Alors que le Burundi s’apprête à commencer le recensement général de la population, de l’habitat, de l’agriculture et de l’élevage, les agents recenseurs sont confrontés à de nombreux défis qui suscitent des doutes sur la fiabilité des données collectées.
Initialement prévu pour le 16 août, puis reporté à deux reprises, le recensement général de la population, de l’habitat, de l’agriculture et de l’élevage au Burundi, lancé par l’Institut National des Statistiques du Burundi (INSBU) à l’initiative du gouvernement burundais, n’a toujours pas débuté au 27 août. Ce recensement, dont le coût global est estimé à 75 milliards de FBu, vise à fournir des données fiables pour soutenir les projets de développement et répondre aux besoins de la population. Il sera entièrement digitalisé.
Les multiples reports et le retard accumulé jettent un doute sur la transparence et la rigueur de cette opération censée fournir des données fiables sur la population, l’agriculture et l’habitat du pays. Les témoignages d’agents recenseurs en poste dans diverses provinces du pays (Makamba, Gitega, Mwaro, Cibitoke) convergent vers un constat alarmant: les conditions de travail difficiles mettent en péril la qualité des données collectées.
Un agent de recensement de Makamba, située dans la nouvelle province de Burunga, explique : « J’ai des doutes quant aux résultats de ce recensement. Il est inconcevable qu’un agent recenseur doive parcourir des distances aussi importantes, entre Kibago et Kayogoro, ou entre Nyanza-Lac et Mabanda, avec un budget dérisoire de 10 000 FBu pour couvrir ses frais de restauration et d’hébergement. Cette disparité entre les tâches à accomplir et les moyens alloués rend la mission extrêmement difficile et compromet sérieusement la qualité des données collectées. »
Les critiques sont nombreuses. « Nous ne recevons ni quoi manger ni où dormir, chacun se débrouille. Après avoir signé le contrat, ils nous ont promis une avance de 220 mille sur nos comptes, mais nous n’avons reçu aucun billet, même les 10 mille de frais de déplacement », déplore un autre agent recenseur.
Malgré l’existence de contrats signés, certains agents recenseurs contestent la répartition des risques et des responsabilités. L’article 10, qui exclut toute couverture d’assurance pour les agents, est particulièrement pointé du doigt. Me Jacques Bitababaje fait remarquer que « les agents recenseurs n’ont pas signé un contrat de travail, mais plutôt un contrat de prestation de services. Le prestataire peut souscrire sa propre assurance, cotiser à l’INSS et, s’il y a lieu, payer lui-même l’impôt sur ses revenus ». Selon lui, leur contrat est conforme au Code du travail en vigueur.
Depuis son indépendance en 1962, le Burundi a connu trois recensements de la population, en 1979, 1990 et 2008. En 2024, le Burundi s’apprête à vivre un événement sans précédent : un recensement général de la population incluant l’agriculture et l’élevage. Cette initiative, présentée comme un simple état des lieux, revêt en réalité une dimension politique significative. En effet, derrière cette opération statistique se cache une volonté affichée de redorer le blason d’un pays longtemps associé à la pauvreté et à l’instabilité.
Le 16 août 2024 dans la province de Gitega, les autorités burundaises, par la voix de leurs ministres, notamment Prosper Dodiko, Ministre de l’Agriculture, de l’environnement et de l’Élevage, ont affirmé sans détour que ce recensement permettra de « montrer la véritable image du Burundi et de réfuter les faux rapports sur la pauvreté, que nous entendons tous les jours, que le Burundi est le pays le plus pauvre. Beaucoup ignorent que le paysan qui mange ce qu’il cultive n’est pas pauvre parce qu’il n’a pas acheté ces haricots et ces bananes. »
Le président du sénat burundais semble lui aussi souscrire à cet avis, affirmant que ce recensement est « indispensable pour évaluer précisément les richesses du Burundi. » Ce recensement apparaît ainsi comme une véritable partie de poker politique. En mettant en avant les richesses agricoles et d’élevage du pays, le gouvernement cherche à dessiner un nouveau portrait du Burundi, plus prospère et plus dynamique. C’est une manière de contrer les critiques internationales et de renforcer la légitimité du régime en place.
