La clause de conscience reconnue, le droit de protection des sources validé, 2003 est l’une des plus belles années de la presse au Burundi…Mais là, nous sommes bien avant 2013.
Dès sa promulgation, le décret-loi N° 1/006 du 21 mars 1997 a soulevé nombre de protestations de la part des professionnels des médias qui qualifièrent le texte de liberticide.
Sa révision a été le point d’orgue des Etats généraux de la communication qui se déroulèrent à Bujumbura en décembre 2001. Les organisateurs du forum sont partis du constat d’un certain nombre de lacunes, contenues dans la loi de mars 1997 tel que soulevées par ses contempteurs, qu’accusait le système de communication au Burundi et que les communicateurs avaient toujours stigmatisées : l’absence de la clause de conscience reconnue aux journalistes, la problématique de la protection des sources, l’absence d’une aide institutionnelle aux médias privés servant de manière satisfaisante l’intérêt public au même titre que les médias publics, l’entrave à la liberté de la presse constituée par l’autorisation préalable, le conflit de compétence sur la question des délits de presse entre le Code pénal et la loi sur la presse.
D’une manière générale, les principales revendications des journalistes ont été satisfaisantes par la nouvelle loi promulguée le 27 novembre 2003, à l’exception de celle concernant la répression des délits de presse[1].
La clause de conscience
Celle-ci a été reconnue. La clause de conscience permet à un journaliste de rompre le contrat qui le lie à une entreprise de presse si l’orientation nouvelle de ladite entreprise est en contradiction avec les termes du contrat, surtout si ce changement crée pour lui une situation de nature à porter atteinte à son honneur, à sa réputation ou d’une manière générale, à ses intérêts moraux. En d’autres termes, si le journaliste est amené à démissionner pour une raison de conscience dont la démonstration pourra être faite devant le tribunal en cas de contestation, l’employeur est tenu de lui payer des indemnités comme si ce dernier avait lui-même procédé à une rupture abusive de ses engagements contractuels avec le journaliste.
La problématique de la protection des sources
L’article 8 de la loi stipule que le journaliste n’est pas tenu de révéler ses sources d’information. Dans une quasi-unanimité, les journalistes ont toujours réclamé le droit de ne pas révéler à qui que ce soit et quelles que soient les circonstances, leurs sources d’information. Sur ce point, ils ont obtenu satisfaction : ainsi, si l’article 6 du Décret-loi du 21 mars 1997 stipulait leur obligation de révéler leurs sources d’information confidentielles sur réquisition expresse d’une autorité judiciaire compétente, la nouvelle loi supprime cette obligation.
L’aide publique aux médias
La Loi de mars 1977 stipulait qu’en vue de favoriser la promotion de la presse, le gouvernement pouvait accorder des avantages fiscaux, douaniers et autres. A l’évidence, il s’agissait d’un engagement faible qui n’engendrait aucune obligation formelle.
La loi du 27 novembre 2003 a retenu l’exonération pour la taxe de transaction. En plus, à l’article 14, elle créa des fonds de promotion des organes burundais dont les ressources seront issues des dotations budgétaires annuelles et des concours des bailleurs de fonds. Un décret concernant la gestion de ce fonds devait être adopté ultérieurement.
L’autorisation préalable
L’article 7 de la loi supprime l’autorisation préalable avant la publication de tout journal ou écrit périodique sur le territoire burundais institué par la loi de 1997. Désormais, une simple déclaration au Conseil national de la communication et au parquet du Procureur de la République dans le ressort duquel se trouve le siège du journal et nécessaire.
Le conflit de compétence en matière des délits de presse.
Lors de la rédaction de la nouvelle loi, le projet initial approuvé par les communicateurs proposait que les délits de presse soient réprimés conformément aux dispositions du Code Pénal afin d’éviter les conflits et les contradictions relevés entre ce dernier et le décret-loi de mars 1997. Cependant cette revendication des acteurs des médias n’a pas été acceptée par le gouvernement burundais, qui a décidé de conserver la formule du décret-loi de mars 1997, en aggravant d’ailleurs les peines prévues en matière d’amende.
Les journalistes, à travers l’Association burundaise des journalistes se sont déclarés globalement satisfaits de la loi du 27 novembre 2003 car elle abrogeait nombre de dispositions qu’ils avaient toujours combattues car jugées liberticides. Pour eux, la nouvelle loi sur la presse est en effet incontestablement plus libérale que les précédentes.
La loi du 1er /11 du 4 juin 2013 : un pas en arrière
La nécessité de corriger les lacunes de la loi de 2003, essentiellement en rapport avec des peines privatives de liberté et des amendes beaucoup plus lourdes que celles prévues par le Code Pénal pour les mêmes délits, a été le point focal des Etats généraux des médias et de la communication qui se sont tenus à Gitega du 4 au 5 mars 2011.
Lors de ces assises, la Ministre de la Communication a insisté sur la nécessité de développer une vision de la communication pour garantir le développement de ce secteur. Elle a souligné que cela devait passer par la prise en compte des propositions d’améliorations des outils juridiques, notamment de la loi régissant la presse.
Dès qu’elle a été portée à la connaissance du public, le projet de ce qui allait devenir la loi du 4 juin 2013 a suscité de vives contestations qui ont dépassé de loin le seul cadre des professionnels des médias.
Ces derniers ont, de concert avec une partie de la société civile et de la classe politique, lancé une campagne multiforme pour dissuader le Parlement d’adopter un projet de loi considéré comme liberticide. Quand il a été adopté, ils se sont adressés au chef de l’Etat par le canal d’une pétition pour lui demander de ne pas le promulguer. La pétition a recueilli près de 12.000 signatures, mais cela n’a pas empêché le Chef de l’Etat, feu Pierre Nkurunziza à l‘époque, de promulguer la loi le 4 juin 2013.
