Le président Pierre Nkurunziza est mort lundi 8 juin à l’hôpital de Karuzi. Jeune et sportif, sa mort a pris tout le monde de court. Au regard des réactions des uns et des autres, sa mort nous aura montré à quel point la société burundaise est très fracturée.
Par Egide Nikiza*
L’opinion du professeur Cishahayo m’a interpellé à plus d’un titre. Ce monsieur est universitaire, au Canada, un intellectuel très bien formé. Son analyse devrait laisser transparaître une certaine distance, une lucidité, une neutralité plutôt.
Mais il fait une lecture sélective de notre passé , il y a tout un pan de notre histoire qu’il évite soigneusement. Et cela m’attriste.
Certes, il reconnaît clairement les dérapages, les exactions commises sous le pouvoir du défunt président. Mais il les justifie par le passé. C’est à cause d’un « écosystème politique monstrueux. » Il exonère facilement les auteurs des crimes. Comme si leur responsabilité ne pouvait pas être engagée, car « ils ont été victimes dans le passé ». C’est un raccourci terrible.
Plus grave. J’ai lu ces mots terribles : «Certains d’entre eux devront demander à leurs pères, architectes de ce système, comment ils ont pu mettre en place dans ce pays une machine à tuer et à déshumaniser qui a fonctionné pendant des décennies avec une telle efficacité. » J’ai pensé à ce proverbe qui dit «umwana w’imbeba azira urwanko rwa nyina »( les Burundais comprendront).
Un jeune né en 1990 avait 25 ans en 2015. Il n’était pas encore né en 1972 et avait trois ans en 1993 lors de l’assassinat du président Ndadaye. Il n’a pas donc participé dans la construction de cet « écosystème » que dénonce le professeur.
Pourtant, l’universitaire qu’il est en arrive à inviter implicitement les enfants descendant des anciens dignitaires à demander pardon au nom de leurs géniteurs. Je ne crois pas qu’il ignore que la responsabilité pénale est individuelle.
Dès lors, il est légitime de se demander pourquoi les enfants répondront des crimes de leurs parents. Par ailleurs, jusqu’à présent ces « bourreaux » que le professeur Cishahayo semble avoir condamné avant la justice sont présumés innocents.
Autre point qui mérite l’attention. Le professeur fait un procès terrible à l’endroit des activistes des droits de l’Homme.
Il faut reconnaître que la société civile est très jeune au Burundi. Pendant de longues années, le pays était tenu par une main de fer par des régimes militaires.
Il faudra attendre les années 1990 pour voir émerger les « activistes. » On se souviendra des pionniers comme Eugène Nindorera, Melchior Ndadaye, Jean-Marie Ngendahayo et autres qui se battaient pour faire exister la Ligue Iteka. Parler des « droits de l’homme » en ces temps-là était risqué. Pourtant, aucun mot pour ce combat-là.
S’il est vrai que l’opinion du professeur Cishahayo relève plus de la morale quant à l’attitude que les Burundais de tous bords devraient adopter en ces temps de deuil, il est aussi clair qu’il laisse entendre à quel point le monopole de la souffrance est une réalité au Burundi.
La réflexion du professeur Cishahayo a le mérite de lancer le débat. Et tant mieux. Mais elle montre surtout que la fracture est profonde même au sein de l’élite intellectuelle. Il faudra un débat profond.
————————————————————————————————————————————————————–
*Diplômé en sociologie, Egide Nikiza est journaliste depuis 2016 à Iwacu où il est chef de service web, et blogueur chez Yaga. Actuellement en formation en science politique à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne (France)