Vendredi 22 novembre 2024

Politique

Quid du traitement après un bon diagnostic?

30/08/2021 10
Quid du traitement après un bon diagnostic?
Le chef de l’Etat s’insurge contre les magistrats du Burundi.

Le président de la République rencontrait, ce mardi, l’appareil judiciaire du Burundi. A cette occasion, il a accusé les magistrats de tous les maux : la corruption, la violation des droits humains, les investisseurs bloqués, etc. Dans son ensemble, l’opinion se félicite du discours. Mais les Burundais veulent des actes, des décisions.

C’est vrai, le discours était incisif, sans langue de bois. Le président a parlé aux magistrats du ras-le-bol de la population. Pour Evariste Ndayishimiye, une fable de La Fontaine illustre parfaitement ce qu’est la justice burundaise. « La raison du plus fort est toujours la meilleure ».

Il a rappelé qu’à chaque déplacement, dans toutes les collines du pays, la population ne manque pas de se plaindre d’avoir été victime d’un système judiciaire corrompu et injuste. Selon les enquêtes de la présidence, il y a plus de 200 mille dossiers pendants en justice. Confirmation de l’ombudsman burundais qui selon les études de son Bureau, plus de 82 pour cent de la population dit ne pas faire confiance à la justice. Pour le chef de l’Etat, il faut que la donne change.

« Leurs pleurs me sont parvenus et je me suis dit, avant de pleurer devant eux, laisse-moi aller pleurer devant ces juges, s’ils sont sans empathie, je vais me résigner. Vous n’éprouvez vraiment pas de pitié quand vous me voyez pleurer devant vous ? Vous n’éprouvez vraiment pas de pitié quand vous me voyez pleurer devant vous alors que vous m’appelez père de la nation ? (….) Partout où je vais… je reçois plus de mille plaintes par jour et, après analyse, je les trouve fondées ».

Blocage d’investisseurs, violation des droits humains

Pour président Ndayishimiye, les investisseurs nationaux comme étrangers ont coupé le robinet. Comment investir dans un pays où des stratagèmes sont mis en place pour dépouiller tout entrepreneur.

« Les investisseurs étrangers ne viennent plus au Burundi. Vous trouvez des stratégies pour voler leur argent. Ils n’ont nulle part où se plaindre. Vous vous coalisez pour détourner leur argent (…). Quel étranger peut venir investir dans un pays sans justice ? (…) Comment allez-vous avoir des véhicules de fonction et des bâtisses servant de cours et tribunaux au moment où vous ne voulez pas que le pays se développe. Aucun développement n’est possible dans un pays sans justice. »

Evariste Ndayishimiye se fait également la promesse de traquer les magistrats auteurs des violations des droits de l’homme. Il promet une commission chargée d’évaluer les jugements.

« Je vous invite à aller lire la Déclaration universelle des droits de l’homme. Dans le préambule il est bien écrit ceci : considérant qu’il est essentiel que les droits de l’homme soient protégés par un régime de droit pour que l’homme ne soit pas contraint à la révolte contre la tyrannie et l’oppression, je vais répéter, car je sais que vous ne lisez pas (…), demain on dira que le Burundi ne respecte pas les droits humains. Vous qui nous attirez la colère de la communauté internationale, nous allons conjuguer nos efforts afin de vous traquer. (…) C’est honteux ce qui se passe dans ce pays».

Les responsables du Cndd-Fdd, les hauts gradés de l’armée et de la police mis en cause

Des magistrats indexent les dignitaires du pays.

Des juges reconnaissent leurs torts, mais indiquent qu’ils ne sont pas les seuls à blâmer.

Jérôme Mbonimpa, un juge du Tribunal de Grande Instance de Rumonge évoque l’ingérence de certaines autorités dans les instances judiciaires : « Nous sommes prêts à prendre nos responsabilités. La corruption existe, mais il y a aussi une main invisible qui freine l’indépendance de la magistrature. Aujourd’hui quand un justiciable estime qu’il va perdre son procès, il s’en remet soit au président de son parti ou encore à un général de l’armée ou à un commissaire de la police ».

