Samedi 23 novembre 2024

Politique

Qui pour piloter l’Aigle ?

15/01/2021 Commentaires fermés sur Qui pour piloter l’Aigle ?
Qui pour piloter l’Aigle ?

A quelques jours du congrès du Cndd-Fdd prévu le 24 janvier, les spéculations vont bon train sur le choix du futur dirigeant du parti au pouvoir. Zoom sur quelques candidats pressentis pour ce poste.

Révérien Ndikuriyo, l’homme à la parole brute

Agé de 50 ans, Révérien Ndikuriyo est né à Kayogoro dans la province Makamba. Il est étudiant à la faculté des sciences de l’Université du Burundi quand il fuit pour rejoindre la rébellion du CNDD-FDD en 1995. Après la transformation du mouvement en un parti à la suite de la signature du cessez-le-feu en novembre 2003, M. Ndikuriyo connaît une ascension politique fulgurante. Il devient tour à tour gouverneur de sa province natale, député, avant d’être élu sénateur en 2010. De 2015-2020, il est président du sénat.

Atouts

Son passage au maquis lui donne la légitimité indispensable dans cette formation qui voue un culte au combattant. La présidence de la Fédération de football du Burundi (FFB) qu’il assume depuis novembre 2013 lui donne une certaine influence auprès d’une partie de la jeunesse. Il a aussi le soutien massif de Bagumyabanga de sa province d’origine. « Le parti a intérêt à le mettre en avant pour la présidence de ce dernier, sinon, ça serait vu comme un camouflet vis-à-vis de notre province ». Beaucoup parmi eux confient que M. Ndikuriyo a accepté de lâcher la présidence du Sénat pour se voir confier la présidence du parti de l’Aigle.

Faiblesses

Plusieurs observateurs du parti estiment que c’est un « dur ». Dans ses discours, il est « trop direct, peu diplomate », voire « cassant », dit un membre du parti qui le connaît depuis longtemps. Il est considéré comme un tenant de la ligne dure, « ce qui peut rebuter l’aile modérée du parti ».


Zénon Ndaruvukanye, le stratège

Zénon Ndaruvukanye est parmi les premiers à intégrer la rébellion du Cndd-Fdd. Il est rentré avec le grade de colonel. Il démissionne de l’armée pour s’occuper de la politique au sein du parti. Il est nommé gouverneur de la province de Bujumbura. Il devient par après conseiller principal du président Pierre Nkurunziza. En 2010, il est député élu dans la circonscription de Bujumbura jusqu’aujourd’hui. Dans cette chambre basse du Parlement, il est à la tête de la commission de la défense et de la sécurité. Il est un des rares à siéger à l’hémicycle de Kigobe pour un troisième mandat.

Atouts

Un homme très respecté au sein du parti, Zénon Ndaruvukanye est membre du Conseil des sages, organe suprême. Il est aussi membre du bureau politique depuis le congrès extraordinaire de Gitega du 20 août 2016 où il est trésorier général du parti. Ses compagnons de lutte parlent d’un homme discret, posé, très attaché à sa formation politique. Ses relations personnelles avec le nouveau chef d’Etat sont un atout vital. Le président Evariste Ndayishimiye est parrain de mariage de Zénon Ndaruvukanye.

Faiblesses

Zénon Ndaruvukanye vient de la province de Bujumbura. Le président du Sénat est originaire de cette même circonscription. Avec la politique du parti de réserver, dans la mesure du possible, les places de responsabilité à toutes les provinces, cet élément peut impacter négativement sur son choix. Ses proches estiment qu’il est physiquement un peu affaibli suite à une grave maladie qu’il a affecté à la fin de l’année. Par ailleurs, il serait plus stratège que mobilisateur.


Victor Burikukiye, ‘’l’infirmier du maquis’’

Natif de la commune Gashoho dans la province Muyinga, Victor Burikukiye est infirmier de formation. Il a été vice-président du parti CNDD-FDD, en charge des affaires politiques, juridiques, administratives et financières et député élu dans la circonscription de Muyinga. Il est actuellement député du Parlement de la Communauté de l’Afrique de l’Est- East Africa Legislative Assembly, EALA.

Atouts

Il est très apprécié dans le parti depuis le maquis. De par sa formation d’infirmier, il se serait distingué par son abnégation en soignant les blessés et les malades maquisards.

Lors de la crise de 2015, il a défendu bec et ongles le camp de feu pierre Nkurunziza. Dès lors, il est très respecté dans le parti et est perçu comme un grand mobilisateur politique.

Faiblesses

Le temps qu’il vient de passer à l’EALA l’éloigne de certaines réalités au sein du parti. Même s’ils ne sont pas de la même province, le président de l’Assemblée nationale est natif de Kayanza, une province située géographiquement au nord du pays, comme Muyinga. Cette donne peut être un handicap pour son choix.


