Historienne de l’art et en charge de l’Institut Français du Burundi depuis un an, la Directrice-déléguée de l’IFB Stéphanie Soleansky expose les défis de la scène artistique locale dans le contexte burundais.
De façon générale, quel bilan tirez-vous des activités de l’Institut Français du Burundi ?
Un certain nombre d’artistes confirmés sont partis, ce qui est dommage parce qu’ils représentaient des références pour les plus jeunes. Ce vide peut aussi être vécu comme une opportunité pour l’IFB de repérer de nouveaux talents, jusque-là peut-être cachés par les réalisations de leurs aînés. La scène théâtrale continue de fleurir à Bujumbura, de la Troupe Lampyre à la Compagnie Umushwarara, aux Enfoirés de Sanoladante, mais aussi des auteurs talentueux comme Marshall Mpinga-Rugano, dont le texte « Kivu » est sélectionné pour le Prix RFI théâtre 2016… Il y a aussi un fort intérêt pour la musique, ainsi qu’un certain nombre d’artistes très investis dans le slam, les danses urbaines ou la réalisation des documentaires. Tous ces jeunes se sont formés par eux-mêmes, et il leur manque parfois des bases solides pour accéder à un niveau de professionnalisation qui leur permettrait de voir leurs productions programmées dans des festivals à l’étranger. Et si cela arrive, cela reste minoritaire comparé à d’autres productions francophones, je pense notamment à l’Afrique de l’Ouest. Les artistes burundais se retrouvent en cela bien moins favorisés que d’autres artistes de la sphère francophone. Et pourtant les talents ne manquent pas.
Vous avez vécu le festival « Buja sans tabou », dont l’une des pièces est à l’affiche de la programmation de la rentrée artistique de l’IFB. Comment décrivez-vous la scène théâtrale burundaise ?
Il y a plusieurs compagnies de théâtre qui ont vu le jour ces dernières années, parallèlement au fort intérêt que suscite le théâtre, notamment en milieu scolaire et universitaire. Lorsqu’ on a accueilli « Buja sans tabou » fin février cette année, la bonne programmation du festival concoctée par la Troupe Lampyre a reçu un accueil très favorable du public : autour de 1.500 spectateurs en 3 jours. Les pièces jouées venaient des compagnies locales, mais aussi du Cameroun, du Burkina Faso ou de la RDC. Ensuite, l’IFB a accueilli en juin dernier 3 comédiens du Congo-Brazzaville en tournée africaine, qui venaient nous présenter trois œuvres, une sur Sony Labou Tansi et deux de Julien Mabiala Bissila, Prix RFI Théâtre 2014 (1) . Malgré la grande qualité de l’offre, j’ai été déçue de voir que la fréquentation était très basse, puisque nous avons eu moins de 40 spectateurs pour les deux jours. j’ai alors mené mon enquête pour comprendre les raisons de cet échec en termes de fréquentation ….
Quelles raisons avancées pour expliquer ce phénomène ?
On m’a dit que c’était principalement parce que les spectacles étaient payants. Pour autant, lorsqu’on programme des pièces des compagnies burundaises, on remplit quasiment la salle. Et puis, j’ai très peu vu les membres des jeunes compagnies, dont je parlais au début. J’en suis venu à la conclusion qu’il y avait un manque de curiosité à l’égard d’artistes étrangers, ce qui est vraiment dommage parce que les trois artistes de juin étaient en tournée dans 11 pays d’Afrique. Ils apportaient beaucoup d’expérience, un réseau solide de connaissances et de recommandations dans le milieu, et leur contact avec la scène burundaise aurait grandement profité aux artistes locaux. Et puis, inviter des spectacles de l’étranger, cela demande un budget important, de l’organisation derrière, en espérant que l’IFB joue pleinement son rôle de fenêtre du Burundi sur la création artistique française, francophone, et plus généralement sur le monde… Malgré tout, nous étions très heureux d’ouvrir la saison de la rentrée avec une pièce de la Troupe Lampyre, Kebab, dont la mise en scène est assez audacieuse.