Un magistrat qui a requis l’anonymat indique que tant qu’il y’ aura des promotions et des recrutements médiocres sur la seule base d’appartenance au parti Cndd-Fdd, il y aura toujours l’impunité et la corruption. « Ces juges intouchables parce qu’ils sont amis des dignitaires du parti au pouvoir se croient au-dessus de la loi et commettent des injustices contre les populations impuissantes. C’est bien que le président s’en est rendu compte. Il faut la séparation des pouvoirs ».

Un avocat se félicite du fait que le président ait rompu avec le déni de l’évidence. Le fait qu’il reconnaisse que la sécurité juridique n’est pas assurée au Burundi, que la justice n’est pas indépendante et qu’elle est corrompue est un pas. Selon l’avocat, outre ce diagnostic, le chef de l’Etat n’est pas sans savoir que le pouvoir judiciaire burundais est instrumentalisé par le parti au pouvoir, le pouvoir exécutif et certains puissants du système Cndd-Fdd. Son poste appelle des décisions fortes pour remédier à cette situation : « Il doit faire usage de ses pouvoirs qu’il tire de la Constitution en exerçant son pouvoir de façon effective pour opérer des réformes en profondeur. Nous le soutenons dans ce combat s’il est résolu à le mener à son terme.»


>>Réactions des politiques

Sylvestre Ntibantunganya : « Tout fonctionnaire du service public qui s’écarte du dispositif légal doit être sanctionné »

L’ancien chef de l’Etat reconnaît que les maux dont souffre la justice burundaise ne datent pas d’aujourd’hui. Il dit avoir lui-même prononcé un discours en 1996 fustigeant le fonctionnement de l’appareil judiciaire de l’époque.

Selon Sylvestre Ntibantunganya, le discours du président Evariste Ndayishimiye est une mise en garde à l’endroit des magistrats et de ceux qui les corrompent. « Pour qu’un chef de l’Etat évoque de tels écarts au sein du système judiciaire, prouve qu’un long chemin reste à parcourir pour aboutir à un Etat de droit au Burundi. »

Et pour y arriver, il faut que les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire soient tous forts, coordonnés et interdépendants dans l’intérêt de la population et de l’Etat. Des mesures doivent également être prises. Tout fonctionnaire du service public qui s’écarte du dispositif légal doit être sanctionné. Il faut donc mettre en exécution des décisions visant à redresser l’appareil judiciaire. « Cela va des mesures disciplinaires à la saisie de justice. »

Léonce Ngendakumana : « Les responsables du Cndd-Fdd et des généraux donnent des injonctions aux juges »

« Les préoccupations du président de la République sont fondées, car je connais parfaitement ses méandres pour en avoir été victime à plusieurs reprises, » indique Léonce Ngendakumana, vice-président du parti Frodebu. Il dit connaître des dossiers qui sont restés dans les tiroirs à cause de la corruption. Au niveau de la forme, le président de la République a raison. « Il reste donc à savoir ce qu’il va faire pour qu’effectivement cette justice rende justice au peuple burundais et non au nom du Cndd-Fdd, le parti au pouvoir».

Pour ce politique, M. Ndayishimiye doit avoir le courage de révolutionner son parti. Sinon, son discours va rester lettre morte. Ceux qui sont mis en cause sont les magistrats qui sont ralliés à la cause du parti au pouvoir qui les a alignés à leurs postes. Ce sont également les responsables du parti au niveau local et national ainsi que des généraux du parti qui donnent des injonctions aux juges. Il doit mettre en place une commission ad-hoc pour contrôler l’état des lieux des deux mille dossiers à liquider rapidement. C’est là qu’il aura répondu aux préoccupations des populations. « Le Burundais a appris à adhérer aux actes comme Thomas de la Bible ». Il faut également remplacer le magistrat qui ne s’acquitte pas de ses obligations en fonction des lois et procédures.