Anastase Manirambona, le modéré de Kirundo

Anastase Manirambona est né sur la colline Nyagisozi en commune Busoni. Selon des témoignages, sa famille s’est réfugiée au Rwanda alors qu’il était encore très jeune. C’est dans ce pays qu’il a fait ses études secondaires. Il s’est réfugié au Congo suite à la crise rwandaise. Il intègre le mouvement rebelle FDD en 1995. « Il avait le numéro 198 de matricule. Il était très respecté au maquis », confie un ancien combattant de ce mouvement rebelle. Le 7 juillet 2016, il manifeste sa volonté de quitter définitivement l’armée et sa démission est acceptée le 18 juillet 2016. Il est actuellement secrétaire national chargé de l’idéologie, mobilisation et diaspora au sein du Cndd-Fdd depuis 2016.

Atouts

Selon des sources au sein du Cndd-Fdd, il est très respecté au sein du parti. « En plus, c’est un ami du président de la République. Ce dernier allait souvent lui rendre visite à son hôtel du nom de ‘’Shinge na Rugero’’ en province Kirundo. Ils passaient beaucoup de temps à discuter. Mais, il semblerait que leurs relations se sont un peu crispées ces derniers jours. Mais depuis longtemps, il se murmurait dans les coulisses qu’il peut succéder à Evariste Ndayishimiye », confie un autre militant du parti au pouvoir.

« Il a su remettre à sa place l’ancien député de Kirundo Jean Baptiste Nzigamasabo alias Gihahe. C’était une terreur dans le temps », raconte un habitant de la province Kirundo.

Faiblesses

Les militants du CNDD-FDD de Kirundo sont divisés sur son cas. « Une partie est du côté d’Anastase et une autre est derrière Gihahe. Certains reprochent à Anastase de mettre en avant les intellectuels et non « Abarurwanye », c’est-à-dire les anciens combattants, renchérit un militant du Cndd-Fdd.


Sylvestre Abdallah Ndayizeye, le tribun

Né dans la province Karusi, il fut gouverneur de cette province de 2005-2013, date à laquelle il est devenu député à l’Assemblée nationale. Aujourd’hui, il est commissaire chargé des ligues affiliées au parti Cndd-Fdd. Il est particulièrement connu pour ses saillies piquantes. Dans un message délivré le 30 septembre 2019 dans la province Cibitoke, il s’est adressé aux Imbonerakure en ces termes : « Vous les jeunes, tenez-vous bien, il ne faut plus qu’il y ait de ces rapports que vous avez malmenés des militants du CNL. Vous êtes des responsables dans ce pays. Vous êtes les maîtres de cette forêt, vous êtes des lions, des vaillants. Sachez alors qu’un lion ne mange pas un chat, un rat ». Et d’ajouter dans le même discours tenu 8 mois avant le scrutin de 2020. « Mais soyez toujours prêts à intervenir parce qu’il faut lutter pour le pays. Il ne faut pas vous laisser marcher sur les pieds. Il faut parer à toute éventualité, montrer du muscle, au besoin, rugir comme le lion, les effrayer ».

Atouts

De par son ascension fulgurante au sein du Cndd-Fdd (Ancien gouverneur, ancien député, ancien commissaire au Trésor au sein du parti et aujourd’hui président des ligues du parti), Sylvestre Abdallah Ndayizeye est assez bien placé pour briguer la présidence de cette formation politique. Son parcours d’ancien combattant plaide également en sa faveur, notamment auprès du cœur du système.

Faiblesses

Une partie des militants au sein du parti voient d’un mauvais œil son ancienne proximité avec Hussein Radjabu, l’ancien secrétaire général du Cndd-Fdd. « Cela n’a certes pas freiné son ascension au sein du parti mais certains en ont gardé une dent contre lui », a précisé une source au sein du parti présidentiel.

Par Alphonse Yikeze, Fabrice Manirakiza et Hervé Mugisha


Gérard Birantamije : « Le nouveau secrétaire général du CNDD-FDD héritera d’un parti clivé »

Le politologue dresse le portrait-robot du possible « heureux élu ». Il revient aussi sur les chantiers qui l’attendent. Entretien.

Sauf surprise, le 24 janvier, le Cndd-Fdd choisira son nouveau secrétaire-général. Selon vous, quel devrait être le profil idéal de ce dernier ?

Le profil idéal d’un chef de parti, a fortiori d’un parti au pouvoir est celui d’un homme ou d’une /femme qui connaît bien le parti et son idéologie. Mais, plus que tout, le parti a besoin de restructurer son idéologie. Les différents courants qui ont traversé ce parti depuis sa formation (au lendemain de la mort de Ndadaye), montre plutôt une formation en mal d’idéologie. La défense de la démocratie, n’est plus son leitmotiv. Pour tout dire, le profil devrait être celui d’un chef qui s’occupe réellement de la vie du parti et qui ne vient pas occulter les missions du chef de l’Etat et de tout l’appareil gouvernemental comme cela a été vu par le passé. Son profil est celui d’un chef qui n’est juste pas un militant de première heure ou de dernière heure, mais un chef qui scrute la vie politique dans tous les sens et par-dessus tout qui sait tirer les leçons de chaque fait et geste des acteurs politiques. Ce, à l’intérieur et à l’extérieur de l’architecture institutionnelle. Pour tout dire, il devra être celui qui s’occupe de l’arrière-cour, celui aux petites oreilles sur une grande tête.

