.

« Même s’il était strictement interdit d’arriver au centre-ville, pour relier les quartiers du nord et du sud, nous devrions passer par les routes longeant le lac Tanganyika. Aujourd’hui, cette manœuvre n’est plus possible ».


Des conséquences en cascade

Les conséquences de la mesure se font déjà sentir. Une société vendeuse de motos prévoit même le pire si la mesure devait perdurer.

Pour Joseph Busage, un taxi-motard de Cibitoke, le long trajet reste une course de ce quartier vers Mutanga. « Là aussi, le passager nous paie 600 Fbu contre 1000Fbu du « bon vieux temps ». Et pour cause : les motards de la commune Mukaza (Buyenzi, Jabe, Bwiza et Nyakabiga) se sont repliés dans les quartiers nord de la capitale. Par ce fait, le nombre de motos a fortement augmenté alors que le nombre de clients a diminué puisque la plupart des clients allaient au centre-ville.

Amer, Jean Bosco Nahimana, un taxi-motard résidant au quartier lui aussi Cibitoke dit que ses recettes journalières ont chuté de moitié depuis l’entrée en vigueur de la mesure. « Les courses sur les longues distances ne sont plus possibles. Or, ce sont celles-là qui étaient les plus rentables. Les clients nous payaient à l’aller. Au retour, nous en attrapions d’autres ».

Ne pouvant plus se contenir, il lâche : « Avant la mesure, bon an mal an, je rentrais avec 5000 Fbu par jour. C’est à peine si je peux présenter 3000 Fbu à mon épouse. J’aurais sûrement un problème de paiement de loyer à la fin du mois ».

Mais les premiers à subir le coup sont les propriétaires de motos. Pour la plupart, c’est la déception : la mesure est tombée au moment où ils venaient de dépenser 55.000 Fbu pour faire repeindre les motos. Ils s’étaient pliés à la mesure de l’administration qui exigeait que le nom de la commune urbaine du propriétaire d’une moto soit marqué sur sa mototaxi avant fin décembre 2015.

Un d’eux compte le manque à gagner : avant la mesure, le « boss » (propriétaire) percevait immanquablement 10 mille Fbu de recette par jour, soit 30o mille par mois.

Or, les recettes quotidiennes ont chuté à 5 mille Fbu. Pourtant, il devra s’acquitter des mêmes obligations envers les sociétés d’assurance, la mairie et l’Office des transports du Burundi (Otraco). Il est aussi tenu de renouveler les pièces (voir encadré). « Si je compare les recettes et les dépenses, je me demande s’il n’est pas grand temps de retirer ma moto de la circulation purement et simplement », conclut-il.


Les petits restaurateurs en mauvaise posture

Les propriétaires de restaurants des quartiers de la commune Mukaza ne savent plus à quel saint se vouer. Ils enregistrent un manque à gagner énorme. Les clients fidèles étaient des conducteurs de motos.

A Bwiza, les restaurateurs s’activent à préparer de la nourriture mais ils ne savent qu’ils auront des clients
A Bwiza, les restaurateurs s’activent à préparer de la nourriture mais ils ne savent qu’ils auront des clients

11h30. A la 5ème avenue, zone Bwiza. D’humeur un peu maussade, presque indolentes, les femmes qui tiennent des restaurants essaient de s’activer à la cuisine. « Nous faisons de notre mieux, mais nous ne savons pas si nous aurons des clients », témoigne une femme en train d’éplucher des pommes de terre. Elle confie qu’avant la décision du maire de la ville, elle préparait 10kg de viande, 20 kg de riz et 20 kg de haricots par jour. Ses clients raflaient en un peu de temps toute la nourriture préparée. « Maintenant, je prépare 5 kg de viande et 10 kg de haricots et c’est à peine que je reçois assez de clients pour finir tous les plats ».

Ces femmes s’accordent à dire qu’elles vont mourir de faim. Presqu’en chœur, elles se lamentent : « Nos clients fidèles étaient des conducteurs de motos venus de tous les coins de la mairie. Maintenant qu’ils n’exercent plus dans notre commune, nous allons complètement fermer nos restaurants. »

Du côté de ces conducteurs de motos, ils craignent aussi de mourir de faim. Ils confient qu’ils consommaient en moyenne 5000fbu par jour. Ils s’inquiètent : « Où est-ce qu’on va trouver cette somme si nous ne sommes pas autorisés à sortir nos motos des maisons ? » Ils craignent que, par la force des choses, certains d’entre eux ne deviennent des bandits ou des délinquants pour survivre.

