Après les élections entachées d’irrégularités selon les observateurs internationaux et l’opposition, Joseph Kabila Kabange a prêté serment hier à Kinshasa. Aucune délégation européenne de haut niveau n’a fait le déplacement. Même du côté de l’Union Africaine, de la CEPGL ou de la SADC, seul le président MUGABE du Zimbabwe a brillé par sa présence. Après la prestation de serment devant la cour suprême qui s’était transportée à la Cité de l’Union Africaine, les invités ont eu droit à un défilé militaire comme lors des fêtes de commémoration des indépendances. Une démonstration de force du président mal élu ? Jamais lors de ces cérémonies le président Kabila n’a esquissé un seul sourire. Le visage était si sombre qu’on aurait parlé d’un enterrement…de la démocratie ! A Kinshasa, la situation était calme même si les partisans de l’opposant historique Etienne Tshisekedi wa Mulumba (essentiellement des femmes) manifestaient devant l’ambassade des Etats Unis d’Amérique pour réclamer l’intervention de la Communauté Internationale pour chasser Kabila du pouvoir. Le scénario catastrophique du Kenya entre Mwai Kibaki et Odinga va-t-il se répéter ? De l’autre côté, on ne peut pas comparer cette crise congolaise à la crise ivoirienne pour multiples raisons : Ouattara avait été proclamé vainqueur par la commission électorale, sa victoire avait été reconnue par les Nations Unies (organe reconnu par le président sortant comme unique instance habilitée à valider, en dernier recours, le verdict des urnes) et surtout, il disposait d’un soutien déterminant du côté des Forces Nouvelles. Un fauteuil, deux présidents ? <doc2447|left>Du côté de l’opposition, ce sont des sentiments mitigés. D’aucuns s’inclinent devant la raison du plus fort. D’autres comme Tshisekedi se gardent de donner les consignes de soulèvement populaire. Celui-ci se félicite d’ailleurs du boycott flagrant infligé au « fossoyeur » de la démocratie par ses homologues africains. Premier camouflet pour Joseph Kabila ? Kabila est accusé de hold-up électoral. Il a reconnu les irrégularités mais en a minimisé l’ampleur. Tshisekedi s’est basé sur les résultats obtenus à partir des procès verbaux certifiés par les observateurs pour se proclamer président de la République démocratique élu. Il n’abandonne d’ailleurs pas son intention de prêter serment le vendredi prochain devant le peuple au stade omnisports de Kinshasa. Cette annonce fait planer sur la capitale la menace d’un soulèvement populaire et des violences monstres puisque les forces de l’ordre ont déjà pris position autour du stade pour l’en empêcher. On rappelle que bien avant la proclamation des résultats partiels par la commission nationale électorale indépendante, l’Eglise Catholique s’est précipitamment retirée du lot des observateurs. Plus tard, un prélat a déclaré aux médias que l’élection présidentielle était ni transparente ni crédible. Le centre Jimmy Carter qui a appuyé financièrement le travail des observateurs congolais a parlé d’élections bâclées et truquées en faveur du président sortant. Du côté de la Maison Blanche, la réélection de Joseph Kabila est qualifiée quasiment de fraude et Washington appelle au dialogue pour éviter à la RDC de sombrer dans le chaos. Après la proclamation des résultats définitifs par la cour suprême, Paris a déclaré prendre note et a appelé également au dialogue. Une façon diplomatique de pousser le président Kabila, même après sa prestation de serment, à privilégier les négociations avec l’opposition. Celle-ci étant alors invitée à revoir ses prétentions à la baisse pour conclure un accord dans l’intérêt du pays. Une fierté mise à l’épreuve <doc2449|right>C’est pour le moment le chaos qui est redouté par les Congolais. D’aucuns préfèrent d’ailleurs se mettre à l’abri de l’autre côté du fleuve, à Brazzaville. Etienne Tshisekedi a beau déclarer qu’un président démocratiquement élu n’appelle jamais son peuple à semer les troubles, l’échec de sa tentative de prestation de serment au stade risque de mettre le feu aux poudres. Il faut dire qu’il est loin d’être réconforté dans son entêtement par la position de l’Eglise Catholique et de la Communauté Internationale. Très récemment, le cardinal Laurent Monsengwo Passigna a sollicité une audience auprès du président Kabila sans succès. Il a été contraint de faire parvenir son message au président par le canal d’un conseiller spécial de ce dernier. Et le message consistait en une seule question : « Monsieur le Président, êtes-vous fier des résultats de l’élection ? » Par le même conseiller spécial Joseph Kabila a rétorqué : « Monsieur le Cardinal, êtes-vous fier du comportement de Tshisekedi ? » Et le Cardinal de répondre : « Je ne suis pas fier du comportement de Tshisekedi mais monsieur le Président, vous n’avez pas répondu à ma question ! » L’échange s’est terminé en queue de poisson. Reste à savoir si la puissante Eglise Catholique va en rester là. La démocratie du plus fort… En guise de conclusion, il est permis d’affirmer que la crise congolaise fait honte et donne tort à l’Afrique. Cinquante ans après l’indépendance, les dirigeants africains échouent lamentablement à organiser des élections libres et transparentes. Ils passent leur temps à se servir dans les caisses publiques au lieu de servir convenablement leur peuple. Ils se retrouvent pris à leur propre piège mais refusent de reconnaître leur déconfiture. Alors que les échéances électorales sont bien connues des années à l’avance, les budgets pour financer les élections doivent toujours venir de l’étranger. Et dire que les dirigeants africains ont une vision ! Et quand on parle de dirigeants, il faut aussi clouer au pilori les membres des commissions électorales qui, mutatis mutandis, cautionnent les folies de grandeurs des dictateurs au lieu de servir le véritable verdict des urnes. Dans le cas d’espèce, prôner la violence pour contraindre l’imposteur à quitter le pouvoir serait une erreur monumentale. Cinq ans dans la vie d’une nation, c’est rien mais il faut faire en sorte que les leçons soient tirées aussi bien pour les Congolais que pour la Communauté Internationale, et pour l’avenir du processus électoral, que les précautions soient prises sous forme de garde-fous. La RDC demeure une poudrière avec des groupes armés incontrôlables à l’Est du pays. Il faut encourager le dialogue et des concessions courageuses pour éviter aux pauvres hères le suicide en masse dans une guerre somme toute anachronique. La guerre ne peut être la solution que quand toutes les autres voies de sortie ont été épuisées. A l’instar du Cardinal Monsengwo posons-nous des questions: « Sommes-nous fiers des résultats des élections en Afrique ? Sommes-nous fiers des comportements des opposants ?» La fierté africaine est-elle défunte? Car à Kinshasa et dans bien des capitales africaines, les hôtes de marque, les corps constitués et les faux amis de l’Afrique assistent aux investitures de chefs d’Etat comme à un énième enterrement de la fierté de nos ancêtres ! { Daniel KABUTO, écrivain et consultant indépendant. [email protected] }