Dimanche 22 décembre 2024

Politique

Rapport d’étape de la CVR : regard croisé des politiques

09/04/2024 1
Rapport d’étape de la CVR : regard croisé des politiques
Des chefs des partis politiques lors de la réunion

Dans le cadre de la présentation de son rapport d’étape aux différents acteurs de la vie nationale, la CVR a rencontré le 2 avril 2024, les représentants des partis politiques regroupés au sein du FDP. Un rapport décrié par certains mais salué par d’autres.

« Aujourd’hui, le pays s’est doté d’une vision « Burundi pays émergent en 2040 et développé en 2060 ». La CVR a alors une large contribution dans l’atteinte de cette vision. Car, elle a une mission d’enquêter sur l’histoire douloureuse de notre pays. Si nous ne tirons pas attention en amenant les Burundais à connaître les causes de ce qui a fait traîner le pays, les uns vont construire au moment où les autres vont déconstruire », a laissé entendre Léa Pascasie Nzigamasabo, secrétaire de la Commission Vérité et Réconciliation (CVR).

Lors de son exposé, elle a rappelé aux participants que le rapport est déjà adopté par l’Assemblée nationale et le Sénat réunis en congrès. « Les crimes de 1972-1973 ont été déjà qualifiés juridiquement de « génocide contre les Hutu ; de « crimes contre l’Humanité pour les Tutsi surtout ceux qui vivaient au sud du pays au bord du lac Tanganyika et pour les Twa ». »

C’est donc dans ce cadre que les représentants des partis politiques agréés au Burundi et groupés au sein du Forum de dialogue permanent des partis politiques, FDP, ont été invités pour constater à quel niveau la CVR arrive dans la recherche de la « vérité » ; comment la CVR voit les choses et ainsi donner leurs contributions. « Car le processus est toujours en marche. », a fait savoir Clément Noé Ninziza, vice-président de la commission lors de son mot luminaire.

« Est-ce un rapport « Hutu », « Tutsi » ou consensuel ? »

Selon Godefroid Hakizimana, président du Parti social-démocrate (PSD), la CVR n’amène rien de nouveau par rapport à ce qui a été dit par les partis politiques à Arusha. « Ce que vous venez de nous présenter ici, nous l’avons déjà depuis l’Accord d’Arusha. Cet accord contient tout ce qui a été dit et décidé à Arusha. Est-ce que c’est utile de les répéter à nouveau ? », s’interroge-t-il.

Il estime qu’il y avait à Arusha des partis dits « G7 » qui représentaient les Hutu, et d’autres dits « G10 » qui représentaient les Tutsi. Or, « à partir de ce que vous venez de nous présenter, ce rapport ne relate que ce qui a été dit seulement par les partis du G7. Alors, en tant qu’une commission neutre, indépendante, responsable, composée d’intellectuels formés ou éduqués, vous avez ignoré ce qui a été dit par le G10 », décrie-t-il.

Par ailleurs, poursuit Hakizimana, dans le documentaire de la CVR qui décrit les atrocités de 1972-1973, il y a un décalage au niveau des témoignages. « Parmi les 37 interviewés, seulement 4 sont des Tutsi. Est-ce un rapport Hutu- Tutsi ou consensuel ? ».

Le président du PSD a par ailleurs critiqué la méthodologie utilisée par la CVR. « Dans n’importe quel travail de recherche, il y a des sources orales et écrites. Or, je n’ai pas vu des sources écrites dans ce que vous nous avez présenté. J’ai constaté seulement des lettres. »

Cet ancien ministre de l’Artisanat, de l’Enseignement des métiers et de l’Alphabétisation des adultes regrette que la CVR n’a pas fait de l’Accord d’Arusha un document de référence comme source écrite.

Même voix pour Ruth Kamikazi qui a représenté le Parti pour la justice et le développement (Pajude). Cette femme a soulevé ses inquiétudes par rapport aux techniques d’enquête de la CVR. Historienne de formation, elle a voulu savoir comment la commission parvient à identifier et à distinguer la date d’une fosse commune par rapport à une autre.

« Est-ce que vous utilisez la technique de datation pour identifier et différencier la période des fosses communes ? », a-t-elle questionné.

A cette question, le vice-président de la commission a été clair : « pour identifier la date d’une fosse commune, nous recourons aux personnes ressources et qui assument ce qu’elles disent »

Godefroid Hakizimana y est allé avec sa solution. Pour avoir des solutions durables permettant aux Burundais de mieux vivre ensemble, les Hutu et les Tutsi devaient, ensemble, écouter les acteurs externes qui ont assisté à ces atrocités.

« Qu’on le veille ou pas, le rapport est vrai »

Jacques Bigirimana, président du parti FNL (Forces de libération nationale) salue plutôt les activités de la CVR contenues déjà dans son rapport d’étape. « C’est une noble mission. Ce sont des faits qui sont vraiment concrets. Qu’on le veuille ou pas, ce rapport sur les événements de 1972-1973 est vrai. »

Pour Bigirimana, la plupart de ceux qui disent que les enquêtes de la CVR et le rapport déjà produit sont faux ; que la commission est partiale n’étaient pas encore nés en 1972 « C’est une négation par legs. Et cela peut nous faire retourner en arrière. », lâche-t-il avant de faire savoir qu’il y a même ceux qui le font de bonne foi.

