Alors que l’État rend la Carte d’Assurance maladie (CAM) obligatoire pour tous les adultes sans couverture médicale, à Gitega, l’accès à cette carte est devenu un véritable parcours du combattant. La carte est devenue un objet de frustration, d’exclusion et de marchandage.
L’initiative avait suscité de l’espoir. Le 31 mars 2025 avait été annoncé comme date butoir pour acquérir une carte d’assurance maladie pour tout le monde. Ce papier est devenu de plus en plus rare. Présentée comme un outil de justice sociale, cette carte, officiellement accessible au prix de 3 000 francs burundais, devait permettre à chaque citoyen de se faire soigner à un coût abordable. Mais, sur le terrain, cet outil est devenu un bien rare et presque inaccessible.
Selon de nombreuses personnes interrogées dans la ville de Gitega, il est inutile de se diriger vers un centre de santé le plus proche pour l’acheter. A chaque fois, c’est la même réponse : « Revenez la semaine prochaine. Le stock s’est épuisé. » La situation devient critique surtout pour les travailleurs informels, les mères célibataires, les jeunes sans emploi ou les personnes âgées qui deviennent des laissés pour compte.
Nadine Iradukunda, vendeuse de fruits au marché central de Gitega raconte son désespoir. « J’ai fait la file d’attente devant le Centre de Santé de Gitega pendant trois jours . On nous a dit qu’il n’y avait plus de cartes disponibles. Une voisine m’a confié que c’est peine perdue puisque ce sera toujours la même réponse »
Jean-Marie Basabose, maçon de 47 ans, abonde dans le même sens. Il affirme avoir abandonné toute démarche de l’acheter. Pour lui, perdre toute une semaine en allant faire la queue lui coûte énormément du temps et de l’argent.
« Je suis obligé de choisir entre manger et me faire soigner. Si je ne suis pas en ville pour aller chercher du travail pendant une journée, c’est toute la semaine qui est perdue. J’ai laissé cette affaire à ma femme mais là aussi les travaux domestiques prennent du retard », a-t-il indiqué.
Une aubaine pour certains
Dans les quartiers populaires, ce qui devait être une recette pour le bien commun est devenu une aubaine pour certains. Les chuchotements des couloirs sont explicites : des agents de santé communautaires cacheraient les cartes pour les donner à leurs connaissances ou à ceux qui paient beaucoup plus pour accélérer le processus d’obtention. Plusieurs habitants affirment que l’accès à la carte d’assurance dépend désormais des relations personnelles voire des pots-de-vin.
Inès Irankunda, étudiante dans une université de la place confie avec amertume : « Quand je suis allée m’inscrire, on m’a dit que les cartes étaient en rupture. Pourtant, un camarade m’a dit qu’en passant par un intermédiaire, il l’a eue le lendemain à 10 000 FBu. Je n’y ai pas cru. Mais, aujourd’hui, je réalise que je suis la seule à ne pas avoir la carte ».
Certains se rendent jusqu’à Muramvya, Rutana ou Ngozi pour tenter leur chance. Là aussi, les abus sont fréquents. La carte, censée coûter 3 000 FBu, est désormais négociée comme un produit de luxe. Elle alimente un véritable marché parallèle.
Numériser le système
Face à cette réalité accablante, les autorités persistent à affirmer que les cartes sont disponibles. Au Bureau provincial de la santé et au District sanitaire de Gitega, on répète que la distribution suit son cours normal. Ces déclarations paraissent toutefois totalement déconnectées de la réalité vécue par les habitants. Il n’existe à ce jour aucun mécanisme public pour recueillir les plaintes ni aucune transparence sur les quantités distribuées.
« Moi, je les comprends parfaitement car ils font le travail de bureau. Peut-être qu’ils regardent seulement le nombre de cartes distribuées et vendues et pensent que c’est la population des alentours qui les achète », déplore Moïse Nduwimana de Nyabututsi tout en suggérant la numérisation du système. Ce qui permettrait un meilleur suivi et une traçabilité des demandes.
D’après lui, pour se rendre à l’évidence, il faut d’abord vérifier les noms des personnes qui les ont obtenues. Ils seront surpris de trouver que beaucoup viennent des autres districts sanitaires. Selon plusieurs habitants de la ville de Gitega, cette situation soulève une question de fond : « la santé est-elle encore un droit pour tous, ou est-elle devenue un luxe réservé à une élite ? »
Des citoyens de Gitega, déjà confrontés à une inflation galopante et à un pouvoir d’achat en chute libre, voient leurs droits fondamentaux bafoués. Sans couverture médicale, les consultations sont inaccessibles. Un simple examen peut coûter plusieurs jours de salaire.
Et quand vient l’hospitalisation, les familles sont souvent contraintes de vendre des biens ou de s’endetter. La seule peur qui les hante jusqu’ici, c’est que cette carte a été déclarée obligatoire.
« La police ne sera-t-elle amenée à nous la demander comme elle le fait souvent pour les cartes nationales d’identité ou les cahiers de ménage pendant les fouilles ? », se demandent- ils.
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