Obligés de prendre le chemin de l’exil avec leurs parents et regagner leur mère patrie avec leurs familles, certains écoliers et élèves se retrouvent obligés de s’adapter vite à leur cursus scolaire en montagnes russes.
Ils sont nombreux à rentrer aux côtés de leurs parents dans différents convois du HCR, que ce soit au poste frontalier de Nemba-Gasenyi pour ceux qui étaient au camp de Mahama au Rwanda ou au poste frontalier de Mugina en provenance des camps des réfugiés burundais à l’ouest de la République unie de Tanzanie.
Des questions se posent quand il faut reprendre le chemin de l’école, souvent le cursus scolaire de ces écoliers et élèves est tronqué parce que le rapatriement n’attend pas la fin de l’année scolaire tout comme le départ en exil.
Ces jeunes gens sont contraints de prendre le train en marche et c’est là que les difficultés commencent à se faire sentir mais ce n’est pas au même degré et c’est selon le pays d’exil.
Les plus défavorisés sont des écoliers et des élèves en provenance du Rwanda. Tout bascule pour eux. Il faut parler le kirundi, la langue nationale au lieu du kinyarwanda, la langue d’adoption présentant quelques similarités avec le kirundi.
Et ce n’est pas tout comme problème linguistique. Il faut ranger la langue de Shakespeare adoptée comme langue d’enseignement au Rwanda et se mettre à la langue de Molière privilégiée au Burundi.
Un passage qui n’est pas aisé comme l’explique Sandrine Irankunda rencontrée à l’Ecofo Rusarasi à Busoni au nord du Burundi. Elle a dû reculer de classe pour mieux sauter ou avancer, elle était en Senior III, l’équivalent de la 9ème au Burundi, une classe à test.
« Le français me donne du fil à retordre »
« Ici c’est le français, là-bas j’étudiais en anglais et vous comprenez bien que je ne suis pas habituée à la langue française. Et en 9ème, il y a un concours national et je ne pense pas que je réussirai sans avoir bien assimilé ces matières. Le français me donne du fil à retordre de même que le Kirundi parce qu’il n’y a pas ces matières là-bas ».
Par rapport au Rwanda, souligne cette jeune rapatriée, ce qui change, c’est la langue, sinon les maths, la technologie, c’est pareil, là-bas, c’est enseigné en anglais et ici c’est français.
Les difficultés se font sentir également chez les écoliers, il y en a qui sont nés au Rwanda, ils doivent apprendre le kirundi et le français pour être au même niveau que les autres écoliers.
Selon Célestin Nsengiyumva, maître responsable de l’Ecofo Nyabugeni, dans la commune de Busoni, il y a eu des réajustements pour que les écoliers rapatriés soient au même niveau que les autres.
« Il y a eu harmonisation, par exemple des écoliers rapatriés qui étaient en 4ème année ont été placés en 3ème année pour qu’ils soient au même niveau que les autres dans le programme en vigueur au Burundi ».
Et de faire une confidence : « Nous avons quelques difficultés dans le cours de kirundi parce que là-bas ils étaient habitués à l’anglais alors qu’ici nous enseignons en kirundi et en français, ce qui leur pose un problème d’adaptation et nous devons fournir beaucoup d’efforts pour leur inculquer le kirundi ».
Les quelques écolières rapatriées aperçues en classe en train de suivre les cours ne portent pas encore l’uniforme kaki du Burundi, elles arboraient l’uniforme du Rwanda : une chemise blanche, un tricot bleu, une jupe verte.
« Avec 5 ans d’exil, certains élèves perdent 4 ans »
Le directeur communal de l’enseignement à Busoni rencontré à l’Ecofo Rusarasi au nord du Burundi plaide pour plus d’encadrement des élèves rapatriés pour qu’ils puissent suivre convenablement les cours.
Selon Gordien Sirabahenda, il y a des organisations qui apportent un appui pour que ces élèves rapatriés puissent s’imprégner du système éducatif burundais. Après les cours, fait-il savoir, il y a quelques enseignants formés qui encadrent ces élèves rapatriés en leur donnant des cours de renforcement.
Selon lui, les difficultés, c’est pour les élèves rapatriés du Rwanda, qui doivent se mettre au Kirundi et au français. « Ceux qui viennent de la Tanzanie n’ont pas de problème parce qu’au camp, ces élèves suivent le programme burundais ».
Cap vers le sud du Burundi, le directeur communal de l’enseignement à Kayogoro dans la province de Makamba, Jean-Paul Hacimana évoque un tout autre problème : des élèves rapatriés qui n’ont pas tous les bulletins. « Souvent nous privilégions le bulletin de niveau supérieur pour pouvoir caser ces élèves ».
Pour le directeur de l’ONG locale Rema Burundi, qui mène des recherches sur les déplacements forcés, pas mal d’élèves rapatriés sont découragés. Le Dr Théodore Mbazumutima, plaide pour des cours de renforcement afin que ces élèves rapatriés ne soient pas un fardeau pour les écoles qui les accueillent.
Au vu des circonstances traversées, explique-t-il, ces élèves rapatriés ont un niveau très bas et très peu de directeurs les acceptent parce qu’ils vont à coup sûr chuter le pourcentage de l’école, ce qui expose ces directeurs aux sanctions pour non performance.
« Les directeurs d’école perçoivent ces élèves rentrés d’exil comme une source de la chute de la moyenne de l’école, ce qui les affecte directement. C’est une question à résoudre dans les plus brefs délais ».
Selon ce chercheur sur les questions des déplacements forcés, l’adaptation aux différents systèmes éducatifs fait perdre aux élèves et écoliers rapatriés un temps précieux.
Dans les pays d’exil, ils sont rétrogradés, et quand ils rentrent au pays, c’est le même sort : en 5 ans d’exil, fait savoir le Dr Théodore Mbazumutima, ils peuvent facilement perdre 4 ans.
C’est le cas de Gérard Butoyi, un jeune rapatrié rencontré au site de Kibonde dans la commune de Busoni. Il n’a pas pu poursuivre ses études et les affaires ne marchent pas non plus.
Un rêve brisé
Rentrée au pays après avoir mené une vie d’errance dans tous les camps des réfugiés burundais en Tanzanie, la famille d’Imelde Sabushimike, jeune adolescente qui voudrait reprendre le chemin de l’école, n’en finit pas de vivre le calvaire.
Quelques jours après avoir loué une maisonnette de fortune dans le village de Gatabo, en commune Kayogoro de la province Makamba, cette famille rapatriée, sans terres et sans références, perd son pilier : le père est renversé par une moto. La descente aux enfers commence pour cette famille. La mère est obligée d’aller cultiver pour avoir de quoi nourrir sa famille.
Imelde, fille aînée se trouve partagée entre l’école et la préparation des repas pour ses petits frères et sœurs car sa mère passe des journées entières dans les champs.
Elle finit par laisser tomber ses études, elle se retrouve quelques fois obligée de prendre la houe, offerte dans le paquet retour, pour aider sa mère dans les travaux champêtres.
Interrogée, c’est avec regret et les larmes dans la voix qu’elle confie que son rêve était de devenir médecin, soigner des gens, soulager leur douleur, les voir recouvrer leur santé, leur vie, les voir naître, renaître. « J’avais la volonté d’aller étudier mais sans argent, sans matériel scolaire, sans uniformes, pour moi et pour mes petits frères et sœurs, mon rêve s’est évanoui ».