L’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation prévoit la réécriture de l’histoire du Burundi. Les négociateurs ont conclu qu’elle constitue une des principales causes des crises qu’a connues le pays. Des analystes et historiens s’expriment.
Pourquoi les Burundais ne se sont-ils pas entendus sur leur histoire ? Une fois réécrite, à quoi servira-t-elle ? Va-t-elle aider dans le travail de la Commission vérité réconciliation (CVR) ? Pour répondre à ces interrogations, Emile Mworoha, historien, commence par exposer l’utilité de l’histoire : « Elle montre comment le pays a été construit, les coutumes, les développements et donne différentes leçons.» Et Denis Bukuru, un autre historien, d’ajouter que l’histoire donne une orientation au pays : « Elle montre ce qui existe aujourd’hui pour préparer l’avenir. »
L’histoire sert de référence pour un pays
D’après M. Bukuru, l’histoire montre d’où nous venons, où nous sommes et où nous allons. Car, précise-t-il, un pays qui ignore son histoire, ses habitants ne savent pas d’où ils viennent et où ils vont : « Ils se cherchent et ne se retrouvent pas. Cela fait qu’ils désespèrent et le désespoir pousse au suicide. ». L’histoire contribue à la réconciliation : « Les Burundais ne peuvent pas se réconcilier s’ils n’ont pas la même vision de l’Histoire. S’ils avaient lu de la même façon leur histoire, le Burundi n’aurait pas connu de crises ».
Pour développer le pays, M. Bukuru signale qu’on doit tout d’abord connaître les gens qui y habitent, leurs coutumes, etc. Et pour Désiré Yamuremye, politologue, l’histoire du Burundi revient sur comment les rois ont gouverné le pays.
Pourquoi la réécriture ?
Le politologue Yamuremye tente des explications. La plupart des écrivains historiens burundais étaient membres du parti unique. Tout ce qui n’a pas requis l’unanimité de tous les Burundais a été rédigé pendant la période du monopartisme. Il donne l’exemple du livre intitulé L’histoire retrouvée de Jean Pierre Chrétien. Insistant sur les écrits des Blancs, ils utilisaient des intermédiaires et ils interprétaient les données. Ce qui signifie que s’ils envoyaient des Tutsi, c’étaient des idées pro-Tutsi qui étaient privilégiées et vice-versa. Et c’est cela qu’ils appelaient Histoire du Burundi. Pour le politologue, il est temps que les Burundais se mettent ensemble pour choisir un échantillon représentatif en vue d’écrire une vraie histoire utile aux générations futures et ne reflétant pas l’identité de l’auteur.
Et à Emile Mworoha de déclarer : « Quand nous écrivons l’Histoire, ce n’est pas pour se dédire car elle est toujours écrite. La vérité change au fur et à mesure que nous avons d’éléments nouveaux. » Cependant, il reconnaît que l’Histoire récente du Burundi indépendant ne requiert pas l’unanimité des Burundais : « A Arusha, pas de divergence pour l’Histoire ancienne. C’est l’après indépendance qui soulève des divergences. Il est nécessaire d’avoir des livres bien écrits, parlant de la vraie Histoire d’après l’indépendance et même de la période coloniale. »
Une Histoire différemment vue
Le politologue Désiré Yamuremye estime que les problèmes qu’a connus le Burundi résultent des livres produits s’inscrivant dans la politique belge d’opprimer les Burundais. Et après l’indépendance, déplore-t-il, certains historiens se sont alignés derrière la politique du parti unique. Ce qui peut arriver même aujourd’hui. D’après lui, certains livres sont en train d’être rédigés pour louer la politique des partis politiques actuels. L’historien Denis Bukuru abonde dans le même sens. Les Burundais ne voient pas de la même façon leur Histoire. Les uns disent que la royauté était bonne tandis que d’autres sont d’avis contraire. Une catégorie affirme que les Burundais cohabitaient pacifiquement, alors qu’une autre dénonce des exclusions, des injustices envers elle. M.Bukuru mentionne aussi que l’histoire récente n’est pas vue de la même façon. Cela résulte de la peur de certains gestionnaires du pays qui, d’une façon ou d’une autre ont une part de responsabilité dans la désorientation de cette histoire.
Réécriture de l’histoire : utile au travail de la CVR
Le professeur Denis Bukuru affirme que la réécriture de l’histoire pourra aider dans le travail de la Commission vérité et réconciliation (CVR). Avec une vraie version de l’histoire, les Burundais découvriront la vérité sur le passé. Et ils auront une même lecture de l’histoire. Le Burundi pourra avoir une vision commune et des stratégies de mise en œuvre. Cette histoire sera enseignée dans les écoles en vue d’avoir une vérité unique : « Pas de pluriel de la vérité historique. La connaissance de l’histoire fera que les Burundais s’unissent parce qu’ils ont une même vérité historique. Celle qui n’est pas une histoire des Hutu contre les Tutsi, ou vice-versa, … Tous les Burundais se sentiront un et indivisible. »
Emile Mworoha indique que certains écrits ne sont pas fondés sur des sources fiables. Leurs auteurs ne maîtrisaient même pas les normes d’écriture. On ne s’improvise pas Historien pour écrire l’histoire : « Il faut avoir des connaissances suffisantes pour écrire. » D’autres se basent sur les idéologies. Mais pour écrire l’Histoire pouvant être enseignée dans les écoles, signale M. Mworoha, cela demande une grande attention : « Car ces livres acceptés par le pays et qui respectent les programmes, sont constructifs et ne font pas l’apologie de la haine ethnique.» Et à Denis Bukuru de mentionner : « Tout ce qui a été dit sur l’histoire du Burundi doit être bien analysé. L’histoire ne doit pas être réécrite mais bien écrite. » Car, s’explique-t-il, un Historien ou un chercheur ne devrait pas être esclave de la politique. Il doit être indépendant, pas de parti pris, impartial et ne devrait pas servir son parti politique : « Il ne peut pas accuser celui-ci ou se rallier à celui-là pour des raisons politiques ».
