Après la lettre ouverte du fondateur du Groupe de Presse au CNC, Iwacu a été sommé de publier un démenti du CNC. Comme l’exige la Loi sur la presse, Iwacu s’est exécuté. Dont acte. Cependant, l’auteur tient à apporter son éclairage sur ce cas qui, malgré le démenti du CNC, interroge.
L’annonce du CNC que Kenny Claude Nduwimana n’était pas journaliste a surpris dans la communauté des professionnels des médias au Burundi. Car depuis plus de deux ans, l’homme est très bien connu. Il participe dans des conférences publiques, des ateliers de journalistes, fait des interviews des personnalités burundaises. « Il travaille normalement, comme tous les journalistes ! Personne n’aurait jamais pensé qu’il n’avait pas de carte de presse et ce n’est pas notre rôle de vérifier qui a sa carte de presse ou pas », témoignent avec étonnement plusieurs journalistes interrogés.
A Bujumbura, la communauté des journalistes est un petit monde. Un microcosme où tout le monde, ou presque, se connait. Kenny Claude Nduwimana faisait partie de la communauté . « Qui va se poser des questions quand même le président de la CVR lui donne une interview?» , répond une journaliste d’une radio à Bujumbura.
Un journaliste qui travaille en étroite collaboration avec la CVR
Mieux, Kenny Claude Nduwimana fait même partie du pool des journalistes lancé par la CVR qui compte 42 membres, tous journalistes. La CVR a en effet créé un groupe whatsapp dont deux administrateurs du groupe sont des anciens journalistes : Gérard Mfuranzima, le chargé de la communication, mon ancien directeur à la radio nationale dans les années 93-94 et Aloys Batungwanayo, ancien journaliste, un professionnel connu et respecté dans le milieu, aujourd’hui commissaire à la CVR. Deux hommes d’une grande probité intellectuelle. Pour ma part, mais c’est à eux d’apporter leur éclairage, je pense qu’ils ont été abusés. Mais avec tout le discours de haine qu’il diffuse, Kenny Claude Nduwimana entache la réputation de ce groupe de journalistes mis en place par la CVR.
Concernant toujours le statut de « journaliste » de Kenny Claude Nduwimana, apparemment il n’y a que le CNC qui n’était pas au courant. Pourtant, Kenny Claude Nduwimana ne s’est jamais caché. Il a toujours travaillé au grand jour et assumé ce qu’il fait. Sur son compte twitter, son profil décline son identité sans aucune ambiguïté et sa profession Mieux, il est suivi par des ministres, des personnalités politiques, des diplomates, etc.
Le 17 juillet dernier, à Gitega, il a couvert la présentation des charniers de Nyambeho et Mutobo par la CVR. Il a même enregistré le discours du président de la CVR (voir photo). Bref, il a travaillé comme tous les journalistes présents. Le président de la CVR, l’interpellera nominativement pour répondre à une question. Ce n’était pas un inconnu. Selon des sources recoupées, le journaliste a même été stagiaire à la radio CCIB FM+. En novembre 2018, Kenny Claude Nduwimana a participé comme journaliste au concours lancé par le CICR, le Comité International de la Croix-Rouge (CICR). Il n’a pas été sélectionné. Mais le jour de la remise des prix, il était présent, Iwacu a les photos prises lors de cet événement.
Une grave défaillance du CNC
L’attribution des cartes de presse annoncée à grand renfort de publicité par le CNC, aurait dû constituer une avancée pour la presse au Burundi. Dans tous les pays, la profession est organisée, les professionnels disposent d’une carte de presse. Cette carte protège le journaliste et permet au régulateur un meilleur suivi, un encadrement et la prise des sanctions en cas de dérapage. Mais une carte de presse se mérite, se perd aussi. Visiblement, force est de constater qu’il y a eu une grave défaillance du CNC.
Au lieu de s’empresser à attaquer Iwacu et l’auteur de la lettre ouverte, le CNC devrait, au contraire, se remettre en question, s’interroger comment tout ceci a pu arriver. Comment un individu peut exercer librement comme journaliste, participer à des séminaires, réaliser des interviews de personnalités, les diffuser. Et, plus grave, proférer des messages de haine contre une partie de la population burundaise, des propos que la décence m’empêche de reproduire, sans attirer l’attention du régulateur des médias. Car n’oublions pas : Kenny Claude ne s’est jamais caché .
Il a couvert de nombreux événements publics, dont récemment les funérailles du Président Nkurunziza. «Pour les journalistes actifs au Burundi, la question ne se pose même pas : Kenny Claude Nduwimana est simplement un collègue », disent de nombreux journalistes interrogés.
Au début de cette année, des organisations de la société civile alertaient déjà sur les discours de haine. Le CNC qui dispose pourtant d’un service de monitoring et qui est très vigilant n’a fait aucune réaction. Le même CNC a fait plusieurs mises en garde contre Iwacu, menacé de le fermer, interdit le forum des discussions sur son site web…
Quelle presse voulons-nous au Burundi ?
Au-delà du cas de Kenny Claude Nduwimana, il faut nous interroger sur la presse que nous voulons dans notre pays. Dans ma lettre ouverte, très courtoisement, j’ai invité le CNC a tout faire pour assainir la profession. « Le Burundi a besoin de journalistes intègres, responsables et respectueux de notre déontologie. Les « journalistes » auteurs des écrits ou propos diffamatoires, injurieux, calomnieux ou offensants ne devraient avoir aucune place dans notre corps de métier », ai-je écrit avec espoir.
En retour, Iwacu est sommé de s’expliquer. Pourtant, c’était au CNC d’expliquer plutôt comment il va lutter contre cette dérive de la presse que nous avons eu le courage de dénoncer ouvertement dans cette lettre ouverte que j’assume pleinement.
Contre l’équilibre de la terreur
Sur les réseaux sociaux, menaces et insultes pleuvent sur moi et Iwacu. Nous sommes habitués et pour ma part je n’y réponds pas. Certains menacent même de faire fermer Iwacu. Je sais, ce n’est pas très compliqué. Mais est-ce cela la solution ? Iwacu fermé, la situation de la presse sera-t-elle meilleure au Burundi ? J’en doute. D’autres radicaux banalisent ou avancent les discours de haine proférés par des extrémistes tutsi comme pour justifier la haine distillée par Kenny Claude Nduwimana. Une sorte d’ équilibre de la terreur. A ceux-là je dis simplement que l’exclusion, et la violence ne sont jamais des solutions. Nous risquons de reproduire les folies des générations antérieures dont nous payons encore aujourd’hui le prix.
Nous avons le devoir de contribuer à bâtir un Burundi apaisé, rassurant pour tous. La parole est très puissante. Elle peut construire ou détruire. A nous de faire le choix. Les journalistes nous avons un grand rôle à jouer dans cette quête difficile, mais juste.
*Antoine Kaburahe, Journaliste depuis 1992, Diplômé de l’ESJ (Paris), Fondateur du Groupe de Presse Iwacu; http://iwacu-burundi.org ; Ecrivain & Editeur; http://editions-iwacu.com
Antoine Kaburahe vit en exil depuis 2015