Dans son livre Les Identités meurtrières, Amin Maalouf s’interroge sur ce que signifie le besoin d’appartenance collective, qu’elle soit culturelle, religieuse ou nationale. Dans la vallée de Nyambeho, séparant les communes Gitega et Giheta, un monument vient d’être érigé. Il est écrit en grands caractères : « Site mémorial du génocide des Hutu de 1972 avant et après. » Curieusement, personne ne veut assumer la responsabilité et le revendiquer. Pourquoi ?
Il existe une autre association qui s’insurge contre le génocide des Tutsi. Pourtant, personne, même la Commission Vérité et Réconciliation (CVR), n’est compétent pour qualifier les actes de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre. Seule l’Organisation des Nations Unies en a la prérogative.
« L’enfer c’est les autres», dixit Jean-Paul Sartre. Les crises cycliques qu’a connues le Burundi sont dues, en grande partie, à l’expression haineuse, collective en apparence, de rejet de l’autre ethnie. On stigmatise ses membres, les rabaisse, avant de les tuer. Jacques Sémelin, dans Purifier et détruire décrit la situation : « Cet Autre en trop est bien sûr qualitativement différent de nous : il n’a pas le même sang que nous, ni les mêmes mœurs ; il n’a pas le même nez ou la même corpulence ; il est plus grand ou plus petit… » Mais au fond, il s’agit d’un petit groupe de gens qui manipulent le reste pour arriver à leurs intérêts inavoués. Comme le souligne le président de la CVR, «toutes les communautés ethniques ont été victimes de leurs identités et cela dans toutes les crises. » Il faut se dépasser, avoir de l’empathie pour l’autre, reconnaître ses souffrances.
La crise burundaise est profonde. Il y a encore des plaies béantes qu’il faudrait cicatriser. Certes, honorer la mémoire des siens, victimes du massacre est un droit, voire un devoir. Mais ériger des monuments, installer des sites mémoriaux, qualifier les crimes, requièrent des procédures légales. L’Accord d’Arusha spécifie que c’est la CVR qui « fait la lumière et établit la vérité sur les actes de violence graves commis au cours des conflits cycliques qui ont endeuillé le Burundi de l’indépendance à sa signature, qualifie les crimes et établit les responsabilités ainsi que l’identité des coupables et des victimes. »
Ceux qui nous gouvernent sont appelés à être vigilants, décourager tous ceux qui s’arrogent le droit d’empiéter sur les attributions des institutions légalement connues. Surtout lorsqu’il s’agit de mémoire collective. Ils doivent réguler pour la cohésion sociale. Comme le dira Paul Ricoeur « L’idée d’une politique de la juste mémoire est un de mes thèmes civiques avoués. »