Dès le lancement officiel de l’évaluation du système de quotas ethniques dans l’exécutif, le législatif et le judiciaire, à Gitega, lundi 31 juillet, par le Sénat, l’unanimité semble loin d’être acquise. Pour les uns, plus question d’y toucher maintenant. Pour les autres, ces quotas ne sont même pas appliqués correctement.
Dans la salle Magnificat de Mushasha où étaient présents ministres, gouverneurs, administrateurs, leaders politiques, société civile, corps diplomatiques et consulaires, l’évaluation du système des quotas ethniques dans l’exécutif, le législatif et le judiciaire conformément à l’article 289 de la Constitution a fait émerger des divergences profondes. Les débats ont été houleux.
Chaque intervenant voulait expliquer son point de vue avec des exemples à l’appui pour justifier la suppression ou le maintien des quotas ethniques dans la gestion du pays.
Dans son exposé, l’ancien président de la République et l’un des artisans de l’Accords d’Arusha, Domitien Ndayizeye, n’y est pas allé par quatre chemins pour justifier l’introduction des quotas ethniques dans la Loi fondamentale : « Vous pourrez dire aujourd’hui que ces quotas ethniques n’ont plus de raison d’être. Mais les assassinats, les guerres et les discriminations qu’a connus le Burundi avaient ses origines dans la gestion politique du pouvoir, mais se répercutaient sur les ethnies. »
Pour lui, il n’y avait pas d’autre solution miracle à l’époque des négociations sur l’Accord d’Arusha pour stopper la guerre et les massacres qui doublaient d’ampleur du jour au jour.
Et d’enfoncer le clou : « Ne soyez pas hypocrites ceux qui disent qu’ils ne croient pas. Nous avons connu la période quand les dirigeants affirmaient haut et fort qu’il n’y a pas d’ethnies au Burundi alors que dans leurs manières de diriger la discrimination ethnique était de vigueur. » Relatant les périodes sombres de l’histoire du Burundi, il a montré que l’institutionnalisation des quotas ethniques a donné les bases d’une gouvernance équitable où les Hutu, les Tutsi et les Batwa se sentent inclus dans la gestion des affaires du pays.
Néanmoins, l’ancien président de la République n’a pas soutenu que ces quotas ethniques étaient une fin en soi pour bannir à jamais les guerres, les discriminations et l’injustice. Pour lui, le développement économique empêchera qu’un groupe quelconque prenne pour prétexte la pauvreté pour raviver les démons du passé. Il a appelé les Burundais à transcender les intérêts sectaires pour bâtir une nation unie.
« Il faut encore du temps, pas de précipitation ! »
Prosper Ntahorwamiye, tout en différenciant son opinion de celle du porte-parole du gouvernement, n’a pas mâché ses mots en rejetant la suppression des quotas ethniques dans la Constitution de la République du Burundi : « Les clignotants sont toujours au rouge pour se lancer dans cet exercice. Il y a encore à faire. Toutes les conditions ne sont pas réunies pour envisager la suppression des quotas ethniques dans les institutions de l’Etat. En attendant la réécriture de l’histoire, les rapports de la CVR et de la CNTB, nous avons toujours besoin d’une loi écrite pour protéger les Hutu, les Tutsi et les Batwa contre les discriminations que nous avons vécues. »
Même son de cloche chez certains leaders des partis politiques et de la société civile. Pour François-Xavier Ndaruzaniye, acteur de la société civile, il n’est pas encore temps que les quotas ethniques soient supprimés dans la Constitution.
Il a évoqué la présence des camps de déplacés des Tutsis à l’intérieur du pays parmi les raisons justifiant la persistance du problème de l’ethnisme au Burundi. Il considère qu’au préalable, il faut que la CVR termine d’abord son travail pour savoir exactement ce qui s’est passé dans le pays, avant de penser à la suppression des quotas ethniques dans la Constitution.
Que ce soit pour Agathon Rwasa, Olivier Nkurunziza ou Godefroid Hakizimana, rien n’explique la suppression des quotas ethniques.
« Aujourd’hui, les discriminations ethniques tendent à disparaître progressivement. Mais il y a encore des discriminations politiques dans la gestion des affaires publiques. Il n’est pas encore temps que les quotas ethniques soient supprimés. Il faut d’abord mettre fin à toute sorte de discrimination », a indiqué Agathon Rwasa, président du parti CNL (Congrès national pour la liberté).