Les propriétaires de ces restaurants et ces conducteurs demandent la levée de cette mesure. Un conducteur de glisser : « Qu’on nous dise les conditions exigées pour avoir accès dans la commune de Mukaza. Si c’est pour porter des gilets ou peindre nos motos, nous le ferons ».


Les utilisateurs de mototaxis désemparés

Depuis l’entrée en vigueur de ladite mesure, les habitués de ce moyen de déplacement ne savent plus où donner de la tête. Les retards au service et aux divers engagements quotidiens se multiplient.

Maman Yves est vendeuse de légumes dans le nouveau marché de Kibenga. Elle habite Kamenge. Elle était habituée à se déplacer sur moto. Pour elle, se rendre à Kibenga relève désormais du parcours du combattant. «Je suis maintenant obligée de prendre deux bus ou deux motos quand je vais m’approvisionner « chez Siyoni» .

N’ayant pas beaucoup de choix, elle doit désormais prendre un tuk-tuk (tricycle) pour se rendre à Kibenga. Auparavant, un seul taxi moto faisait l’affaire. Presqu’abattue, elle indique : «Un tuk-tuk me coûte 4500 alors que je payais 1500 pour une moto».

Difficile de se dépêcher actuellement, coupe L.N. une jeune fille qui habite Kanyosha. «Je viens de passer plus d’une quarantaine de minutes dans un embouteillage monstre pour me rendre à Buyenzi». Pour elle, la mesure depuis longtemps en vigueur d’interdiction de circulation des motos dans le centre-ville de la capitale était à elle seule éprouvante. Les empêcher de franchir les «frontières» de la commune Mukaza vient enfoncer le clou. «J’aurais pu arriver à Buyenzi en passant par le quartier asiatique, sans toutefois passer en centre-ville».


Suppression d’emploi, pas du bluff

Gérard Habonimana : « Il y aura viol de la loi. Les cas de corruption de la police de roulage augmenteront »
Gérard Habonimana : « Il y aura viol de la loi. Les cas de corruption de la police de roulage augmenteront »

Une maison vendeuse de motos affirme que des centaines de milliers de gens vont perdre leur emploi.

Selon elle, dans la capitale, un habitant sur dix est propriétaire d’une mototaxis pour arrondir ses fins de mois
Les importateurs de motos vont souffrir, les taxis motos et les mécaniciens vont perdre leur travail. Les magasins de rechange vont aussi fermer. Et de s’interroger : « Est-ce vraiment une mesure bien pensée ? ».

A l’Association des motards du Burundi (Amotabu), Gérard Habonimana est de l’avis du commerçant. Il estime lui à 15.000 le nombre de mototaxis, soit 45 mille motards (trois utilisateurs d’une moto : le motard en chef et deux autres de réserve).

Il admet que 40% de motos qui opéraient dans différents parkings en commune Mukaza ont déjà arrêté de travailler.

Pire, il pressent que la chute de recettes entraînera indubitablement la violation de la loi dans la mesure où les motards ne se donneront plus la peine de dépenser les maigres recettes pour l’acquisition ou le renouvellement des documents exigés par la police de roulage. Conséquence : « La corruption augmentera parmi les policiers et le Trésor public n’y gagnera pas et perdra ainsi ses recettes ».


Quand le malheur des uns fait le bonheur des autres.

Pour ces taxis-vélos, la mesure est une aubaine
Pour ces taxis-vélos, la mesure est une aubaine

Cette mesure est certes ardue pour les uns.Pourtant, certains des taxi-vélo et conducteurs de tricycles jubilent.

Sur le Boulevard du 1er novembre, des taxi- vélos fourmillent de part et d’autre du pont, ils sont parmi ceux qui traversent aisément les ponts.

Un des taxis vélo rencontré sur ce pont revient du quartier Asiatique avec un client, course que ne peuvent se permettre aujourd’hui les taxi-motos. Il admet que durant cette semaine le nombre de clients a augmenté. «J’empoche entre 5000 et 6000Fbu par jour depuis le début de cette mesure », se réjouit-il. Il affirme qu’auparavant gagner 4000fbu relevait de l’impossible.

