De l’enseignement à La Grand-Croix de l’Ordre de la Couronne… Voici comment un professeur de lycée a écrit par la ténacité de ses convictions et à travers les épines de l’Histoire, une des plus belles pages de la diplomatie burundaise.
<doc293|left>Non, ne lui demandez pas ce qu’il ressent, trente minutes avant de revêtir le second plus grand ordre officiel de Belgique… Il sourit, rase le sol tapissé de la Résidence de l’ambassadeur belge de son regard flegmatique, serre son verre, tranquille, entre pairs, ministres et autres hauts dignitaires du pays. Par contre, coincez-le dans son bureau, expliquez-lui que vous cherchez à comprendre pourquoi on ne parle que du bien de l’Ambassadeur Laurent Kavakure, fait rare dans cette Bujumbura où dénigrer est un exercice que l’on pratique à l’envie. La mine s’éclaire, le diplomate laisse tomber son masque d’impassibilité : « Je pense que c’est parce que je suis nouveau à Bujumbura », glisse-t-il, confident. Si vous lui dites que ceux qui louent son action sont justement ceux qui le connaissent en Belgique, il se tait. Vous regarde. Le front grave. Appelle les services de la Présidence, demande un thé pour « son frère »…
Puis commence à parler. Et d’abord « ce genre de question, il faut les poser à d’autres personnes, notamment aux nombreux cadres que j’ai formés, aux nombreux collègues et collaborateurs que j’ai côtoyés, et à tous ceux qui, de près ou de loin, ont été sur mon parcours. » Mais que dit-on, de Laurent Kavakure?
Un rassembleur
De ce père de famille de 52 ans et quatre enfants, le plus haut fait d’armes s’est passé à Bruxelles. Quand il évoque ce qu’il convient d’appeler ‘une aventure’ au coeur de la capitale diplomatique européenne, c’est sous forme d’interrogations. La plus spontanée: « Qui suis-je, pour obtenir une décoration de la part de Sa Majesté le Roi des Belges ? » Et la réponse est simple : Laurent Kavakure laisse dans cette diaspora burundaise gravement ridée par le démon de la division, l’image de l’homme qui est parvenu à lisser les relations inter-communautaires. Hutus contre Tusti, dans lesquels il fallait distinguer Bururiens contre autres, Cndd-Fdd et le reste, cela grince des dents dans cette Belgique qui a accueilli fils et filles de son ancienne colonie, au grès des sanglants soubresauts de cette dernière.
Le diplomate burundais, entré en fonction en 2006, n’en a cure! « Il est celui qui est parvenu à réconcilier deux mondes qui ne se rencontraient jamais », témoigne Claude Becky Ntahuga, belgo-burundais. « Le 21 octobre 2006, à l’Ambassade nous recevons une invitation du Cndd-Fdd, une du Frodebu et une autre de Survit-Tusti», se souvient M. Kavakure. Dilemme : où aller, pour celui qui était encore quelques semaines avant le représentant du Cndd-Fdd en Suisse, et candidat parlementaire de l’Uprona en 1993? Finalement, il préférera passer la journée dans la méditation, seul.
Une année plus tard, un certain 1 juillet, alors qu’éclate l’hymne national, il assiste le cœur ému aux larmes des Burundais qui pleurent de joie d’avoir foulé pour la première fois les enceintes de l’ambassade depuis… 40 ans ! Par la suite, « il a ouvert les salles des lieux pour toutes les associations burundaises », offrant même en prime « café ou thé pour ceux qui voulaient y tenir réunion », se souvient avec fierté M. Ntahuga.
Et si on demandait à Jozeph Smets, ambassadeur de Belgique au Burundi ses premiers souvenirs de son homologue burundais, il vous parlera de ce rendez-vous à Bruxelles «où il m’a invité à un déjeuner, dans lequel je l’ai vu débarquer avec Léonce Ngendakumana… » Laurent Kavakure est allé plus loin encore, « réunissant sous le toit de son ambassade tous les Belges âgés qui, à l’époque coloniale ou lors des premières années après l’indépendance avaient joué un certain rôle au Burundi- parmi eux des ‘colons’… » Inédit.
