Avant son départ, l’ambassadeur Smets dresse un bref bilan politique et diplomatique de ses quatre ans au Burundi. Il parle également de ce qui l’a marqué, de ses bons et mauvais souvenirs.
<doc4831|right>{Qu’est-ce qui vous a marqué sur le plan politique et diplomatique ?}
C’est difficile de résumer cette période en peu de temps. Je suis très content de clôturer mon mandat au Burundi, avec cette date symbolique du 2 juillet, du cinquantenaire de l’indépendance du Burundi. Le fait que j’ai pu participer à ces cérémonies avec une grande délégation belge était, pour moi, très important. Une autre chose qui m’a marqué, c’est le processus électoral de 2010. C’était à la fois délicat et un exercice démocratique difficile. Nous étions de plus en plus impliqués en tant qu’observateurs internationaux, comme ami du Burundi et en tant que communauté internationale. Je dois dire que ça a été très significatif pour moi, le jour où le FNL a décidé d’arrêter la lutte armée et de devenir un parti politique. Je profite de la fin de mon mandat pour lancer un appel à toutes les personnes qui sont d’obédience FNL, d’être dans le pays et de reprendre la vie politique normale et d’intégrer aussi les institutions. Une période électorale cruciale, qui s’est globalement bien passée même si le pays a connu des complications après.
{Lesquelles ?}
Un événement que j’ai trouvé très pénible et qui m’a choqué, c’est [le carnage de Gatumba->www.iwacu-burundi.org/spip.php?article900]. Je n’oublierai jamais le jour où tout le corps diplomatique, le lendemain du massacre, était invité à aller sur place où les corps gisaient encore sur le sol. Nous étions tellement choqués. […] C’était un chapitre sombre et noir et personne n’a envie de recommencer avec ces genres de tueries. Le fait aussi qu’on a toujours des[ assassinats ciblés dans ce pays me marque beaucoup->www.iwacu-burundi.org/spip.php?article2588]. En tant qu’être humain et en tant qu’ami du Burundi, ça fait mal. Il faut absolument que les Burundais dépassent d’urgence ce genre de choses.
{A votre avis, dans quels secteurs le Burundi a le plus avancé ? }
En ce qui concerne la paix ethnique, ce pays m’impressionne beaucoup. Je viens de passer quatre ans au Burundi. J’ai reçu des visites individuelles dans mon bureau et je n’ai jamais reçu de personnes qui me disent : "M. l’ambassadeur le grand problème ici, c’est la tension entre les ethnies." Jamais. Je sens que vous Burundais et surtout les jeunes, vous êtes en train de dépasser cela et c’est une avancée très importante. Je trouve aussi un certain changement de mentalités surtout auprès des jeunes qui deviennent de plus en plus des citoyens de la région et du monde, qui se modernisent très rapidement. Cela me plait énormément. Je vois aussi qu’on s’occupe de tout ce qui est de la lutte contre la pauvreté. J’ai été, souvent, à l’intérieur du pays et j’ai visité chaque province ; il y a des efforts sérieux qui sont faits dans ce sens. Je pense que cela tarde encore un peu trop au niveau de la bonne gouvernance.
Mais de l’autre côté, j’ai l’impression qu’il y a toujours des réseaux que je qualifierais de "mafieux" qui résistent toujours à la lutte contre la corruption et la bonne gouvernance. Il y a des résistances qui ont même des influences ici et là. Je voudrais, à la fin de mon mandat, demander à la classe politique et au sommet de l’Etat d’avoir le courage de démanteler définitivement ces réseaux qui font du tort à l’avenir du Burundi et à l’image normale de ce pays, d’être impitoyables envers eux, car ils ne devraient pas avoir un avenir dans un pays normal.
Quels sont les dossiers les plus urgents que vous laissez à votre successeur ?
Je crois que mon successeur va trouver beaucoup de dossiers, bien sûr, bilatéraux qui sont en rapport avec la justice. Les différends qui existent par rapport aux citoyens belges qui ont été victimes du mauvais fonctionnement de l’Etat de droit.
