Samedi 29 mars 2025

Politique

Rapport d’activités de l’Ombudsman, exercice 2024 : Quand le ministère de la Justice bat le record des institutions mises en cause

24/02/2025 Commentaires fermés sur Rapport d’activités de l’Ombudsman, exercice 2024 : Quand le ministère de la Justice bat le record des institutions mises en cause
Rapport d’activités de l’Ombudsman, exercice 2024 : Quand le ministère de la Justice bat le record des institutions mises en cause
Aimée Laurentine Kanyana : « Pour l’année 2024, l’institution de l’Ombudsman a réceptionné 525 dossiers de réclamation comptant 1 462 plaignants, dont 744 femmes et 718 hommes ».

525 dossiers reçus et traités à plus de 93% ; 365 plaintes formulées contre le ministère de la Justice. Tels sont, entre autres, des chiffres contenus dans le rapport d’activités pour l’année 2024 présenté par l’Ombudsman burundais, le lundi 17 février, devant l’Assemblée nationale. Une baisse de dossiers reçus comparativement à l’année 2023 qui, selon Aimée Laurentine Kanyana, est due aux démarches de proximité utilisées pour recueillir les doléances de la population afin d’y apporter des réponses adéquates. Pour certains citoyens et députés, il y a encore du pain sur la planche pour l’Ombudsman.

« Pour l’année 2024, l’institution de l’Ombudsman a réceptionné 525 dossiers de réclamation, comptant 1 462 plaignants, dont 744 femmes, et 718 hommes. Parmi ces dossiers, 359 ont été jugés recevables tandis que 166 étaient irrecevables. Aux dossiers recevables s’ajoutent 98 dossiers reportés de 2023 pour faire un total de 457 dossiers, dont 427 clôturés, soit un taux de 93.43%. Seuls 30 dossiers restent en cours de traitement », a indiqué Aimée Laurentine Kanyana, l’Ombudsman burundais, lors de la présentation dudit rapport.

Elle rappelle que la mission première de l’Ombudsman est la médiation entre les citoyens et les administrations publiques. Selon elle, les services de l’institution l’Ombudsman réceptionnent les plaintes des citoyens, les analysent et les traitent. Elle précise que lorsque la doléance ne satisfait pas les conditions légales de recevabilité, les requérants sont orientés vers les institutions compétentes.

L’Ombudsman burundais constate une baisse des plaintes enregistrées passant de 1 101 dossiers en 2023 à 525 dossiers en 2024. Elle explique cette diminution par des démarches de proximité entreprises par son institution et les plus hautes autorités du pays visant à rencontrer les citoyens dans leur communauté.

Cette approche est une offre considérable aux citoyens, singulièrement ceux qui sont installés à l’intérieur du pays, en matière de médiation et de protection de leurs droits. « Elle donne un sens au projet de mise en place d’un système d’alerte précoce dont les principaux acteurs sont les membres des mécanismes communautaires de médiation « Abunganizi b’Umuhuza w’Abarundi » », a-t-elle annoncé.

Par ailleurs, elle se réjouit de l’action des mécanismes communautaires de médiation, de prévention et de gestion des conflits établis par son institution dans toutes les communes du pays.
« Une évaluation interne de l’impact de l’action de ces mécanismes communautaires de médiation réalisée au mois de juillet 2024 montre qu’il y a eu réduction des conflits entre l’administration et la population et des files d’attente devant les bureaux des administratifs », lit-on dans le rapport.

Elle ajoute les visites effectuées dans les cachots et les prisons ainsi que la grâce présidentielle comme autres facteurs ayant contribué à la diminution des dossiers.

Le ministère de la Justice en tête des dossiers reçus

Le rapport renseigne que le ministère de la Justice enregistre plus de la moitié des plaintes reçues. Il totalise à lui seul 365 plaintes. Selon cette ancienne Garde des Sceaux, les citoyens saisissent son institution épinglant la lenteur dans le traitement des dossiers judiciaires, les mal-jugés, l’inexécution des décisions judiciaires, les emprisonnements intempestifs en violation des procédures.

Le rapport indexe aussi le ministère de l’Intérieur, du Développement communautaire et de la Sécurité publique avec 58 plaintes enregistrées. Les origines de la majeure partie de ces plaintes, lit-on, sont des erreurs commises par les responsables de l’administration territoriale.
« Il s’agit des pratiques de corruption, de favoritisme et des omissions liées à la non-maîtrise de leur cahier des charges, des retards, du défaut d’information des citoyens concernés, de décision fondée sur des informations inexactes ou incomplètes, de la négligence ou de l’inattention, d’abus délibéré, de procédure inéquitable, de la grossièreté ou insensibilité », déplore l’Ombudsman burundais.