Bosseur
Le diplomate né dans la commune Tangara (Ngozi) est aussi connu pour avoir été un inconditionnel des journées « Burundi, coeur de l’Afrique au coeur de l’Europe », manifestations tenues lors de la Commémoration de l’Indépendance du Burundi. La vue de ces Burundais de la diaspora européenne débarquant pour ces festivités culturelles et les rencontres avec des jeunes venus du pays (2008 avait vu la venue de la fraîchement élue Miss East Africa) resteront gravées dans la mémoire de plusieurs. Janvier Nahimana, peintre et webmaster burundais établi depuis près de 20 ans en Belgique parle avec émotion du tambour burundais résonnant dans le Palais des Beaux-Arts, la plus prestigieuse salle de spectacle de Bruxelles. Laurent Kavakure qui initie la coopération entre les ports de Zeebruges et de Bujumbura, qui s’en va plaider en Province Occidentale (Belgique) pour une coopération entre instituts agricoles burundais et belge; au four et moulin pour organiser ces rencontres de la diaspora burundaise réunie sur proposition du Parlement burundais et de l’Awepa en vue de dessiner sa contribution aux efforts de développement du Buruni…
L’ambassadeur a cette réputation de grand bosseur, lui qui décroche sa licence en histoire à l’Université du Burundi à 23 ans. Et il n’y a pas que ceux qui aiment cet esprit ouvert et travailleur, s’est toujours dit M. Kavakure. Déjà, en 1992, alors qu’il vient d’être nommé directeur du Lycée de Burengo, il fait les résultats trimestriels pour créer une sorte d’émulation : « La nuit, les vitres des salles de ces affichages ont été fracassées et les listes déchirées! » Une décénie après, le jour même de sa prise de fonction à Bruxelles, un certain 26 juin 2006, « à peine installé dans mon bureau, en pleine journée, il y a eu un attentat. Ma voiture a été fracassée, devant les bureaux de la chancellerie, juste à l’endroit ou j’étais assis. » Et à ce grand de fruits et légumes de philosopher : « Il fallait croire et travailler! »
Humble
S’il y a un autre trait de la personnalité de Laurent Kavakure, c’est son humilité. Là où les autres officiels font la bosse sous des costards, [il fallait le croiser à Bukeye en décembre, simple inconnu en tenue passe-partout, dévissant avec les journalistes un carnet sous la main->http://www.iwacu-burundi.org/old/index.php?option=com_content&view=article&id=2443&Itemid=1], en attendant l’arrivée du Président qui rencontrait les médias burundais. En Belgique, l’ambassadeur burundais n’hésitera pas à écouter accueillir et écouter tout le monde, jeunes compris, lui pourtant qui peut se targuer de compter parmi ses anciens élèves un certain Gervais Rufyikiri ou certains PDG de banques burundaises… Cette humilité, il l’a construite au fur des années. En 1987, il assiste, impuissant, à la chasse aux religieux sous le régime Bagaza. Lui-même, travaillant auparavant au Séminaire Moyen de Burasira est chassé de l’établissement, pour se présenter au Lycée de Kiganda un 4 août 1987. A la même heure, à Bujumbura, Buyoya dépose Bagaza…
tard, avec la politique d’unité nationale initiée sous la troisième République, M. Kavakure est coopté membre du comité central de l’Uprona. Aux lendemains des élections et de l’assassinat du Président Ndadaye, la méfiance à son endroit s’invite. Le 5 février 1994, jour d’investiture de Ntaryamira, sa maison à Ngozi est déchiquetée par des grenades. Sa famille en réchappe. Lui s’enfuit dans le maquis. A force d’être traqué, il finit par rejoindre le camp des réfugiés de Mutabila en 1995, en se faufilant entre les mailles de la Documentation par Rumonge. La boue et les tantes d’asile de la Tanzanie, il les a préférées à Nairobi puisqu’il avait la couverture du ministère des Affaires Étrangères. Mutabila: il fonde le Lycée de la Solidarité, qu’il dirige pendant une année, « parce que cela me plaisait de vivre dans la simplicité en servant mes compatriotes. »
Là aussi, il est humilié par la police tanzanienne qui le rançonne comme les autres réfugiés. En 1997, elle s’invite même dans les locaux de l’établissement, prend à partie une partie des professeurs du lycée qui seront impitoyablement tabassés. L’agile directeur, ancien grand amateur de basketball est parvenu à s’enfuir en sautant par la fenêtre… Les forces de l’ordre trouveront écrit sur certain papier Laurent Kavakure. En kirundi, cela donne Laurent Qui-vient-de-loin.
Quelles convictions ?
Pour avoir entamé sa carrière diplomatique à Bruxelles, « un des bastions de l’opposition au pouvoir Cndd-Fdd », où il y laisse de bons souvenirs en tant qu’ambassadeur, Laurent Kavakure a une recette simple: « Privilégier l’ouverture, le sens d’initiative, la recherche du compromis. » Et si l’on devait parler des défis de la diplomatie burundaise, « le plus grand reste la communication avec nos partenaires : nous avons un modèle et des richesses à vendre. Il faut être créatif, ne pas se laisser submerger par des voix dissonantes. » Pour cela, « il faut la création de partenariats. Nos diplomates doivent faire beaucoup de descentes, intéresser les investisseurs potentiels, organiser des missions économiques. » Et si celui qui jouit d’une expérience de 15 ans dans l’éducation se sent si bien dans le Cndd-Fdd, ce parti dont il sera Secrétaire Exécutif en Tanzanie de 1996 à 1999, c’est justement parce que la plus belle des images que renvoie cette formation est celle d’une communauté politique qui a su, et tôt, dépasser les polarisations ethniques ou divisionnistes…