Le 19 juillet 2013, l’Union burundaise des journalistes (UBJ), avec le soutien de Média Légal Défense Initiative, assigna devant la Cour Est-Africaine l’Etat du Burundi.
La requérante a soutenu qu’en adoptant la loi sur la presse de juin 2013, le Burundi a violé les principes fondamentaux de la Communauté de l’Afrique de l’Est.
Plus précisément, la loi sur la presse violait le droit à la protection des sources des journalistes, contenait des restrictions démesurées à la liberté d’expression des journalistes puisqu’elle leur interdisait de publier des informations couvrant un très large spectre, imposait un régime illégitime de censure des films produits au Burundi, prévoyait un régime de droit de réponse et de rectification qui entravait le droit des médias à la liberté d’expression, prévoyait des amendes exorbitantes pour réprimer les délits de presse .
De nombreuses Organisations nationales et internationales de défense des droits de l’homme se joignirent au concert des protestations.
La Communauté internationale laissa également entendre sa voix, de la déclaration sortie le 13 mai 2013 à l’occasion de la journée mondiale de la liberté de la presse par l’Ambassade des Etats Unis d’Amérique à Bujumbura, à la déclaration faite le 30 mai 2013 par le Sénat belge, en passant par la Déclaration de l’Union Européenne du 26 avril 2013 et du Communiqué du Porte-parole du Ministère français des affaires étrangères du 6 juin 2013. Le tout en pure perte.
2015 et après : le temps des incertitudes
La candidature controversée de Pierre Nkurunziza à un autre mandat a débouché sur des troubles qui ont culminé le 13 mai 2015 par une tentative de son renversement, qui s’est soldé par un échec. C’est dans ce climat délétère qu’a eu lieu le 9 mai 2015 la promulgation d’une nouvelle loi sur la presse qui a abrogé celle de juin 2013.
En raison des circonstances, sa sortie est passée complétement inaperçue et n’a donc pas suscité de commentaires, dans un sens ou dans l’autre des professionnels des médias et de la société civile. Les premiers concernés par le texte, à savoir les professionnels des médias et une partie de la société civile, avaient en effet d’autres soucis : bon nombre d’entre eux avaient pris le chemin de l’exil et ceux qui étaient sur place se taisaient, littéralement tétanisés.
Par rapport à la loi de 2013, celle du 15 mai 2015 apporte trois changements : le premier porte sur le régime des sanctions des délits de presse. Alors que la première avait dépénalisé les délits de presse en substituant aux peines privatives de liberté des amendes, la loi du 15 mai 2015 a instauré le régime du droit commun. En d’autres termes, dorénavant, les journalistes ne seraient plus soumis à un régime particulier, mais ils seront sanctionnés en des délits de presse conformément aux dispositions du Code Pénal, comme les autres personnes vivant sur le territoire burundais.
Le deuxième changement se rapporte à la protection des sources des journalistes. Alors qu’elle avait été instaurée sans restrictions par la loi de 2003 en son article 8, la protection des sources avait été sérieusement écornée par le texte de 2013 en son article 20 ainsi libellé : « Les journalistes sont tenus de fournir, devant les juridictions compétentes, les informations révélant la source dans l’un des quatre cas suivants : 1° Les informations concernant les infractions en matière de sécurité publique, 2° Les informations concernant les infractions en matière d’ordre public, 3° Les informations concernant les infractions en matière du secret de la défense, 4° Les informations concernant les infractions en matière de l’intégrité physique et morale de l’une ou plusieurs personnes. »
La loi de 2015 restaure sans restriction la protection des sources des journalistes ce qui constituent en soi un pas positif.
Le troisième changement portait sur qui reposait la responsabilité pénale en matière de sanction des délits de presse. Dans la loi de 2013 en son article 56, « Tout article, toute émission même anonyme, engage la responsabilité de l’organe de presse et le responsable de la diffusion. » L’auteur de l’article ou de l’émission et les autres personnes ayant contribué au délit étaient éventuellement poursuivis comme complices.
En d’autres termes, le journaliste était tenu pour moins coupable que l’organe de presse et le Directeur de publication, puis que d’après le code pénal, il encourrait un cas de délits de presse une peine ne dépassant pas la moitié de celle qui pouvait leur être éventuellement infligée.
Dans la loi du 13 mai 2015, l’organe de presse, le directeur de publication et le journaliste sont solidairement tenus pour responsables des éventuels délits de presse.
En 2018 soit seulement trois ans plus tard, le Burundi revoit de nouveau la loi sur la presse. Par rapport à celle du 9 mai 2015, la nouvelle loi apporte deux éléments nouveaux : le premier porte sur la carte de presse et dispose que pour entrer dans la profession, le journaliste doit en être titulaire. Le deuxième rend opérationnel le Fonds d’aide aux médias en créant un comité de 12 membres chargés de sa gestion et qui est présidé par le président du conseil national de la communication ou son délégué.
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[1] La loi de 2003 doit énormément au Ministre de l’information de l’époque, Monsieur Albert MBONERANE. Après avoir participé personnellement aux états généraux de la communication puis à l’atelier de validation d’un avant-projet élaboré par les consultants Gérard Ntahe et le Sénégalais Abdou Latif Coulibaly, c’est lui qui a défendu le projet de loi en conseil des ministres. Il sera par après Ministre de la promotion de la bonne gouvernance en 2012, puis de la culture en 2017.