Le réquisitoire de 15 ans d’emprisonnement pour les quatre journalistes d’Iwacu et leur chauffeur, assorti d’une demande du Ministère public d’être frappée d’une incapacité électorale temporaire et de la saisie de leur matériel, véhicule, appareil photo, enregistreurs, téléphones portables, chargeurs, carnets de notes jusqu’aux cartes nationales d’identité, fait froid dans le dos.
Lors de cette annonce, le public est resté pendant un bon moment sonné, sans voix, à l’issue de cette audience publique du 30 décembre 2019 dans une des salles du Tribunal de Grande Instance de Bubanza.
Pourtant, l’assistance avait été convaincue par les arguments des 5 prévenus et leurs avocats. Le ministère public n’avançait qu’un seul argument : le message de la journaliste du service politique au Journal Iwacu envoyé à un collègue disant que ‘’l’équipe se rend à Musigati pour soutenir les rebelles’’. C’est tout. Aucun autre message compromettant n’a été trouvé dans son téléphone passé au crible par les services de renseignement.
La journaliste, très expérimentée et juriste de formation a expliqué que ce message était juste de l’humour noir, juste pour rigoler, décompresser, qu’il y a même un autre, non considéré par le ministère public, – on ne saura jamais pourquoi -, disant que ‘’l’équipe se rend à Musigati pour en découdre avec ces gens qui veulent perturber la paix et les élections’’.
Ce message qui prend à contre-pied le premier, brandi par le ministère public, prouve à suffisance que ma consœur même quand elle lance des blagues, le respect du principe d’équilibre des propos pour ne pas dire de l’information, est toujours dans ses réflexes.
Les avocats expliqueront que la ’’complicité avec les rebelles’’ avancée par le ministère public ne se justifie pas, qu’elle ne peut pas se concevoir après les faits puisque ces journalistes sont partis à Musigati des heures et des heures après les affrontements, vers 13h pour collecter des témoignages de la population refugiée au chef-lieu de la commune après les tirs nourris entendus à l’aube.
Leur travail sur terrain sera de courte durée : 8 minutes ! La police a débarqué pour embarquer sans ménagement ces journalistes. Leur calvaire venait de commencer. Le reste est connu.
Un autre détail sur le professionnalisme de la journaliste Agnès Ndirubusa a frappé le public. La journaliste avait fixé pendant le trajet vers Musigati des rendez-vous pour des interviews avec le premier vice-président notamment, le porte-parole de l’armée et d’autres autorités afin de faire un article équilibré, complet, à paraître le vendredi de la semaine fatidique.
«Au commissariat provincial, je ne réalisais pas que nous étions déjà arrêtés. Je voyais déjà mon papier, différents angles et intervenants, des photos de la population obligée de fuir les affrontements avec leurs témoignages, le côté humain quoi », me confiera, avec des larmes dans la voix, une semaine après son incarcération avec ses collègues. Un papier qui ne paraîtra jamais.
Voilà, celle que le ministère public présente comme « complice des rebelles » : une journaliste obsédée par la recherche de la vérité, l’équilibre de l’info. Si Agnès est complice de quelque chose, elle est complice de la recherche de la vraie information. Une journaliste dans l’âme.
Il ne me reste qu’une petite prière : «Fasse Seigneur que les juges disent le droit, rien que le droit, qu’ils n’aient d’injonction que celle de la loi, de leur conscience professionnelle». Amen.