Il explique que les quotas ethniques sont une balise rappelant aux gestionnaires du pays qu’ils doivent associer les autres. Et d’appeler les Burundais à éviter le débat ethniste : « Il faut éduquer nos enfants comme des Burundais, pas comme des Hutu, des Tutsi, des Batwa ou des Baganwa. Le pays est au-delà du noyau familial. »
Pour Olivier Nkurunziza, président de l’Uprona, les quotas ethniques doivent être maintenus dans la Constitution.
Il a appelé le Sénat à plutôt faire une évaluation pour voir si ces quotas ethniques sont strictement respectés et donner un rapport.
Pour d’autres intervenants, il est temps que les quotas ethniques soient supprimés dans la Constitution.
Augustin Nkengurutse soutient qu’il faut trouver une façon d’associer tous les Burundais dans la gestion du pays sans tenir compte de leur appartenance ethnique : « Si ces quotas sont maintenus, l’exclusion des Baganwa et des Batwa va continuer, ce qui est déplorable. Il ne faut pas maintenir dans la Constitution un système qui exclut une partie des Burundais. »
Même avis pour Laurier Uwayo, représentant du conseil national de la jeunesse à Gitega. Pour lui, il faut que les quotas ethniques soient supprimés pour que les gens soient nommés ou embauchés uniquement sur base du mérite.
Virage à 180 degrés pour les Batwa, les femmes et les Baganwa
Les Batwa se demandent si réellement ce partage du pouvoir les concerne. Quant aux femmes, elles rappellent être plus de la moitié de la population, mais que leurs places dans les institutions sont presque insignifiantes. Et pour la communauté des Baganwa, ils déplorent avoir été discriminés par tous les régimes qui se sont succédé au pouvoir depuis la première République.*
Le député Jean Baptiste Sindayigaya, de la communauté Batwa, a indiqué qu’il y a des lacunes dans le système des quotas ethniques : « Il faut que les quotas soient équitables pour toutes les ethnies. Il faut que le quota des Batwa soit aussi précisé dans la Constitution. »
Libérate Nicayenzi, aussi de la communauté Batwa, estime que les quotas ethniques excluent les Batwa : « Dans les discours, nous sommes reconnus comme des citoyens comme les autres, mais dans la gestion du pays, nous sommes parfois exclus. Il faut que les Batwa aient une place dans ces quotas et dans les institutions. »
Quant à Déo Rusengwamihigo, de la communauté des Baganwa, il a fustigé ces quotas qui ne reflètent pas la réalité des ethnies au Burundi. Il a regretté que les Baganwa ne soient pas encore reconnus comme une ethnie. Pour lui, la suppression des quotas ethniques n’entamera en rien le pas déjà franchi dans la réconciliation des Burundais. « Il faut que la question d’ethnie au Burundi soit éradiquée pour que nous soyons tout simplement des Burundais. L’ethnisme ne nous sert à rien ».
Clément Ndayiziga a rappelé que la Constitution stipule qu’aucune composante de la société burundaise ne devrait être exclue dans la gestion des affaires publiques : « Les Baganwa ont été exclus, tués et discriminés par des régimes militaires. Jusqu’aujourd’hui, nous sommes encore victimes de l’exclusion dans la Constitution de la République. »
Le président du Sénat, Emmanuel Sinzohagera souligne que les sénateurs ne feront que le travail de facilitation dans les débats de toutes les parties concernées : « Ce ne sera pas au Senat de fixer la suppression ou le maintien, mais plutôt de recueillir toutes les idées et recommandations de toutes les parties de la vie nationale. »
Dans l’exécutif, le législatif et le judiciaire, la Constitution exige 60 % de Hutu, 40 % de Tutsi et 30 % de femmes. Dans le législatif, elle prévoit aussi la cooptation de trois députés et trois sénateurs issus de l’ethnie Twa. Dans les corps de défense et de sécurité, les quotas ethniques sont de 50 % Hutu et 50 % Tutsi.
Selon l’article 289 de la Constitution de la République du Burundi promulgué en juin 2018, un délai de cinq ans est accordé au Sénat pour évaluer l’opportunité du maintien du système des quotas ethniques dans l’exécutif, le législatif et le judiciaire après la mise en place des institutions issues de cette Constitution.