Malgré le lancement officiel du recensement, une large part de la population, notamment dans certains quartiers de la Mairie de Bujumbura, semble méconnaître les objectifs et le déroulement de cette opération. « Nous sommes inquiets sur le déroulement de ce recensement. Jusqu’à maintenant, il y a des personnes qui ne savent pas s’il y aura un recensement de la population et ils ne connaissent pas son importance. Il devait y avoir plusieurs sensibilisations à la population. Nous restons avec des questions sans réponse. Quelle est la plus-value? Pourquoi vont-ils nous demander nos propriétés alors que le recensement est pour les habitants », s’interroge un habitant de Kamenge, reflétant le sentiment de nombreux autres.
Dans la zone voisine de Mutakura, les mêmes interrogations fusent. Jeanne, rencontrée sur le terrain, exprime sa surprise : « Je ne le savais même pas. Au fait, je suis même étonnée. Heureusement que je viens de l’apprendre, sinon je n’en savais rien. Je pense qu’il y a eu manque de communication sur ce recensement. Dans les années passées, on entendait même des chansons en rapport avec le recensement, mais pour le moment, il n’y en a pas. »
Joseph, un homme d’affaires, soulève un autre problème : « Est-ce que les résultats de ces recensements seront réels? Quid des personnes qui ont du boulot, est-ce qu’ils vont nous rencontrer sur nos lieux de travail? Par exemple, moi je sors de chez moi à 5 heures du matin et je reviens à 22 heures, quand est-ce que je vais me faire enregistrer? À moins que les agents me trouvent sur le lieu de travail. »
Le ministre de l’Intérieur, Martin Ninteretse, lors d’une conférence de presse du 7 mai 2024, a souligné que « le recensement général serait entièrement digitalisé, grâce à la distribution de plus de 20 000 tablettes aux agents recenseurs. Cette digitalisation permettra de constituer une base de données précise et exhaustive, indispensable à la planification du développement. » « Nous ne pouvons pas nous permettre d’erreur» , a-t-il insisté, rappelant que les résultats du recensement préliminaire indiquaient qu’un agent recenseur couvrirait environ 1 000 à 1 200 ménages en milieu urbain et entre 800 et 1 000 ménages en milieu rural.
Malgré plusieurs tentatives pour obtenir des éclaircissements sur les problèmes soulevés, Nicholas Ndayshimiye, directeur général de l’Institut National de la Statistique au Burundi, est demeuré injoignable. La FAO et l’UNFPA sont les principaux partenaires du gouvernement burundais pour ce recensement.
Depuis son indépendance en 1962, le Burundi a mené trois recensements généraux de la population et de l’habitat, en 1979, 1990 et 2008. Le premier recensement, en août 1979, a marqué une étape cruciale pour le pays. À l’époque, le Burundi comptait environ 4 millions d’habitants, répartis principalement dans les zones rurales. L’objectif de ce recensement était de fournir des données précises pour mieux planifier les politiques publiques. Cependant, la couverture des recensements administratifs précédents, réalisés annuellement, était jugée de qualité limitée, et des enquêtes démographiques antérieures avaient révélé des lacunes importantes. Le recensement de 1979 a donc été essentiel pour corriger ces déficiences et pour offrir une base plus solide aux estimations démographiques.
Le deuxième recensement, en 1990, a permis de recenser 5 356 266 habitants. Ce recensement a renforcé la capacité du gouvernement à planifier des politiques de développement, bien que des défis persistent, notamment en termes de logistique et de mobilisation des ressources pour un recensement national.
Le recensement de 2008 a été le plus complet à ce jour, révélant une population de 8 053 574 habitants. En plus de la simple comptabilisation, il a permis de dresser un tableau détaillé de la structure démographique, économique et sociale du pays, facilitant ainsi l’élaboration de politiques publiques mieux ciblées.
Le recensement n’est qu’une compilation statistiques des données pour permettre la planification des projets de développement dans un pays. Il peut effectivement démontrer tout à la fois que le pays a des potentialités et/ou au contraire qu’il y a des lacunes .
Mais ici au Burundi, on veut lui faire jouer un rôle politique à savoir démontrer à tout prix que les burundais sont riches. Ce qui ni moins ni plus correspond à l’objectif des politiciens qui veulent s’en servir comme un argumentaire fondamental pour gagner des votes lors des prochaines élections.
On peut truquer les élections par toutes sortes de manipulations ou promesses irréalisables. C’est à mon avis les mêmes méthodes qu’on veut appliquer au recensement. En y ajoutant le fait que l’organisation matérielle est lacunaire. Nous sommes habitués aux contestations des élections; la contestation des résultats du recensement n’est pas loin. Si on n’y prend pas garde.