Encore du pain sur la planche pour l’Ombudsman

Les députés en plénière au palais des Congrès de Kigobe

Certains citoyens se disent préoccupés par le nombre sans cesse grandissant de plaintes formulées contre les administrations publiques.

Pour eux, la médiation à elle seule ne suffit pas, mais il faut que l’Ombudsman soit doté de pouvoir coercitifs.

« L’Institution de l’Ombudsman ne devait pas être seulement une institution de recours pour les citoyens qui revendiquent leurs droits, mais devait être investie d’une force contraignante pour imposer et faire exécuter ses décisions », recommandent-ils.

Réagissant à ce rapport, certains élus du peuple ont soulevé quelques préoccupations. De son côté, le député Bède Nyandwi a voulu savoir si l’Ombudsman s’est déjà saisie du cas des médecins arrêtés et incarcérés au Service national des renseignements (SNR) même s’ils ont été libérés.
« Je n’ai pas encore été saisie. J’ai seulement appris qu’ils étaient sous interrogatoire au SNR. Nous respectons les procédures et aucun vice de procédure n’a été signalé pour qu’on puisse intervenir », a réagi Aimée Laurentine Kanyana.

Elle a fait savoir que le dossier relève de la compétence de la Commission nationale de dialogue social. Interrogée sur le bien-fondé de leur revendication, l’Ombudsman burundais a répondu que si l’Etat a des moyens suffisants, ces médecins pourraient être rétablis dans leurs droits. Cependant, a-t-elle nuancé, le développement intégral du pays concerne tous les secteurs en faisant observer que ces derniers sont complémentaires.

Elle rappelle à ces médecins de respecter leur serment en même temps qu’ils proposent des réformes. « Il faut renforcer et étendre la couverture de l’assurance maladie qui pourrait générer des recettes dans les caisses de l’Etat. »

La député Nkurunziza Jocky Chantal, quant à elle, a évoqué le degré de collaboration qui existe entre l’institution de l’Ombudsman et les autres commissions telles que la CNIDH sur les questions des détenus. L’Ombudsman a répondu que la question des droits de l’Homme incombe à tout le monde. Chacun est donc interpelé afin qu’il puisse apporter sa pierre à l’édifice.

Les députés Pamphile Malayika et Ildephonse Baryanintimba ont soulevé la question des réfugiés burundais. Ils voulaient savoir si l’Ombudsman leur rend visite. Elle reconnaît recevoir des plaintes au sujet des réfugiés. Elle annonce qu’elle envisage les rencontrer si elle reçoit l’aval des institutions habilitées.

Des recommandations

D’emblée, l’Ombudsman burundais recommande qu’en plus des médiateurs collinaires, il y ait un conseil des sages aux niveaux communal et provincial. Ces organes analyseraient les dossiers surtout liés à la problématique de l’exécution des jugements qui sont en appel au niveau des tribunaux de résidence et de grande instance. « Cela éviterait un afflux des justiciables lésés dans les bureaux du ministère de la Justice », justifie-t-elle.

Elle constate la multiplication des procès résultant des contrats signés en cachette ou l’existence des propriétés non enregistrées. Dans la plupart des cas, les justiciables manquent de preuves tangibles. D’où, propose-t-elle, l’affectation des notaires qui aideraient dans l’authentification des contrats dans les provinces et régions où se remarquent beaucoup de dossiers pour éviter des litiges éventuels.

Aimée Laurentine Kanyana recommande également des réformes au niveau de la justice commerciale pour rassurer les investisseurs locaux et étrangers. Ainsi, elle suggère la mise en place d’un centre d’arbitrage et de médiation constitué d’experts qui se pencheraient sur les litiges avant que les parties en conflit n’empruntent les voies judiciaires.

Elle suggère aussi une formation continue des magistrats, des avocats et des notaires pour qu’ils soient à jour avec l’évolution des changements.

Emboîtant le pas au chef de l’Etat, l’Ombudsman burundais recommande au ministère de la Justice de mettre en place des mécanismes de contrôle des admissions dans les maisons de détention et d’analyse régulière de la situation des détenus pour proposer des mesures qui s’imposent en faveur des détenus chacun suivant son statut.

Concernant la lutte contre la fraude, elle recommande le respect de la loi surtout en ce qui concerne les saisis. Par ailleurs, fait-elle observer, quand quelqu’un est coupable d’avoir violé le Code de la route, l’infraction incombe à la personne au volant et non au véhicule. « On remarque l’absence des PV de saisie ou même la disparition des biens saisis ».

