Le projet de loi sur la Commission Vérité Réconciliation (CVR) est au niveau de l’Assemblée nationale pour analyse et adoption. A Bukinanyana, la population exige que le gouvernement se charge de la protection des victimes et des témoins. Sinon, les gens n’auront pas le courage de témoigner.
<doc7190|right>Nous sommes dans la province de Cibitoke, commune Bukinanyana, colline Mikoni. Dans cette région montagneuse, un petit centre s’étend tout le long de la route goudronnée reliant la Commune Rugombo au centre de Kayanza.
Mikoni à 10 km du chef lieu de la Commune Bukinanyana, des maisons d’habitation en tuiles, des boutiques, des salons de coiffure, des bistrots. La température est fraîche mais la musique congolaise est là pour réchauffer le petit centre. Des vendeuses présentent aux clients des bananes, des choux, des petits pois…
Sur les collines environnantes, des champs de thé dominent les cultures. Selon Léonidas Hasabumutima, chef de colline Mikoni, c’est l’agriculture et l’élevage qui font vivre principalement la population. Mais une maladie, la mosaïque, a attaqué le manioc. Une autre maladie, non encore identifiée, s’est attaquée aux bananiers. Sur le plan sécuritaire tout se passe relativement bien. Interrogé sur la CVR, Léonidas Kabura, un habitant de la colline Mikoni, commune Bukinanyana, province de Cibitoke. indique que « les témoins doivent être protégés. Aujourd’hui, au Burundi, quand on dit la vérité, on ne sait pas la suite. Ta vie est en danger et tu commences à subir des menaces. Il y en a même qui sont tué parce qu’ils savaient la vérité sur quelque chose de très délicate » Cet homme souligne qu’en 2005, la localité a été attaquée par des militaires. Les gens ont fui. A leur retour, leurs maisons avaient été brûlées, leurs biens pillés, des personnes avaient été sauvagement tuées et certaines femmes violées. Selon lui, les victimes méritent d’être dédommagées car beaucoup sont devenues très pauvres et mènent désormais une vie de misère.
Léonidas Kabura estime que sans l’implication du gouvernement pour protéger les victimes et les témoins, la vérité ne sera pas connue. Il rappelle au gouvernement qu’il a été mis en place par le peuple. Et par conséquent, « il doit nous protéger ». D’après lui, « connaître la vérité est une bonne chose. Cela permettra à la jeunesse de comprendre le Burundi et la genèse de tous les malheurs et les conflits que le pays a connus ».
Même si la population de Mikoni est pour la connaissance de la vérité, les avis divergent sur la manière dont cette vérité pourra être révélée. Certaines vérités peuvent être révélées en public mais d’autres doivent l’être à huis clos, raconte la population.
Témoigner à huis clos
« En public, c’est très difficile de dire ce qui me hante le cœur. La vérité exige des enquêtes bien fouillées et suffisantes. Par exemple, si nous sommes en public, puis-je oser dire que mon collègue à côté m’a fait du mal ? m’a fait ceci ou cela? C’est impossible de le dire », clame Jean Nduwayo, un quinquagénaire de Bukinanyana.
Pour lui, les témoignages doivent être donnés dans un milieu sûr: «A Huis clos, nous pouvons dénoncer les bourreaux qui ont tué les nôtres, qui ont pillé nos biens, qui ont incendié nos maisons ».Il précise que la protection des témoins n’est pas de la compétence de la population mais du gouvernement. « C’est l’État qui doit faire une planification en vue de permettre aux victimes et aux témoins de révéler leurs vérités sans crainte».
<doc7191|left>« Si on dit la vérité, on n’a pas besoin de se cacher »
Certaines personnes de Bukinanyana indiquent qu’il y a des gens dans l’histoire du Burundi qui ont été tués injustement, qui ont été victimes de montages. Dès lors, elles pensent qu’il faudrait témoigner publiquement. « Moi, je pense que témoigner à huis clos n’est pas une bonne chose. Si on dit la vérité, on n’a pas besoin de se cacher », déclare un jeune d’une vingtaine d’âge de la commune Bukinanyana. Pour lui, en cachette, il y en aura qui seront tentés d’incriminer les autres, peut-être, par jalousie ou pour d’autres motifs inavoués. Il trouve qu’il est plus raisonnable de témoigner en public. Et cela constitue une garantie de la véracité des témoignages.