D’abord je vais lui dire : « Prenez un peu de temps !» Il faut comprendre ce pays et ses mentalités, il ne faut pas agir dès le 1er jour. Écoutez ces gens ! Ensuite, je vais lui dire : « Respecter les gens ici !» J’ai constaté de la sagesse où je vais et parfois parmi les gens les plus simples qui ne connaissent pas le français, quand on me traduit ce qu’ils disent, des paysans, des femmes très simples, … Je vais demander qu’il écoute d’abord, peut-être pendant six mois, et après, commencer à agir. Je vais lui demander aussi d’être présent partout, d’aller dans des manifestations politiques, d’être témoin, puis de contribuer à un meilleur fonctionnement d’un État de droit. Enfin, je crois qu’au niveau de la justice et de la gouvernance, il y a du travail à faire. Je vais demander que l’ambassade de Belgique et mes collègues des ambassades continuent à s’impliquer justement dans ces deux domaines.
{Quel message laissez-vous à la classe politique burundaise ?}
Tolérance vis-à-vis des autres et flexibilité. Un homme et une femme politique doivent parvenir à des compromis. Si vous restez sur vos positions dures, que vous croyez que vous seuls avez raison et que tous les autres n’ont pas raison, ce n’est pas de la politique, c’est du dogmatisme. Il faut savoir conclure des compromis. Il faut utiliser chaque occasion pour vous parler. Ces derniers mois, j’ai participé à des manifestations des partis [Cndd-Fdd->www.iwacu-burundi.org/spip.php?article2369], [MSD->www.iwacu-burundi.org/spip.php?article2914] et [Sahwanya Frodebu->www.iwacu-burundi.org/spip.php?article3317], et je me suis parfois demandé où étaient les représentants des autres partis et ceux du camp opposé. Il faut qu’on soit présent symboliquement et qu’on se parle. C’est vraiment quelque chose que je voulais dire à la classe politique burundaise.
{Quelle image avez-vous de la presse et la société civile burundaise ? Les forces et les faiblesses…}
Nous sommes impressionnés par le dynamisme des médias et de la société civile. Tout diplomate au Burundi peut confirmer que les médias et la société civile sont des acteurs très dynamiques et le pays doit s’en réjouir. […] Ce que je vais dire, en général, aux médias et de la société civile : « Méfiez-vous des rumeurs. Elles sont parfois utilisées pour falsifier les informations correctes. » Soyez stricts pour vérifier les informations qu’on vous donne, ne vous laissez pas entrainer dans un discours totalement négatif. Il y a dans ce pays deux choses qui nous préoccupe […] : « Essayer de faire la balance entre une critique constructive et un rôle de mettre en question ce qui se passe. » Il faut être vraiment bien équilibré.
{Quid des souvenirs au Burundi?}
Les mauvais souvenirs. Il y a premièrement [cette peine qu’on prononce contre un ami que je respecte beaucoup, Faustin Ndikumana->www.iwacu-burundi.org/spip.php?article3304], qui tient un discours tellement constructif. Il y a un discours qui n’a pas plu à un ministre et on le condamne pour ça à 5 ans de prison. Moi, je l’ai dit, nous sommes au 21ème siècle, ce genre d’approche n’est pas vraiment moderne. Il faut sortir très vite de façon élégante de ce dossier qui n’apporte que du tort à l’image de ce pays.
Un autre, plus personnel, en 2008 quand on a voté cette loi qui pénalise l’homosexualité, j’ai été assez choqué et même blessé par les paroles tenues par certains hommes politiques de ce pays. Là, il y a eu vraiment une mauvaise compréhension et les paroles qui ont été utilisées à ce moment là m’ont blessé.
Pour les souvenirs positifs qui sont vraiment trop nombreux, c’est d’abord la joie que j’avais, chaque fois que j’allais à l’intérieur du pays. Je voyais le bonheur de la population quand on inaugurait un projet de développement. Les hommes, les enfants et surtout les femmes. Je crois qu’elles sont très courageuses dans ce pays. On a pu être témoin que le peuple burundais reprend son souffle.
Ensuite, c’est de trouver toujours des gens de bonne qualité à tous les niveaux, très discrets, qui ne disent rien et qui, d’un coup, viennent chez moi et commencent à donner leur analyse de l’opinion et je me suis dit : « J’ai totalement sous-estimé cette personne. » Des hommes sages sont nombreux dans n’importe quel milieu.
Un autre souvenir très important, la population, à tous les niveaux, veut se concentrer aux travaux de développement et veut faire du business.