Par ailleurs, la médiatrice burundaise estime nécessaire de renforcer les capacités des nouvelles autorités qui seront issues des élections de 2025 afin de leur permettre de remplir leurs fonctions.

En outre, elle déplore une régression de la qualité de l’enseignement au Burundi. Elle recommande alors la création des centres pour la formation et le partage d’expérience entre enseignants au niveau local.

Enfin, elle recommande de renforcer les mécanismes de contrôle et de sanction afin que l’exercice de la liberté d’expression ne porte pas atteinte aux droits des autres, en particulier à leur réputation et à leur intégrité en général.

Pour rappel, en vertu de la loi N°1/04 du 24 janvier 2013 portant organisation et fonctionnement de l’Ombudsman, ce dernier a pour mission « d’examiner les plaintes et de mener des enquêtes concernant les fautes de gestion et les violations des droits de l’Homme commises par les agents de la Fonction publique, du judiciaire, des collectivités locales, des établissements publics et de tout organisme investi d’une mission de service public »

Quid de quelques cas traités ?

1. Une plainte contre les notables collinaires « Abahuza » de la colline Gifurwe de la commune Mpanda. Une plaignante dit que son mari l’a laissée seule pour aller se marier à une autre femme à Bujumbura. Le mari est revenu introduire une action en divorce auprès des Bahuza. Contre toute attente, la plaignante a perdu le procès et le divorce a été prononcé.
Les Bahuza ont gardé le procès-verbal pour empêcher la plaignante d’interjeter appel contre cette décision. Ils lui ont remis le procès-verbal après l’expiration des délais d’appel. La plaignante dit avoir saisi le président du tribunal de résidence Mpanda, puis le président du tribunal de grande instance de Bubanza, mais toutes ces autorités ne l’ont pas aidée.

Nous avons appelé le président de la Cour d’Appel qui a vite réagi en intimant l’ordre au président du tribunal de résidence de Mpanda, de convoquer les parties pour leur dire que les Bahuza n’ont pas les prérogatives de statuer sur le divorce. La plaignante a été satisfaite de cette mesure.

2. Une plainte contre le ministère de la Justice (tribunal de résidence Buyengero). Le grand-père du plaignant avait deux femmes. Il a eu 5 fils et une fille de la 1ère femme, et un seul fils de la 2e femme. A la mort du grand-père, un conflit de partage foncier est né et le tribunal de résidence de Buyengero a été saisi.

L’affaire est enregistrée sous le numéro RC4689, et tranchée le 29 novembre 2017 en ces termes : « les terres de feu grand-père doivent être partagées entre ses six fils : cinq de la 1ère femme et le fils unique né de la 2ème femme ».
Bizarrement, en énumérant les six fils, le tribunal a noté cinq noms de garçons et une fille, tous nés de la 1ère femme, en omettant l’unique garçon descendant de la 2e femme, pour être le sixième.
Et l’exécution s’est déroulée ainsi : « la fille nommée à la place du fils unique né de la 2ème femme, a hérité à la place de ce dernier qui demande une révision. »
L’institution a porté l’affaire à la connaissance du ministère de la Justice. L’assistante du ministre a préconisé, plutôt que la révision demandée par le plaignant, mais la rectification du jugement et son exécution étant conforme. De ce fait, le dossier est clôturé.

3. Une plainte d’une mère contre le ministère de la Justice (Prison centrale de Gitega). Une mère a saisi l’Ombudsman de la République pour demander son intervention afin que son fils emprisonné puisse bénéficier d’une liberté conditionnelle comme son coauteur.
En effet, deux garçons sont accusés d’avoir tabassé une personne jusqu’à ce que sa mort s’ensuive. Le tribunal de Grande instance les a condamnés par le jugement RP23744, RMPG8359/NJ à 2 ans de servitude pénale et à payer une somme de 1 000 000 FBu de dommages et intérêts. Ils ont interjeté appel à la cour d’Appel de Gitega. Cette dernière les a condamnés à 2 ans de servitude pénale et 1 200 000 FBu chacun de dommages et intérêts.

Avant même 6 mois, l’un d’entre eux a bénéficié d’une liberté conditionnelle, soi-disant qu’il est fonctionnaire pouvant perdre son emploi. La plaignante demande que son fils, lui aussi, bénéficie pareille liberté conditionnelle.

Accompagnée par l’institution de l’Ombudsman devant le service juridique de la prison centrale de Gitega, la mère a demandé que la prison analyse son cas. L’administration de la prison l’a finalement mis sur la liste des bénéficiaires de la liberté conditionnelle. Le dossier est clôturé.

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