De cette façon, même les présumés bourreaux auront l’occasion de se justifier.
Pour Potamie Ndayizeye, une femme de la même localité, si l’on est sûr que des violences sexuelles, par exemple, ont eu lieu, on doit le dire en public. « Pas question de huis clos parce que si tu témoignes dans un endroit caché, il n’y aura pas de résultats et les propos tenus peuvent être modifiés ».
Que l’Etat s’occupe des vivants
Dans cette commune secouée par les différentes crises qu’a connues le pays, le pessimisme domine en ce qui concerne l’aboutissement de la CVR. Certains ne voient même pas l’importance de mener des enquêtes après tant d’années, sur des faits remontant parfois à 1962.
« Pourquoi ces enquêtes aujourd’hui ? L’État devrait s’occuper des vivants. Le passé est passé », indique Gaston un jeune homme d’une vingtaine d’âge. Il ne comprend pas comment il pourrait retrouver les sept chèvres qu’on lui a volées pendant la guerre. C’est un rêve. Pour lui, tout le monde est victime ou a participé dans la guerre d’une façon ou d’une autre. « Ce qui est important, c’est que l’État organise le pays pour qu’on vive dans la paix et la sécurité. » Il estime que les enquêtes mal faites, risquent de replonger dans d’autres cycles de violences.
Les députés ont également un rôle
« C’est nous qui avons élu cette assemblée nationale. Il faut que les députés organisent des réunions dans leurs communes natales. On a besoin d’échanger avec eux », déclare un vieil homme de Mikoni, sous couvert d’anonymat. Il demande aux députés d’y aller doucement et étudier le projet de loi sur la CVR très sérieusement avant de l’adopter. « Les propositions de la population lors des consultations doivent être prises en compte ».
Pour Madeleine, une femme de la colline Mikoni, commune Bukinanyana, les députés doivent privilégier la vérité sur le passé. Ces derniers doivent veiller, précise-t-elle, à ce que la CVR soit dotée de bonnes lois rassurant toutes les couches de la population burundaise. « Une commission bien faite, juste, avec des lois bien élaborées et étudiées ».
Quid des violences faites aux femmes?
Le projet de loi sur la CVR revient sur les cas des violences faites aux femmes. Il souligne que ces dernières bénéficieront d’une protection dans le but de leur permettre de témoigner sans crainte. Les femmes de Bukinanyana sont prêtes.
Néanmoins, elles exigent une protection. « Normalement, les femmes doivent témoigner pour que la vérité éclate au grand jour. La commission doit faire des enquêtes tout en se gardant de publier leurs noms », souligne Madeleine, une femme de la colline Mikoni, Zone Muhabura, commune Bukinanyana, province de Cibitoke.
Anabelle, une autre femme, précise: « La CVR doit mettre en avant l’entente. La protection des témoins doit être garantie pour qu’il n’y ait pas de poursuites ou de menaces après. C’est de cette façon que les Burundais pourront se réconcilier et vivre dans l’entente »
Une CVR composée d’hommes neutres
A Bukinanyana, ceux qui ont placé leurs espoirs dans la Commission Vérité Réconciliation (CVR) pour être réhabilités dans leurs droits veulent qu’elle soit composée d’hommes intègres. Ces derniers se trouvent dans toutes les catégories sociales et professionnelles, soulignent-ils. Cependant, « les mieux placés pour arriver à la vérité sont les religieux. » ont affirmé plusieurs sources à Bukinanyana. « On peut avoir confiance en les religieux parce qu’ils sont justes. Chaque témoignage sera écrit intégralement sans aucune modification », affirme Zacharie Minani, de la commune Bukinanyana.
Léonidas Kabura préfère que les membres de la CVR soient des hommes neutres, qui ne viennent pas de partis politiques. « Ils doivent être des religieux et des fonctionnaires dans la justice mais pas une justice qui vient semer encore la haine entre les Burundais : une justice réconciliatrice ».