Quelle suite avez-vous réservé au peu d’enthousiasme pour les artistes étrangers ?
L’IFB a décidé de mettre en place un dialogue avec les compagnies et les artistes en général pour les inviter à s’ouvrir sur les productions artistiques étrangères. Certains artistes ont la chance de voyager, et je sais que leur travail se nourrit de ces rencontres hors-Burundi, et cela s’en ressent clairement dans leur travail artistique. Pour ceux qui ne peuvent pas voyager, c’est extrêmement important de s’ouvrir sur les autres, à la fois par les ouvrages sur l’art ou des textes de théâtre, et c’est à l’IFB d’avoir toute cette documentation à la disposition des artistes. L’objectif est d’enrichir la culture théâtrale locale, avec la création d’une vraie émulation par la découverte des œuvres d’auteurs africains qui vivant parfois des situations proches de celles du Burundi, peuvent d’autant mieux inspirer nos jeunes auteurs.
Comment traitez-vous les demandes de présentation de pièce à l’IFB ?
En général, quand des artistes veulent se produire ici, nous demandons à lire la pièce qu’ils vont présenter. C’est dans leur intérêt, et dans le nôtre, que ce qui est mis en scène à l’IFB soit de qualité, tant du point de vue du texte que la mise en scène que du jeu d’acteur. J’invite certains auteurs à retravailler les textes qu’ils nous présentent, à les enrichir pour une plus grande originalité dans leur manière d’aborder un sujet. C’est la même chose qu’en ce qui concerne l’écriture des nouvelles, ou de poésie. Souvent, le constat est que la plupart des auteurs ne lisent pas ou pas suffisamment, en tout cas manque des références qui pourraient grandement enrichir leurs productions artistiques. L’IFB est présent pour les conseiller, pour les emmener plus haut et plus loin, notamment avec Culturethèque, notre bibliothèque numérique en ligne, ou notre médiathèque, sur le théâtre, la danse, le cinéma, etc. La faible présence sur place d’artistes expérimentés produit un manque de référence pour les plus jeunes.
Un dernier mot justement sur les usagers de la médiathèque ?
A l’IFB, on s’aperçoit que les scolaires (primaire et secondaire) sont les plus nombreux à venir, et nous sommes heureux de recevoir bientôt un nouveau fonds de près de 1.500 livres pour répondre à cet intérêt de la jeunesse pour la lecture. La tranche d’age de 18-30 ans viens à la médiathèque pour les ouvrages ou lectures en lien avec leurs études, mais aussi pour le Wifi. Ce qui est dommage, ce qu’ils perdent le goût de la lecture-loisir, et ne reviennent plus à la médiathèque après leurs études. Personnellement, j’aimerais leur faire retrouver le goût de la lecture.
A l’ère d’Internet et des réseaux sociaux, cette baisse de l’intérêt pour la lecture-loisir n’est pas le propre du Burundi. Pensez-vous réussir ce défi ?
C’est vrai, et je suis très optimiste. L’IFB a rouvert ses portes le 1er septembre après un mois de rénovations, et nous avons eu le plaisir de voir que trois quarts des nouveautés ont déjà été empruntés. Ceux qui lisent des romans devraient profiter de l’IFB pour partager leurs coups-de-cœur, et nous allons lancer cet espace de partage. Enfin, j’ai proposé à un certain nombre d’artistes qui fréquentent l’IFB de s’engager dans une aventure commune de découverte des œuvres d’ailleurs, que cela soit dans le théâtre, la danse ou la musique, et j’ai immédiatement reçu de l’intérêt. C’est Margaret Mead qui disait en substance que c’est par la rencontre avec l’Autre que naît la créativité.
____________________
(1) http://www.jeuneafrique.com/mag/278925/culture/theatre-en-france-julien-mabiala-bissila-continue-de-porter-lhistoire-du-congo/