« Il faut confronter les sources »
Christine Deslaurier, historienne, estime qu’il ne s’agit pas de réécrire l’histoire car c’est un travail continuel. Elle donne l’exemple de l’histoire de la Révolution française où même aujourd’hui d’autres ouvrages en rapport continuent à être produits : « Il faut d’abord lire ce qui a été écrit. » Puis proposer des interprétations des faits de l’histoire qui intègrent de nouvelles données : « L’important est de pouvoir réunir toutes les sources, les archives et les confronter. »
A titre d’exemple, souligne-t-elle, « on sait par exemple que pendant les grandes crises, des camions militaires transportaient des personnes. » Pour en savoir plus, il suffit d’avoir le cheminement car il y a des procédures pour qu’un camion militaire sorte d’un camp, confronter toutes les sources pour qu’elles soient complémentaires.
Quant à l’écriture, il y a des méthodes à suivre : « Il faut apprendre à douter sur les sources, à les confronter et à les faire corroborer. L’historien doit donner son expertise dans l’interprétation des faits, des phénomènes.» De nouveaux éléments de l’histoire ne viennent que pour enrichir celles qui étaient là.
L’histoire, c’est celle du vainqueur. C’est-à-dire que les faits ont la couleur que leur donne le vainqueur. De 1898 à 1962, la réalité est interprétée en partant du point de vue des colonisateurs. C’est ainsi qu’ils ont découvert d’inexistants règnes hamites (je ne sais évidemment pas si « hima » vient de « hamite ») dans notre région, et nous en souffrons encore, parce que quelqu’un y a cru (Kaguta, Kagame et consorts). De 1962 à nos jours, après l’anéantissement de l’élite hutu en 1972, ceux qui ont écrit ont mis en avant le point de vue des tutsi, et surtout ils ont passé sous silence les événements qui les auraient mis en cause. Que faut-il? un travail de recueil des sources (orales surtout), et de confrontation pour arriver à une synthèse.
Kaiser, peux-tu expliquer ce que tu veux dire avec « nous en souffrons encore »?
Non! Et non! Lire d’abord ce qui a été écrit reviendrait à se laisser désorienter (ou orienter), tandis que partir à zéro serait plus approprié. Nous savons déjà que l’histoire d’après l’indépendance a été façonnée selon les régimes qui se sont succédés au pouvoir. Et ce qu’on oublie (ou qu’on veut oublier) de dire, c’est que ce sont les mêmes régimes et historiens qui ont réécrit l’histoire d’avant l’indépendance.
Quelqu’un qui écoute (avec une oreille nouvelle) un vieil homme lui raconter comment étaient organisés les clans, les successions politiques, les pratiques ancestrales et coutumières,… sans l’avoir entendu est plus susceptible de reporter le plus adéquatement le plus fidèlement possible la réalité telle que vécue à l’époque. Ensuite on pourra lire confronter ce qui a été dit dans les textes et la littérature officiels. Ou on peut faire les deux à la fois, mais en prenant soin de séparer les équipes qui s’occuperont de recueillir les données.
Personnellement, j’aimerais savoir les raisons qui ont conduit aux mythes tels que : « l’héritier du trône naissait avec des grains de sorgho dans la main », « un crocodile peut te tuer en mangeant ton ombre », « une femme ne siffle pas »,… Des termes comme « Ubugabíre, ubugerêrwa, … » Quoique les intentions derrière certains de ces mythes sont faciles à deviner, il faudra surtout que ceux qui vont s’occuper de cet aspect de l’histoire soient capables de produire une oeuvre qui concilie la vérité et la réalité, sans toutefois mettre danger l’unité des Barundi.
L’important sera de recueillir les plus d’information possible, et ceux qui seront en charge détermineront par après si on doit réécrire l’histoire, en réécrire une partie, ou si on doit réécrire le tout de fond en comble. Et éviter de donner un rôle prépondérant aux historiens d’alors parce qu’ils peuvent être tentés de protéger leur oeuvre. Ceux-ci ne devraient être consultés que pour éclaircir des passages flous dans leurs écrits, c’est-à-dire ceux ne concordant pas avec les retrouvailles des enquêteurs. Donc, ils devraient être des témoins, et non des consultants pouvant influencer l’orientation des nouveaux « auteurs » de la « Nouvelle Histoire du Burundi »!
On ne doit chercher ni à orienter l’histoire, ni à la recréer… Il faut raconter l’histoire le plus fidèlement possible… ni plus, ni moins, autant que possible!