Tatien Sibomana : « L’indépendance de la magistrature dotée de magistrats compétents et irréprochables »

Cet acteur politique est satisfait face au discours du chef de l’Etat parce qu’il a fait un bon diagnostic des maux dont souffre l’appareil judiciaire. Il parle aussi de désespoir parce que quand on entend des manquements de cet appareil judiciaire, on se demande si le pays va s’en sortir, surtout que le magistrat suprême verse des larmes comme tout autre citoyen. L’autre raison qui pousse au désespoir, selon Tatien Sibomana, c’est que le pouvoir judiciaire est en principe un pouvoir d’équilibre. S’il ne fonctionne pas comme il faut, la société entière et même les autres institutions sont déréglées.

Le politique parle d’un discours qui doit être accompagné des faits et gestes. Le magistrat suprême doit reconnaître l’indépendance effective du pouvoir judiciaire. C’est à ce titre qu’il va exiger de ce pouvoir le meilleur accomplissement des missions lui confiées par la Constitution. L’indépendance de la magistrature sera effective si elle est dotée de magistrats compétents et irréprochables. Il doit également y avoir un recrutement et une promotion interne conséquents. « Partant de l’adage qui dit que le tigre ne proclame pas sa tigritude, mais saute, le chef de l’Etat doit passer à la vitesse supérieure en saisissant de façon exemplaire tout magistrat corrompu». Il faudra doter le pouvoir judiciaire des moyens de travail (déplacement) et informatiser les services judiciaires.


Eclairage/ Trois questions à Cyriaque Nibitegeka

« Le juge doit avoir le pouvoir et la force de mordre la main qui l’a bénie »

Avocat et ancien enseignant à la faculté de droit de l’Université du Burundi donne quelques pistes pour bâtir une justice réellement indépendante au Burundi.

En tant que juriste comment analysez-vous le dernier discours du président Ndayishimiye ?

On ne peut pas s’attendre à ce qu’un discours, même des plus émouvants, du président de la République puisse apporter un moindre changement face à la corruption systémique qui mine le système judiciaire burundais. Le Président n’a pas besoin de pleurer devant les magistrats. Il n’a qu’à exercer son pouvoir constitutionnel et de les mettre devant leur responsabilité. Sauf, bien évidemment, s’il s’adressait indirectement à ses paires généraux et autres ténors du système qui seraient, de fait (et non de droit) hors de sa portée !

Pour leur défense, des magistrats évoquent l’intrusion des hauts gradés de l’armée et de la police, des cadres du parti dans les dossiers judiciaires. Que faire pour aboutir à une réelle indépendance de la magistrature?

L’indépendance du juge, comme toute liberté ne s’offre pas sur un plateau d’or. Le juge doit aussi se sentir et agir comme un acteur majeur dans le combat pour cette indépendance. Pour reprendre Daniel Soulez- Larivière: « dans une démocratie saine, le juge doit avoir le pouvoir et la force de mordre la main qui l’a bénie ».

Que faire alors pour trouver une solution à tous ces maux qui gangrènent la justice ?

On ne peut pas s’attaquer au problème de corruption du pouvoir judiciaire sans envisager la problématique de gouvernance administrative dans sa globalité. Dans notre pays, la corruption est devenue un mode normal de gouvernance dans tous les secteurs de la vie nationale et à tous les paliers de l’administration. Dans ce contexte, le système judiciaire ne peut pas être un îlot de particularité.

Si le président a une réelle volonté politique d’assainir la justice burundaise, je pense qu’il devrait agir autour des éléments suivants :
-Un système de surveillance anticorruption : la corruption dans le système judiciaire ne concerne pas que les magistrats. Elle met en effet en cause aussi les autres parties prenantes en particulier les magistrats, les avocats et les justiciables.

-Le respect du principe de la séparation des pouvoirs : le Chef de l’Etat doit, et faire respecter en droit et dans la pratique, le principe de la séparation des pouvoirs. L’indépendance du juge est en effet la condition sine qua non d’une bonne administration de la justice.

-Le système de recrutement : le recrutement des juges devrait s’opérer de façon transparente, sur base de critères objectifs, excluant tout favoritisme politique et mettant en avant le mérite et la compétence. Par exemple, comment peut-on espérer d’un juge nommé à la faveur d’un pot-de-vin qu’il n’use pas de corruption dans l’exercice de sa fonction ?