Bigirima suggère ainsi à la CVR de toujours chercher des cadres et mécanismes pour convaincre ceux qui décrient encore son rapport.

Du côté de l’Alliance nationale pour la démocratie-Intadohoka, son président Gaspard Kobako indique qu’il est difficile voire impossible de cacher la vérité historique. « Il y a des gens qui veulent fausser la réalité arguant que cette commission devait stopper ses activités sous prétexte qu’elle passe beaucoup de temps à chercher la vérité. Laissez la commission continuer son travail ! »

D’après Kobako, c’est cette vérité qui prépare l’avenir et qui réconfortera les Burundais. « Il faut donc l’assumer ». Face au traumatisme historique des Burundais, insiste-t-il, il faut qu’il y ait le « Ne plus jamais ça ».

Même son de cloche chez Déogratias Nsanganiyumwami, président-fondateur du Parti pour l’indépendance économique du Burundi (Piebu). Il salue l’étape déjà franchie par la CVR et blâme ceux qui remettent en cause les activités de la commission.

« A moins qu’on soit ignorant, personne ne peut nier que les activités de la CVR conduiront à faire apparaître la réalité et à honorer le pays ainsi que les Burundais d’aujourd’hui et les générations futures. »
Il donne un clin d’œil à tous ceux qui disent que les activités de la CVR tardent à se concrétiser. « Que personne ne vilipende les activités de la CVR car toute tâche prend du temps. Il faut tout simplement accélérer le processus. »

Face à ce débat, Clément Noé Ninziza a rassuré l’auditoire : « La CVR n’est pas au service d’aucun parti politique ni du gouvernement en place ou de toute autre catégorie sociale. Elle est plutôt au service de tous les Burundais. »


Trois questions à Sylvère Ntakarutimana

« La CVR aurait dû expliquer préalablement sa méthodologie »

Chercheur en politiques de paix dans la région des Grands lacs, Sylvère Ntakarutimana a participé, en qualité d’observateur, à la rencontre de la CVR avec les représentants des partis politiques du FDP. Il fait le point.


Quelle est votre analyse par rapport au regard croisé des politiques sur le rapport de la CVR ?

Personnellement, je n’étais pas invité. Je suis juste venu comme un observateur intéressé. Car lorsqu’on parle des activités de la CVR, cela me concerne en quelque sorte. Et pour cause, dans mes recherches que je fais sur le plan scientifique, les activités de la CVR m’intéressent beaucoup.

Alors, il y a un rapport partiel qui est déjà présenté. Ce sont des activités qui montrent un peu de controverse par rapport aux acteurs en présence.

A partir des échanges qui ont eu lieu, les gens n’apprécient pas de la même façon le travail de la CVR. Ce qui est normal parce que c’est une question sensible.

Et j’imagine que si la CVR continue à publier son travail auprès des acteurs pour échange, elle pourra améliorer l’une ou l’autre chose.

Mais, on sent qu’autour du travail de la CVR, les gens ne convergent pas vraiment sur notamment la méthodologie utilisée et ses découvertes. On sent que chacun, sur base des clivages que la société a connus, essaie de garder son cap. Même s’il y a d’autres personnes qui sont en train d’évoluer.

Ce que j’ai aimé, c’est qu’au niveau de l’équipe de la CVR, on ne voit pas de différences entre un Hutu et un Tutsi. Je crois donc qu’en continuant de travailler ainsi, elle pourra convaincre les autres.

Pour moi, la CVR a encore un bénéfice du doute. Si elle constate des divergences aujourd’hui, elle pourra y travailler pour voir comment satisfaire toutes les parties.

L’important est de faire sa mission correctement ; utiliser une méthode compréhensive et essayer de tenir compte de toutes les parties qui ont été touchées par les crises que le Burundi a connues.

Restons au niveau de la méthodologie, quelle est votre observation ?

Je crois que la méthodologie est simple. Parce qu’en termes de recherche historique, les méthodes sont connues. Même en termes d’enquêtes, là aussi les méthodes sont connues. Peut-être que la CVR n’a pas tenu à expliquer préalablement la méthode qu’elle allait utiliser.

Maintenant, les gens sont au courant des résultats mais ils ne sont pas au courant de la méthode pour que la méthode elle-même soit discutée. Peut-être que cela a été un défaut de départ. Alors, cela n’aurait pas été un problème si la CVR l’avait fait bien avant.

Ainsi, le manque de publicité de la méthode avant qu’elle ne soit utilisée ; le manque de test, parce qu’un outil de recherche doit être testé, font qu’aujourd’hui les gens doutent effectivement des résultats de la CVR.

Quels sont les impacts de ce doute et de ces divergences sur les résultats de la commission ?

Cette divergence autour du rapport d’étape de la CVR peut justement impacter sur la réconciliation voulue. A partir du moment que la CVR laisse ces incompréhensions en l’air.

Mais, si elle travaille sur ces incompréhensions, les résultats pourront être acceptables par tout le monde. Mais si la CVR ne tient pas compte des avis des uns et des autres, le risque est évident : les résultats risquent d’être controversés.

CVR

Forum des lecteurs d'Iwacu

1 réaction
  1. kabingo dora

    La CVR est déséquilibrée et n’est pas digne de confiance. J’ai introduit à maintes reprises une demande de témoignage auprès de la CVR , cette dernière ne l’a jamais accepté . Comment voulez vous que j’y crois ?

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