Avis que partage un conducteur de tricycle croisé sur l’avenue de l’Université. Cette dernière pullulait jadis de mototaxis. Pendant une quinzaine de minutes, pas de moto en vue. Son parking est au marché « chez Siyoni ». Il vient de la zone Rohero 2. «On a encore ce privilège de se déplacer dans la commune Mukaza,». Pour cette course, il vient de gagner 2500Fbu. «Un taxi-motard aurait fait la même course à 1000fbu». Il souligne que les clients sont nombreux surtout le matin, aux environs de 7heures. Et d’arborer un large sourire : « Ça me permet de payer les 20.000Fbu et de garder une petite somme de côté».


Quelques tarifs de courses

Kamenge-kanyosha : 3000Fbu
Kamenge-Rohero : 1500 Fbu
Kamenge-Ruvumera : 1000Fbu
Jabe-Kanyosha : 2500 Fbu
Kanyosha-gare du Nord : 2500 Fbu

Les dépenses par trimestre d’un propriétaire de moto

Assurance : 70.000 Fbu
Carte municipale : 2000Fbu
Contrôle technique : 5000 Fbu
OBR : 7500 Fbu
Autorisation de transport : 7500
Remplacement du pneu arrière et chambre à air : 65000Fbu
Transmission : 28000Fbu
Autres dépenses pour entretien de la moto : 30000Fbu

Forum des lecteurs d'Iwacu

5 réactions
  1. Jereve

    Et pourtant, les motards ont été très actifs dans leur soutien au régime et son 3ème mandat. Comment expliquer que ce régime vise maintenant à les affamer? En tout cas, cela démontre à suffisance que le régime est entré dans une logique du « tout sacrifier » dans sa marche vers je ne sais quel destin.

    • Arsène

      « Et pourtant, les motards ont été très actifs dans leur soutien au régime et son 3ème mandat. »
      Probablement qu’ils y étaient contraints ou alors qu’ils étaient payés pour ça.

      Ce qui serait souhaitable est de tout simplement penser à « avancer »: alors que le pouvoir n’arrête de parler de « développement », c’est inconcevable que ce la passe par la voie actuellement suivie en matière de transport. Il faudrait plutôt légiférer contre les motos et vélos taxis et mettre en place un système de transport public. N’eût pas été la mauvaise gestion de nos dirigeants, cela avait été initié à l’époque de Bagaza (OTRABU et OTRACO) mais les problèmes de détournement et corruption a fait qu’aucun bus n’a été remplacé. Logiquement, si ça marche dans les pays occidentaux, il n’y a pas de raison (autre que ce que je souligne) pour que ça ne marche pas au Burundi.
      On peut poser la question quant aux ressources mais si les fonds détournés pour le soi-disant achat du nouvel avion présidentiel, ceux issu du falcon présidentiel, les fonds gaspillés pour la construction du stade de Ngozi, le budget consacré à l’achat des armes, etc. pouvaient être correctement utilisés, on pourrait très bien disposer d’un service de transport en commun à la hauteur de nos besoin.

  2. HAHA

    voila pourquoi la problématique de sécurité devrait être un devoir de tout citoyen. les inconvénients sont partagés œuvrons pour la paix et encourageons ceux qui abandonnent et déposent les armes au lieu de « polémiquer »

    • Il n’y a rien à partager, les petits sont naturellement victimes de l’incapacité de ceux qui devraient assurer l’ordre et la sécurité. Il faut s’attaquer aux racines du problème et pas aux aspects plus que superficiels. Est-ce ces taxi-motos qui perturbent la sécurité dans les camps de déplacés de Ruhororo et Bukirasazi? Est-ce ces taxi-motos qui tirent à Mugamba, Matana et ailleurs? On parle souvent de véhicules à vitres fumés, des voitures TI à vitres fumés mais ceux-ci ne sont jamais inquiétés et pourtant ils font plus de victimes que ces motos. Au lieu de se voiler la face et soutenir bêtement l’insoutenable, il vaut mieux s’attaquer à la racine du problème afin de trouver une solution durable. Ceci est bien sûr difficile, mais c’est aussi cela la responsabilité.

    • SIMONA

      Conséquences des meutres assassins aux motards grenadiers.

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