-La gestion de carrière : la règle de l’inamovibilité du juge devrait être inscrite dans la Constitution et détaillée dans le statut des magistrats. En grande ligne, l’on prévoirait qu’un juge en fonction dans une juridiction ne peut faire l’objet d’une nouvelle nomination ou d’une nouvelle affectation, même en promotion, sans y avoir librement consenti. Dans le même ordre, le management de la carrière des magistrats, en particulier l’avancement, doit être retiré à l’Exécutif. C’est en effet ce qui est utilisé pour récompenser les magistrats fidèles au  » système  » et de sanctionner, notamment par des mutations intempestives, les magistrats qui ne respectent pas les injonctions.

Forum des lecteurs d'Iwacu

10 réactions
  1. Yaga

    Nibaza ko system ya jury igizwe n’abashingantahe bo ku mitumba itandukanye ifashanije guca imaza n’ abacamanza ngira iyo ruswa n’ akarenganyo vyogabanuka!

    Aho system ya jury ikoreshwa, bavuga ko imanza zidahengama: « Juries are used to ensure that legal verdicts are impartial and in line with community standards of behaviour ».

    Aho mperereye jury ikora uku:

    Criminal trials

    In criminal trials, a jury hears evidence, applies the law as directed by the judge, and decides if a person is guilty or not guilty of a crime, based on the facts. A jury does not participate in the sentencing process.

    In most criminal trials, 12 people are selected to be on the jury. Up to 15 jurors can be empanelled if a trial is expected to last longer than three months. To be empanelled means to be chosen for a specific trial.

    Civil trials

    Civil trials that require juries are usually defamation proceedings. The trial judge will outline the issues the jury needs to consider to decide who is at fault. A civil trial jury is typically comprised of 4 jurors, however, in the Supreme Court, 12 jurors may be ordered.

  2. teddy

    il ya bcp de crimes contre les personnes. bcp des meurtres par des bandits de tout bord, pas necessairement des imbonera.
    la justice ne peut resoudre ce puzzle. seulement une justice GACACA peut resoudre ce genre de desordre. tous les citoyens sur le colline ou le quartier apprehendent le criminel et le jugent. les paysans connaissent les delinquents sur les collines

  3. Jambo

    Tout ce gâchis est arrivé alors qu’il faisait partie de l’équipe dirigeante depuis 2005.
    N’a t il jamais rien vu?
    Le président qui a régné pendant toute cette période a été élevé à titre posthume à un rang d’un « très élevé ».
    Où est l’erreur?
    Where is accountability in Bour mother land?
    Thet is the question

    • Jambo

      Our mother land

      • Jambo

        une autre coquile: Je voulais écrire « Elevé au rang d’une idole , d’un Dieu

    • Nikikwereka ko muvyavuga nibaza ko amarira yiwe aribwo buryo yatoye bwogusaba imbabazi. Umuntu wese azi kwihweza ibibera mu Burundi arabona ko u Burundi butiteze guhinduka.
      Un clin d’œil à mr Cyriaque Nibitegeka:si le Burundi n’avait pas eu les dirigeants qu’il a eu depuis le 28/11/1966,on aurait eu les dirigeants actuels avec des conséquences que vous laisse imaginer. Certains pays africains ont eu l’amer expérience, à commencer par un pays voisin qui a failli disparaître complètement en 1994 à cause de ses propres dirigeants.

      • Yan

        @Mike
        Ce pays voisin n’est pas (encore) sorti de l’auberge car il y règne un apartheid qui ne durera pas une éternité.
        Il y a des gens, comme vous, qui ont la manie de découvrir les apartheids seulement lorsqu’on vient de les abolir. Il en a était ainsi chez Pieter Willem Botha.

        • Yan

          Il en a été; c’est mieux!

  4. sanzira

    c’est deja bien de reconnaitre un probleme et de le denoncer . on sait que tu es tenu en tenaille par ton parti et toute une bande de…. (Insultes censurées par le modérateur) qui pensent que le burundi est leur jouet. (la suite est censurée car ce sont des insultes)

    Note du modérateur
    Les insultes ne sont pas permises
    Merci

    • Mais quand quelqu,un parles « d apartheid » dans un pays voisin vous laissez publiez et vous refusez ma reaction. Pas correct

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