Une fois choisi, d’après vous, quels sont les grands chantiers auxquels il devra vite s’atteler ?

D’emblée, le nouveau « boss » devrait faire le point de l’issue, à mon avis, quelque peu chaotique du dernier scrutin. A cet effet, le premier chantier devrait être le dialogue et la concertation avec toutes les forces politiques et citoyennes du pays. Ce chantier est primordial, car comme le dit un adage rundi, ’’Ntawusomera basemerera’’, ‘’L’on ne peut se régaler sur fond de cris de détresse’’. Mais au-delà, le grand chantier est de donner un sens à la politique. C’est d’amener son parti à être réellement ce tremplin de la bonne gouvernance politique, économique et sociale que les Burundais revendiquent depuis 2015. Il doit se mettre à l’évidence que son parti doit être l’architecte de ce vivre-ensemble.

Des clivages régionaux/idéologiques se dessinent au sein du parti. Voyez-vous le prochain secrétaire général être au-dessus de la mêlée et devenir rassembleur ?

C’est le grand challenge des chefs qui héritent des partis clivés. Et sans l’ombre d’un doute, je pense que si le nouveau secrétaire général reste embourbé dans ces schémas, il ne pourra ni se dépasser lui-même ni être rassembleur. Hélas, un statu quo. Parce que c’est ce que les gens avaient espéré de son prédécesseur, et il ne l’a pas fait.

Un classique pour les partis politiques issus de mouvements armés ou des rébellions ?

A ce niveau, les recherches sont formelles. Elles ont généralement montré que ce genre de parti est dirigé ailleurs. Souvent, sur base de contrats qui ne sont jamais dits. Pour revenir à votre question, peut-être que le prochain secrétaire général est connu depuis longtemps. Et s’il advient que ce soit le cas, nul doute qu’il sera pris en otage par ce type de contrat aux avenants non-dits et par les forces politiques de l’ombre.

Nombre d’analystes politiques s’accordent à dire qu’au sein de l’élite du Cndd-Fdd, la confusion du parti et de l’Etat s’est érigée en maître. Pensez-vous que le nouveau secrétaire général peut mettre fin à cette culture ?

Je ne peux que lui donner le bénéfice du doute. Mais à mon avis, ce n’est pas à lui seul de le faire, parce que cela serait lui faire un mauvais procès.

Concrètement ?

Il y a deux choses. Souvent, la culture politique au sein de tous les partis politiques hérités des temps du monopartisme perdure. Les gens ont de la peine à domestiquer les pratiques de la culture politique de participation multi-centrée. Ce n’est que du vernis démocratique sur fond d’une culture de sujétion fortement ancrée. L’autre facteur découle du premier. Et à ce niveau, le premier à séparer les affaires de l’Etat de celles du parti, c’est le Chef de l’Etat, le Commandant suprême. Ce dernier doit savoir que le chef d’un parti politique au pouvoir n’a rien à dicter au Chef de l’Etat. La Constitution ne reconnaît pas le chef de parti comme un acteur institutionnalisé. En guise de cela, le chef de parti ne devient qu’un bouc émissaire d’une situation pour laquelle il ne tire pas forcément les ficelles. Bien évidemment, dans une société en proie à une hyper curialisation des mœurs politiques (concept de sociologie qui désigne l’extension des pratiques de la cour royale à l’ensemble de la société), c’est une aubaine pour le chef de parti, qui en profite pour structurer sa propre cour.

Avec le choix des nouveaux dirigeants du parti de l’Aigle, peut-on entrevoir un véritable consensus sur le rôle des Imbonerakure ?

La question qui se pose est celle de savoir « à qui profite ces Imbonerakure? ». A ma connaissance, c’est au parti qui doute des acteurs institutionnels attitrés et, partant, passe par des voies détournées pour asseoir sa légitimité. Sinon, tout chef de parti politique qui croit un seul instant aux missions de l’Etat en tant que régulateur de la vie politique, économique et sociale du pays serait plutôt porté à remodeler le rôle de ces Imbonerakure. Peut-être que les quinze années à la tête du pays auraient enfin permis aux potentiels candidats d’avoir un esprit critique quitte à guider le parti vers les premiers pas d’un consensus national. Mais, faut-il que cette volonté politique soit aussi la même à tous les niveaux de l’appareil politico-administratif dominé par le Cndd-Fdd.

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